Les régulateurs vont devoir collaborer plus que jamais !

Régulation | Régulation

Entretien de Frédéric Bokobza, directeur général adjoint du CSA français

La nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels apportera son lot de compétences en plus pour les régulateurs avec une série d’enjeux qui vont de pair. C’est chose faite, les géants, comme Netflix, YouTube et Facebook sont désormais concernés par des règles qui seront contrôlées par les régulateurs européens. Comment faire pour les appliquer ? C’est tout l’enjeu de l’après-validation de la directive. On a frappé à la porte de Frédéric Bokobza, directeur général adjoint du CSA français qui connaît bien le dossier. Sa réponse : la collaboration. Dans le contexte actuel, les régulateurs européens en auront besoin plus que jamais…

Vous avez présidé le Groupe de Travail de l’ERGA[1] sur la compétence territoriale[2] en 2018, pourquoi était-ce important pour vous ?

Ce groupe de travail était très important car la compétence territoriale est une des questions les plus fondamentales de régulation dans le contexte d’aujourd’hui. La nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels a fait de grandes avancées sur l’obligation de contribution à la production, notamment des nouveaux entrants comme les services de VOD paneuropéens, mais aussi sur la compétence territoriale qui définit quel est le régulateur compétent pour appliquer la législation à tel ou tel éditeur.

Sur cette question, la prochaine étape sera de clarifier certaines choses qui me semblent fondamentales et de faire en sorte que les régulateurs européens accordent leurs violons. Par exemple, la directive dit que les services de VOD devront contribuer à la production dans les différents pays qu’ils ciblent, mais elle ne dit pas comment les régulateurs vont devoir s’y prendre pour faire appliquer cette nouvelle obligation. Pour prendre un exemple concret, est-ce que ce sera le régulateur néerlandais qui devra faire appliquer cette nouvelle obligation dès lors que le siège social européen de Netflix se trouve aux Pays-Bas ? Si par exemple le CSA français constatait des infractions de l’éditeur en France, est-ce que c’est lui qui pourrait le sanctionner ou son homologue hollandais ? Autant de questions qui doivent être élucidées le plus rapidement possible. Il faut à présent que la transposition de la directive se fasse de la manière la plus homogène possible au sein de chaque pays membre avec des réponses concrètes à ces questions.

Est-ce que cette nouvelle directive permettra aux régulateurs européens de mieux collaborer ensemble sur certains sujets clé ? On pense notamment aux négociations entreprises le CSA français et le CSA belge sur les questions de ciblage publicitaire opéré par TF1 en Fédération Wallonie-Bruxelles.

On aura besoin d’une coopération renforcée entre les régulateurs des différents pays et à tous les niveaux. Surtout sur les questions de compétence territoriale. Il faudra mieux collaborer et de la manière la plus fluide possible. Au niveau du CSA français, nous prenons d’ailleurs en charge en 2019 un groupe destiné à faire évoluer l’ERGA vers autre chose pour qu’il soit en mesure de répondre à ce besoin de meilleure coopération entre les régulateurs.

On a directement vécu les difficultés avec l’éditeur TF1 et le CSA belge. Dans l’échange qu’on a eu, il n’y avait pas de problème de compréhension entre les deux régulateurs et nous avons surtout été confrontés à des limites juridiques, car nous devions malgré tout appliquer la loi française. Avec la nouvelle directive, on aura des outils en plus pour négocier et discuter. Un service qui cible un autre État membre doit maintenant contribuer à la production des pays ciblés, aussi pour les services linéaires comme TF1. C’est donc une belle évolution qui sera également une accroche pour une meilleure coopération et une meilleure collaboration entre les régulateurs.

Les services VOD comme Netflix devront proposer et mettre en avant au moins 30% d’œuvres européennes dans leur catalogue. Sera-t-il simple de faire appliquer cette nouvelle obligation ?

Pas forcément, mais on va s’organiser. Là aussi, la coopération et les échanges d’informations entre régulateurs seront importants. Pour commencer, une question cruciale est celle de savoir comment nous allons calculer cette nouvelle obligation. Il y a des pays ou rien ne se passe car cette obligation n’existe pas encore dans le droit national.

En réalité, il y a aussi peu de pays qui, aujourd’hui, imposent des obligations en matière de contribution à la production audiovisuelle locale. On pourrait imaginer qu’avec cette nouvelle obligation européenne, de nouveaux pays membres vont désormais intégrer un régime de contribution à la production. Ce qui serait une très belle évolution parce que les services VOD ont pris maintenant une importance énorme qui impacte la diversité culturelle depuis une dizaine d’années.

Il y a d’autres pays où on contribue à la production comme en France ou en Belgique. Pour le moment chacun se débrouille de son côté car il n’y a pas une seule manière de s’y prendre. Un des enjeux sera de trouver une méthode commune pour y parvenir en particulier pour calculer la contribution à la production des éditeurs qui ciblent plusieurs Etats européens en même temps.  

Les Plateformes de partage de vidéos sont aussi désormais concernées par la régulation. C’est une victoire pour vous ?  

C’est une très grande avancée de la directive. Maintenant, elle sous-tend une série de questions importantes auxquelles il faut répondre. Réguler ces plateformes, c’est une victoire importante pour les régulateurs européens, car lutter contre les discours de haine et protéger les mineurs est plus que jamais fondamental vu le poids et l’influence sur le public d’acteurs comme, par exemple, Facebook. Mais il faudra clairement mieux collaborer pour y parvenir. Il faudra d’abord identifier qui sera le régulateur européen compétent pour le faire puisque la directive considère que le principe de pays d’origine prévaut toujours pour désigner le régulateur compétent. Dans le cas de Facebook, pour prendre cet exemple, ça sera sans doute l’Irlande. Mais vous imaginez la difficulté pour un seul régulateur de gérer un éditeur qui arrose littéralement tous les pays européens ? Du point de vue de la charge de travail, ça me semble déjà compliqué. D’autant plus que les contenus en question reflètent la diversité linguistique de l’Union. Et puis, on parle quand même de protection des mineurs et de discours de haine. Ce sont des matières importantes qui méritent une véritable collaboration entre l’ensemble des régulateurs européens, afin d’avoir une approche cohérente à l’échelle européenne.

Réguler tout seul un géant comme Facebook, c’est vraiment compliqué. Ensemble, on est plus solides face à des entreprises parfaitement rodées sur le plan technique et juridique. Il y a donc un gros travail à faire de coopération entre les régulateurs et, surtout, un travail important sur la question de corégulation de ces plateformes par les différents régulateurs.

Clairement, il va falloir qu’on développe collectivement davantage de contacts, et de meilleurs contacts avec ces plateformes pour mieux comprendre leurs mécanismes, mais aussi et surtout, que l’on collabore plus entre régulateurs pour répondre aux nouveaux défis de la directive SMA.

L’ERGA pourrait-elle devenir une plateforme de collaboration entre les régulateurs nationaux ?

Pour moi, l’ERGA pourrait aussi structurer les échanges entre les régulateurs et avoir une fonction plus forte à ce niveau-là pour améliorer la communication et le travail entre les régulateurs. L’ERGA doit pouvoir proposer des critères et des méthodes de travail et agir pour les cas multilatéraux. Notre objectif et notre ambition est d’en faire un forum où l’on collabore et où l’on « construit nos règles » ensemble.


[1] European Regulators Group for audiovisual media services.

[2] Pour plus d’information relative à la compétence territoriale, découvrez notre dossier dédié sur Regulation.be


Entrez dans le dossier « affaires européennes »

   Send article as PDF