LA COOPÉRATION REPRÉSENTE UN RÉEL INVESTISSEMENT, MAIS C’EST AUSSI UNE QUESTION DE VALEURS

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Avec Paul-Eric Mosseray, directeur de la coopération internationale du CSA

En Europe et partout ailleurs dans le monde, les régulateurs de médias sont aujourd’hui confrontés à de nombreux défis qui appellent à des réponses efficaces. Parmi eux, on retrouve la régulation des grandes plateformes dont les effets délétères sur les démocraties ne sont plus à prouver, mais aussi l’importance de renforcer le pluralisme des médias et leur indépendance. Les régulateurs de médias sont des institutions plutôt jeunes, c’est davantage le cas en dehors des frontières européennes où des instances sont nées dans la foulée de révolutions démocratiques. Avec un paysage médiatique qui évolue à grande vitesse, chaque pays doit répondre à ses propres enjeux, mais fait face aussi à des défis globaux qui traversent toutes les frontières. Pour les relever, une partie de la réponse se trouve dans la coopération internationale entre les régulateurs et dans la création de réseaux.

En tant qu’instance ouverte sur le monde, le CSA a fait de la coopération l’une de ses valeurs cardinales. Nous avons invité Paul-Eric Mosseray, Directeur de la Coopération internationale du CSA, pour raconter l’histoire de la coopération qui est arrivée très tôt au CSA. Une histoire qui se renouvelle sans cesse et qui grandit au fil des années.  

La coopération internationale occupe une place importante au CSA. Quelle est son histoire ?

En tant que petit régulateur, très tôt, nous nous sommes ouverts sur le monde pour échanger nos pratiques et renforcer nos expertises. Depuis l’existence même du CSA, nous avons investi en dehors de nos frontières et dans un premier temps sur base de coopérations ponctuelles avec quelques pays. Nous avons aussi pris part assez vite aux activités des réseaux, qui ont commencé à se développer. Il y a d’abord eu l’EPRA (European Plateform of Regulatory Authorities), ensuite le REFRAM qui réunit les régulateurs francophones et aujourd’hui l’ERGA qui réunit les régulateurs de médias de l’Union Européenne et qui occupe une place de plus en plus importante à mesure que les projets législatifs européens se multiplient. Le CSA a toujours un rôle important à l’intérieur de ces réseaux. Nous avons exercé la présidence du REFRAM pendant 2 ans, celle de l’EPRA également et aujourd’hui, nous occupons la présidence de l’ERGA. Pour un petit régulateur comme le nôtre, exercer ces rôles, c’est un choix qui représente un réel investissement.

À côté de ces coopérations à l’intérieur de réseaux, nous avons aussi initié très tôt des projets plus spécifiques et bilatéraux avec d’autres pays et singulièrement en Afrique. Nous avons participé à des projets en RDC ou encore au Burundi, mais une grande évolution s’est opérée il y a 5 ans lorsque nous nous sommes lancés dans un projet de jumelage d’envergure de deux années avec notre homologue en Tunisie.  À partir de là, nous avons véritablement évolué vers des partenariats plus structurels. Avec des fonds européens, ce jumelage a représenté 300 jours de travail à Tunis réalisés majoritairement par des agents du CSA. Quand on sait que nos équipes sont composées d’une trentaine de personnes, ça vous donne une idée du défi à relever.

Quel a été l’impact de ce jumelage dans les relations du CSA avec ses partenaires étrangers ?

Lorsqu’on se lance dans un projet d’une telle ampleur et que ce dernier aboutit avec des résultats positifs, cela a un impact évidemment positif. Nous devenons, en dehors de nos frontières, un régulateur qui compte. Le jumelage a créé un effet de visibilité aussi grâce à son caractère unique. Il s’agit en réalité du tout premier jumelage dans le domaine de la régulation audiovisuelle en Europe et le premier où un acteur de la Fédération Wallonie-Bruxelles joue un rôle principal. Ce projet a inspiré d’autres régulateurs qui nous sollicitent désormais. Cette année, nous avons commencé un projet de partenariat avec le Sénégal et nous avons posé les jalons d’une collaboration future avec le Bénin.

Quand une structure comme le CSA se lance dans des projets de coopération, on suppose que tout cela à un coût ?

Oui la coopération a un coût et même un coût important. Il faut savoir que quand une institution comme la nôtre s’investit dans des projets de coopération structurelle, c’est un choix qui entraîne des conséquences importantes en termes de budget et de ressources humaines. Mais c’est un choix qui trouve aussi ses racines dans les missions et les valeurs dont le CSA s’est doté il y a quelques années Le CSA a de ce fait créé une direction de la coopération internationale, et du personnel y est affecté. Dans le cadre des grands projets comme celui du jumelage, un temps de travail important des experts et des expertes du CSA a été dédié à ces missions et tout cela continue avec les nouveaux projets au Bénin et au Sénégal.

Il ne suffit pas de vouloir s’engager dans des projets de coopération pour y parvenir, il est aussi nécessaire de dégager les budgets nécessaires. Si au départ, nous autofinancions nos projets ponctuels, la coopération coûte chère. Il faut payer les déplacements, les missions sur place, les experts et expertes et aussi tout le travail de préparation en amont. Aujourd’hui, nous bénéficions de fonds externes, dont la Commission Européenne, Wallonie Bruxelles International ou encore l’Organisaton internationale de la Francophonie (OIF) pour financer nos projets. À côté de cela, nos partenaires de coopération eux-mêmes trouvent des fonds. Lorsque l’on initie des collaborations qui fonctionnent, on crée en quelque sorte un tronc commun de relations qui inspirent confiance, sur lequel peuvent venir se greffer de nouveaux projets et de nouveaux financements. C’est un cercle vertueux que l’on cherche toujours à entretenir lorsque l’on initie de nouvelles collaborations.

Le CSA a multiplié ses projets de coopération ces dernières années. Quels sont les enjeux que l’on peut identifier auprès des autres régulateurs avec lesquels nous collaborons ?

Contrairement à certaines institutions, les régulateurs de médias sont des instances plutôt jeunes dans l’histoire. C’est encore plus le cas dans les jeunes démocraties comme la Tunisie. Ce que la coopération apporte, c’est avant tout du soutien et du renforcement des compétences. Personne n’arrive avec un modèle tout fait, mais bien avec de la volonté et une expertise nécessaire pour aider ces régulateurs à évoluer dans des environnements qui sont souvent très dynamiques et qui exigent des changement et adaptations très rapides. 

Ce que l’on apprend, c’est que chaque pays doit faire face à ses propres défis. En Tunisie par exemple, la question du traitement médiatique des élections est une question cruciale. Chez nous, en Europe, nous sommes en pleine transition en ce qui concerne la régulation du paysage numérique. Lorsqu’une institution se trouve dans une période de transition importante, elle a besoin des autres pour avancer. Aujourd’hui, le CSA a besoin du soutien de l’ensemble des autres régulateurs européens pour évoluer et répondre à ses défis ; c’est exactement la même chose pour les Tunisiens, les Béninois, les Sénégalais et tous les autres régulateurs avec lesquels nous aurons peut-être la chance de travailler dans le futur…

Il existe aujourd’hui de plus en plus de réseaux de régulateurs. Je pense qu’il a une carte à jouer à l’avenir, en construisant des ponts entre les réseaux européens qui développent de plus en plus d’expertises face aux nouveaux enjeux et d’autres régulateurs en dehors des frontières européennes. 

Qu’est-ce que la coopération a apporté aux équipes du CSA ?

La première richesse est avant tout humaine. Le Président de la HAICA a dit récemment que la fin du jumelage avec le CSA avait été vécue avec une sorte de tristesse romantique. Ça en dit long sur les relations que l’on tisse entre les personnes impliquées dans un projet de coopération important. Le premier but d’une coopération est de rapprocher les gens entre eux et c’est exactement ce qui se passe. Tout le monde a vécu la fin du jumelage avec la Tunisie avec beaucoup d’émotion.

À côté de cet aspect, lorsque l’on coopère avec des acteurs impliqués dans des enjeux très différents des nôtres, nos réalités sont constamment confrontées. Nos méthodes et leur efficacité sont aussi constamment remises en question. Alors qu’en Belgique, des procédures de contentieux peuvent prendre beaucoup de temps par exemple, nous avons réalisé que dans des pays comme la Tunisie, certains dossiers impliquent une grande urgence sociale. On a vu des colloques sur les élections s’organiser en quelques jours à peine à Tunis. Ce qui serait impensable chez nous, relève du quotidien là-bas et vice et versa.

Dans tous les cas, un projet de coopération promet une expérience professionnelle et humaine d’une grande richesse pour tous les acteurs impliqués.  

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