Il y a de quoi se perdre dans cette rubrique « affaires européennes » que nous alimentons sur regulation.be depuis de nombreux mois. Il était donc temps pour nous de re-re-reclarifier une dernière fois notre propos pour qu’un message important passe ; celui des enjeux que représente pour la Belgique et pour l’Europe la mise en place de la dernière directive sur les services de médias audiovisuels.
Commençons par le commencement. Une directive, c’est un cadre européen destiné à être transposé par les Etats-membres de l’Union européenne. Son objectif ; harmoniser la régulation du secteur pour éviter une trop grande disparité entre les législations nationales. Dans un contexte de marché ouvert où Netflix, YouTube, Facebook et consorts n’ont que faire des frontières, cette harmonisation était plutôt la bienvenue. D’autant que la dernière directive datait de 2007 et que le paysage audiovisuel, en pleine mutation digitale, n’aura pas attendu 12 ans pour bouleverser complètement la manière dont nous consommons les médias. Il était temps de dépoussiérer le cadre européen et c’est chose faite depuis le 6 novembre dernier où la nouvelle mouture européenne fut adoptée. Un travail de longue haleine suivi d’intenses travaux dans les groupes de régulateurs et d’experts gouvernementaux que nous décrit Paul-Eric Mosseray dans son édito pour regulation.be.
Concrètement, qu’est ce qui change avec la nouvelle directive ? Nous pourrions être exhaustifs, comme dans cet article, mais restons encore dans la re-re-clarification.
Premièrement, les plateformes de partage vidéo comme YouTube entrent dans le giron de la régulation… Une belle avancée pour la régulation de ces plateformes qui, centrée d’abord sur la protection des mineurs et la prévention du discours de haine, s’étendra également à l’information du consommateur
Ensuite, les services de vidéo à la demande comme Netflix ou Amazon encore peu présents en 2007, seront également concernés par une série de règles qui permettront de rétablir l’équilibre. Il faut dire qu’en 2019, comme le rappelle Gilles Fontaine dans ce dossier, ces plateformes pèsent désormais très lourd sur le marché audiovisuel et soulèvent de sérieuses questions en matière de diversité des contenus audiovisuels. La directive permet désormais de retrouver un cadre équitable puisque ces plateformes devront « contribuer » à la production des œuvres audiovisuelles des pays qu’elles ciblent et qui l’imposent, et proposer au minimum 30% de programmation européenne dans leur catalogue.
Enfin, les règles seront les mêmes tant pour les services linéaires que non linéaires. Un véritable enjeu pour certains pays de l’Union européenne dont la Belgique qui font l’objet de ciblage tant de la part de services non-linéaires (Netflix), que de services linéaires dont l’exemple TF1, qui a fait couler beaucoup d’encre, en est particulièrement révélateur.
Equité et modernité sont sans doute les deux valeurs qui ont motivé les débats autour du projet de révision de la directive. La première dont la finalité était de placer tous les acteurs de l’audiovisuel sur un piédestal, la seconde pour répondre aux enjeux complexes du secteur, notamment sur fond de compétence territoriale dès lors que nos marchés sont désormais ouverts à des acteurs étrangers de plus en plus nombreux. Le risque pour les pays particulièrement exposés comme la Belgique ou encore la Suisse est tout sauf anodin, car ces acteurs qui ciblent notre marché pourrait bien nous prendre une part trop gourmande du gâteau publicitaire, pourtant vitale à la survie du secteur audiovisuel local. François Besençon ira encore plus loin en prédisant un asséchement des ressources publicitaires sur nos petits marchés.
Reste une dernière question fondamentale à laquelle nous avons tenté de répondre dans cette rubrique avec une série d’intervenant.e.s issu.e.s du secteur. Comment le paysage audiovisuel européen va-t-il évoluer dans un contexte où la concurrence ne se heurte plus à aucune frontière ? Les réponses fusent et les idées foisonnent, mais cette prolifération nous rappelle aussi à quel point notre secteur doit se repenser pour survivre.
Le secteur publicitaire est au premier balcon de la joute entre ces nouveaux joueurs qui le sollicitent. En fin analyste de l’éco-système, Bruno Liesse (agence média Carat) décode les jeux de rôle des éditeurs et des annonceurs mais invite surtout le marché à se repenser d’urgence dans les modes de consommation de demain, en termes d’efficacité publicitaire et de diversification des éditeurs.
Sous le regard attentif de Jeanne Brunfaut (Centre du cinéma et de l’audiovisuel), le secteur de la production indépendante vit au cœur d’un cercle de moins en moins vertueux s’il n’est pas irrigué équitablement par tous les opérateurs bénéficiant des ressources du marché. Entre opportunités de diffusion et menaces pour les fenêtres d’exploitation, l’émergence des nouvelles plateformes plaide pour une marque de fabrique locale forte.
Enfin, Jean Paul Philippot (RTBF
et UER) et Nicola
Frank (UER) vont au cœur des problèmes en jeu à savoir l’importance
primordiale de la visibilité des contenus européens dans les plateformes et des
investissements dans les contenus locaux et nationaux aptes à préserver le
pluralisme, garantir le débat public et renforcer le tissu culturel local. Un
enjeu partagé par Silvia
Cibien de la plateforme EuroVod qui insiste sur la nécessité de
créer une image de marque forte de l’audiovisuel européen pour s’imposer en
dehors de nos frontières. D’autant que des pure players à haut potentiel nous
en avons, comme le rappelle Maxime
Lacour, de la plateforme belge UniversCiné.
La nouvelle directive est en route et sera bientôt transposée dans les lois nationales. L’appliquer sera une autre histoire. Il faudra à présent faire preuve de collaboration entre les régulateurs européens pour pouvoir mieux comprendre le paysage audiovisuel ouvert dans lequel nous évoluons et le réguler efficacement au profit des citoyen.ne.s européens et de nos éditeurs locaux.
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