Entretien : Silvia Cibien, Déléguée générale d’Eurovod
Silvia Cibien est la déléguée générale d’EuroVoD, l’association européenne qui regroupe les plateformes VOD spécialisées dans le cinéma indépendant. Créée en 2010 avec une double mission de convergence et de représentativité du secteur, EuroVoD se réforme aujourd’hui dans ses statuts et ses axes stratégiques, en se positionnant comme le seul réseau de plateformes spécialisées dans le cinéma d’art et essai, en défendant l’intérêt de ses membres, leur compétitivité et la diversité culturelle de leur catalogues dans un paysage médiatique en mutation. Universciné Belgique est d’ailleurs un des membres fondateurs de l’association. EuroVoD a suivi de près les débats autour de la révision de la directive SMA[1]. Aujourd’hui nous y sommes. De nouvelles règles s’appliqueront pour l’ensemble du secteur à l’échelle européenne. Une bonne occasion de faire le point sur l’évolution de ces plateformes VOD moins connues que les Netflix et consorts, mais qui trouvent leur public et dont les projets sont aussi prometteurs que leurs catalogues. Les membres d’EuroVod détiennent l’offre de films européens, indépendants et d’auteur la plus vaste du marché.
Les plateformes VOD devront diffuser au minimum 30% d’œuvres européennes. Est-ce que cette obligation est une victoire pour vous ?
Je représente un réseau de plateformes qui diffusent principalement du cinéma indépendant. Pour vous donner une idée, l’ensemble de nos catalogues comptent une pourcentage moyen de 73,5% de films européens selon les dernières études de l’Observatoire européen de l’audiovisuel. Donc pour nous, 30%, ça n’est pas grand-chose puisque nous les dépassons largement. Soyons clair, cette nouvelle mesure vise à protéger l’économie européenne et à bloquer les plateformes non-européennes comme Amazon et Netflix, mais il ne faudrait pas non plus que l’économie européenne se trouve entravée dans son développement. Nous comptons de plus en plus de startup qui ont pour vocation de s’internationaliser ou de se spécialiser dans la diffusion en ligne de films en provenance d’une seule région du monde. Par exemple, les plateformes liées aux festivals. Même si la directive prévoit des exceptions, ce genre de quotas pour ces dernières plateformes me semble difficile à respecter. Il ne faudrait pas que la Directive limite le développement des plateformes européennes avec des nouvelles obligations financières, en fragilisant encore plus le secteur qui, au contraire, a besoin du soutien des pouvoirs publics pour faire face aux enjeux d’un marché de plus en plus agressif.
Je pense en tout cas que ce nouveau quota reste une belle opportunité pour assurer la place de nos films européens sur des grandes plateformes américaines, même si toute la diversité de notre offre européenne ne sera pas entièrement rencontrée avec un quotas de 30%.
Nous restons encore dubitatifs sur la question du contrôle de ces obligations. Les plateformes de partage vidéo disposent d’une quantité énorme de données qu’il faudra être capable de traiter pour évaluer le respect ou non de ces nouvelles obligations. Cela ne sera pas aisé.
Les plateforme VOD devront diffuser 30% de contenus européens, mais aussi les mettre en valeur sur leur plateforme. Comment assurer cette visibilité alors que les algorithmes de recommandation reposent généralement sur les préférences des consommateur.trice.s ?
C’est une question qui est plus complexe qu’elle n’y paraît. Il ne suffit pas juste de dire qu’il faudra changer la logique des algorithmes. Chez nous, la plupart des plateformes ne se basent pas que sur les algorithmes de recommandation, mais il y a une forte éditorialisation des contenus qui seront mis en avant. C’est donc une logique inverse. C’est moins le consommateur que l’éditeur qui choisit les contenus mis en avant. Dans les deux cas, je pense que ce serait un échec commercial de mettre en avant des films uniquement parce qu’ils sont européens. L’utilisateur peut déjà choisir lui-même des contenus européens car les plateformes prévoient cette catégorie. La plupart des plateformes d’EuroVoD mettent en avant les films européens, car ils sont souvent au cœur de la stratégie éditoriale, mais imposer leur place dans l’algorithme de recommandation, ou concentrer les efforts marketing sur la nationalité européenne des films c’est une autre démarche. Il faut être honnête, le public ne choisit pas un film en raison de sa provenance, mais de sa qualité et d’une série d’autres critères. S’il y a bien un travail à faire, c’est au niveau de la promotion des films européens auprès du grand-public et pas uniquement au sein des plateformes VOD.
Pour vous, assurer la visibilité des films européens sur les plateformes ne produira pas les effets attendus ?
La visibilité des œuvres européennes sur les plateformes devrait plutôt être vue comme la conséquence d’un énorme travail en amont. Quand le public consomme un film, cela n’intervient qu’après un long processus de visibilité et de marketing ou de bouche à oreille qui a pu le convaincre de regarder ce film. Je pense que c’est ici que se trouve le réel problème. Mettre en valeur les contenus européens qui peuvent plaire au public, c’est le véritable enjeu plutôt que la réflexion autour de la proéminence des films européens. Nous travaillons avec un public principalement cinéphile, qui trouve dans nos plateformes la qualité et la diversité de la production indépendante et d’auteur plus ou moins connues, mais chaque plateforme connaît ses publics et doit trouver ses solutions pour les mettre en avant.
N’y a-t-il pas une carte à jouer sur la promotion des œuvres européennes par les pouvoirs publics ?
J’irais plus loin encore. Je pense qu’il faut créer une image de marque des films européens avec un réel projet d’accompagnement des films. D’autant que les plateformes VOD de films d’auteur européens sont complémentaires à des services comme Netflix. Il y a donc une place à prendre.
Un bon film européen trouvera toujours le moyen de se faire connaître, mais ça prendra beaucoup, trop de temps s’il n’y a pas d’accompagnement entre la réalisation et la diffusion. L’enjeu, c’est de réduire cette fenêtre parce qu’il est beaucoup plus simple pour le public de consommer un film dont il a entendu parler, surtout sur une plateforme VOD. Si on veut renforcer la consommation des films européens sur les plateformes, il faut aussi assurer des soutiens plus solides autour de leur marketing. C’est aussi une des seules manières de les faire sortir d’Europe. Pour qu’ils soient légitimes en dehors de notre continent, il faut qu’une image forte y soit associée. Aujourd’hui, il existe des soutiens et des obligations qui assurent le financement des films et leur proéminence sur les plateformes, mais ce ne sont que deux étapes dans la vie d’un film…
Je pense enfin que le secteur public, en concertation avec l’industrie, pourrait dégager des solutions sur la question d’achat de droits des films, et en particulier pour les films européens d’art et essai porteurs, primés par les festivals. Toutes les plateformes n’ont pas les moyens des géants américains pour produire leurs propres films ou séries à grande échelle, ni les mêmes ressources au niveau de marketing et promotion. Les droits coûtent très chers et la plupart des plateformes sont obligées d’être en perte de bénéfices pour alimenter leur catalogue. Le manque de disponibilité des films alimente aussi la piraterie. La Commission européenne soutient énormément les activités marketing des plateformes VOD européennes à travers le programme MEDIA Europe Créative, mais il a effectivement une réflexion à faire sur les enjeux du secteur et la circulation des œuvres européennes qui ne sont pas strictement liés à la question du marketing.
Le secteur audiovisuel européen ne doit-il pas se renforcer lui-même pour assurer sa propre visibilité ?
Il est évident que l’objectif des plateformes VOD européennes n’est pas de dépendre de financement à vie, mais je pense aussi qu’un soutien global doit leur être accordé, car travailler sur le cinéma d’auteur nécessite des moyens marketing encore plus importants pour toucher les publics. Les plateformes européennes sont de plus en plus nombreuses, mais sont aussi à un stade de maturité où elles réalisent toute l’importance de mutualiser leur effort pour avoir du poids. C’est d’ailleurs la mission première d’EuroVoD, regrouper ces plateformes pour qu’elles puissent travailler ensemble. Au sein d’EuroVoD, la coopération et les partenariats se sont renforcés, notamment grâce aux rencontres European VoD Meetings qui se sont déroulées à Venise pendant la Mostra. On constate un véritable intérêt de mutualisation et de convergence parmi certain membres, entre autres UniversCiné (Le Meilleur du Cinéma) et LaCinetek qui sont en train de se déployer en Allemagne et en Autriche. Il y a donc un réel potentiel dans le secteur VOD européen pour mettre en place, par exemple, une stratégie marketing commune.
[1] Services de médias audiovisuels
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