Découvrez le dossier spécial « Ces géants qui nous ciblent »
Petit espace, grand potentiel de production. Il est vrai que la Fédération Wallonie Bruxelles n’a pas à rougir quand on parle de « production audiovisuelle locale », même si elle a pris certains trains en retard. Les films belges ont la cote, le virage « séries belges francophones », avec à la clé quelques produits à succès qui s’exportent, a enfin été pris. Tout va bien, oui mais… L’une des menaces qui plane sur notre production, c’est aussi celle de l’assèchement de nos ressources notamment par les services étrangers qui réalisent des décrochages publicitaires sur notre territoire et privent ainsi les acteurs belges francophones de ressources importantes pour continuer à produire du contenu local.
Pour garantir une croissance saine du secteur de la production audiovisuelle, il existe une obligation légale en Fédération Wallonie Bruxelles, à laquelle doit se plier l’ensemble des acteurs régulés sur notre territoire : la contribution à la production. Chaque éditeur doit consacrer un pourcentage de son chiffre d’affaires à des coproductions ou des préachats d’œuvres de la FWB, ou procéder à un versement au Centre du cinéma et de l’audiovisuel (CCA), qui financera ainsi les œuvres sélectionnées par la Commission de sélection des films. Jeanne Brunfaut est la Directrice du CCA. Pour mieux comprendre l’équilibre de notre paysage audiovisuel, il est important de bien saisir le cercle vertueux dans lequel s’inscrit notre secteur, ainsi que les menaces qui l’accompagnent…
En tant que Directrice du CCA, la question de l’équilibre du secteur audiovisuel vous occupe quotidiennement. Comment fait-on, à l’échelle institutionnelle, pour garantir cet équilibre ?
Le secteur audiovisuel belge francophone est soumis, comme dans de nombreux pays, à une série d’obligations qui permettent, ensemble, de garantir un certain équilibre. Ces obligations sont régies par le décret SMA qui prévoit une contribution à la production pour soutenir le secteur de la production indépendante. L’impact de ces contributions est très important car il permet d’alimenter la machine de productions audiovisuelles locales.
Afin d’éviter que cette contribution soit perçue comme un impôt, il a été laissé au libre choix de l’opérateur de décider de verser au CCA ou d’investir directement dans les œuvres audiovisuelles. On remarque que les petits opérateurs ont tendance à verser leur contribution directement au Centre de Cinéma alors que les plus gros opérateurs, tels que Proximus ou Voo préfèrent à présent investir directement dans les films de long ou de court métrage. Cela nécessite un investissement supplémentaire pour eux car ils doivent mettre en place une cellule spécifique de sélection des projets et de suivi des contrats mais cela leur permet de soutenir des films qui correspondent mieux à leur ligne éditoriale et de bénéficier des droits qui y sont liés.
Quels sont les systèmes de contribution à la production qui existent chez nos voisins ?
La France bénéficie notamment d’une taxe sur la billetterie au Cinéma. Cette taxe est directement affectée au budget du Centre du Cinéma Français et concerne l’ensemble des films sortis en salle, sans lien avec leur nationalité ou le fait qu’ils aient ou non étés soutenus à la production par le CNC. Le cercle vertueux français s’évalue donc sur la bonne santé du cinéma dans sa globalité. Si le cinéma se porte bien, cela rapporte plus d’argent pour le CNC et donc plus d’argent pour la production française. Ce système n’est pas envisageable en Belgique car la billetterie est déjà taxée par le fédéral via la TVA et ne peut pas faire l’objet d’une nouvelle taxe au niveau des Communautés.
En Flandre, le système de contribution est plus ou moins comparable au nôtre (il ne s’applique néanmoins qu’aux distributeurs de services télévisuels comme Telenet et pas aux éditeurs de ces services).
Est-ce que tout le monde contribue de la même manière en Fédération Wallonie-Bruxelles ?
À l’origine oui. On peut parler de cercle vertueux dès lors que tout le monde contribue de manière équitable à l’intérieur d’un même secteur. Ce cercle est devenu de moins en moins vertueux avec l’arrivée d’acteurs étrangers qui ciblent notre marché mais qui ne répondent pas aux mêmes obligations que celles imposées aux opérateurs qui y sont installés. Cette réalité est au cœur des discussions autour de la révision de la directive SMA[1]. Les petits pays comme le nôtre ont fait entendre leur voix parce que nous sommes davantage exposés aux médias étrangers et que cette réalité nous impacte davantage.
Que vous évoque l’arrivée de TF1 sur le marché publicitaire belge ?
L’arrivée de TF1 en Belgique place sous les projecteurs des pratiques déjà connues en non-linéaire. Le débat du ciblage n’est pas neuf et les opérateurs historiques belges perdent du terrain sur le marché publicitaire. Qu’il s’agisse de TF1 en linéaire ou de Netflix en non linéaire, il n’est pas sain que ces opérateurs qui ne sont pas soumis aux mêmes règles que nos opérateurs nationaux et retirent une part importante de leurs recettes de notre marché, ne soient pas contraints à contribuer à la production locale en retour.
L’arrivée de TF1 va obliger les opérateurs nationaux à revoir leur position pour rester compétitif ; ils devront se repositionner pour ne pas perdre du public. La question se pose notamment pour la RTBF. Cet éditeur ne peut pas entrer dans une concurrence effrénée avec des opérateurs privés qui n’ont pas les mêmes finalités sociales et culturelles et les mêmes obligations découlant d’un contrat de gestion assez contraignant. Et pourtant il va quand même falloir que la RTBF fasse quelque chose pour tenir le cap par rapport à TF1 et conserver son audience. La position de l’éditeur public est très inconfortable, parce qu’il ne joue pas dans la même cour que les opérateurs privés. RTL, en revanche, va pouvoir se repositionner sur le même terrain que TF1 mais la concurrence sera rude.
Le ciblage des gros opérateurs comme Netflix, c’est le véritable danger pour notre marché ?
Ce n’est pas parce que les gens regardent Netflix qu’ils vont cesser de regarder les services linéaires même si les audiences risquent de baisser progressivement. Les deux types de services peuvent être complémentaires. Le secteur aura le temps, je l’espère, de se réadapter. L’intérêt des gros acteurs tels que Netflix pour le cinéma, c’est qu’ils ont des moyens énormes pour investir dans des productions innovantes de qualité et qu’ils proposent une vitrine gigantesque à leurs productions. Tout n’est pas négatif pour le secteur avec l’apparition de cette nouvelle forme de concurrence. Je pense que leur présence pousse les opérateurs, les éditeurs et distributeurs mais également les salles de cinéma et les plateformes VOD, à la réflexion sur la question concurrentielle, mais que ces plateformes doivent être envisagées en termes d’opportunités plutôt que de menace. Un bel exemple est la série du Fonds FWB RTBF pour les séries belges « la Trêve ». Elle a été créée chez nous et diffusée dans un second temps par Netflix. La fenêtre de Proximus a été respectée, la primo-diffusion de la RTBF a été garantie et la série a ensuite été rendue disponible au monde entier sur Netflix. La Trêve, c’est l’exemple win-win par excellence.
Si la chaîne de production, depuis la Belgique jusqu’à Netflix, est respectée, vous y voyez une opportunité, mais Netflix peut aussi demander des exclusivités. Quel est l’impact sur notre chaîne de production ?
C’est ici que se situe le véritable problème. Lorsque Netflix achète ou commande un film, il peut demander à ce que le produit ne sorte jamais en salle de cinéma. C’est un rapide calcul pour le producteur ou le distributeur, mais c’est très dommageable pour la salle de cinéma et pour la renommée du réalisateur. L’exclusivité Netflix brise le cercle vertueux de production et de diffusion des créations audiovisuelles. Naturellement, il faut se mettre à la place d’un producteur qui est contacté par ce géant qui lui propose deux fois (ou plus) le montant pour le diffuser uniquement sur la plateforme ; ce sont parfois des offres qu’il est difficile de refuser. Si ce type d’opérateurs pérennise (et ça semble être le cas), cette tendance à l’exclusivité, il faudra trouver des solutions durables pour le secteur, notamment au regard de l’exploitation salle de nos œuvres.
Quelles sont les solutions pour que notre production locale puisse survivre, voire se développer à l’intérieur de ce nouveau paysage concurrentiel ?
L’avenir, c’est justement se recentrer sur le local. Pour relancer une industrie, il faut créer un contenu qui nous parle. Ce contenu est et sera complémentaire des programmes proposés par les services étrangers dont les blockbusters accaparent une partie de notre audience. Quand on a créé le Fonds FWB-RTBF pour les séries belges, c’était pour soutenir la création belge. Ce type de soutien a encore plus de sens aujourd’hui. Ce fonds a permis de faire naître des productions qui non seulement fonctionnent au niveau local, mais aussi à l’international. Le fait qu’il y ait une marque de fabrique belge dans le monde audiovisuel, c’est important. Et c’est la même chose en cinéma. Il nous faut une patte belge de qualité pour que notre industrie fonctionne. Ce raisonnement est plutôt nouveau en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans le passé, le secteur avait davantage tendance à coproduire des projets français. Faire du local, ça coûte plus d’argent, cela demande plus de travail mais c’est sans doute la meilleure réponse à ces nouvelles formes de concurrences venues d’ailleurs.
[1] Directive sur les Services de Médias Audiovisuels.
Cet article vous a plu ?
Recevez notre newsletter mensuelle