L’Europe est très diversifiée, mais nous parvenons à créer un socle commun solide

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Regulation.be vous propose un dossier entièrement dédié à la régulation du paysage médiatique européen   

Jamais autant de projets législatifs n’auront été sur la table de la Commission Européenne. Leurs missions, renforcer les droits des citoyens et des citoyennes dans le paysage médiatique, ainsi que la souveraineté européenne digitale. En 2022, le CSA assure la présidence de l’ERGA, le groupe des régulateurs européens de l’audiovisuel. Une structure importante qui conseille la Commission et réunit ses membres pour mettre en place et mieux organiser la régulation du secteur audiovisuel auprès des Etats-membres. Pour mieux comprendre les enjeux des projets législatifs à venir, nous nous sommes entretenus avec Karim Ibourki, Président du CSA belge, mais aussi de l’ERGA.  

Le CSA belge préside l’ERGA depuis le début de cette année. Avec tous les projets européens de régulation en cours et la guerre en Ukraine qui questionne lourdement la désinformation en Europe, on peut dire que le programme de l’ERGA se veut bien chargé en 2022. Comment le CSA a entrepris cette présidence à un moment plutôt critique ?  

Face aux défis qui nous attendent, nous devons impérativement apporter une réponse. Nous sommes dans une situation critique depuis longtemps en ce qui concerne la régulation du paysage médiatique. On voit très bien que la place du débat européen prend de plus en plus d’ampleur et est même devenu prépondérant pour répondre à des thématiques vitales, comme la régulation des réseaux sociaux, des plateformes en ligne, ou encore la désinformation.  

Dans ce contexte, l’ERGA est une jeune instance qui a été instituée dans le cadre de la nouvelle directive sur les Services de Médias Audiovisuels (DSMA) pour coordonner le rôle des régulateurs nationaux. Depuis, nous sommes de plus en plus sollicités car on se rend compte que notre travail d’expertise et de recherche est très important, pour la Commission, mais pas seulement. En effet, les autres régulateurs et, singulièrement, les plus petits qui n’ont pas suffisamment de ressources et peuvent aussi compter sur l’appui des autres dans le cadre de l’ERGA. Notre rôle, en tant que CSA belge, c’est de s’assurer, durant notre présidence à l’ERGA, que les travaux soient bien coordonnés et que les grands objectifs du groupe soient atteints.  

On comprend que l’ERGA est un une instance qui dépend de ses membres. Est-ce que l’ERGA bénéficie de fonds pour mener à bien ses missions ? Comment s’assurer de la continuité d’un tel groupe sans moyens structurels ? 

L’ERGA ne dispose d’aucune ressource, humaine ou financière structurelle et c’est d’ailleurs l’un des plus gros problèmes que nous identifions à court et moyen terme. Pour le moment, l’ERGA donne tout ce qu’il peut, mais sur la base bénévole de ses membres. Pour rester efficace, l’ERGA ne pourra pas rester en l’état, la structure devra nécessairement évoluer et bénéficier de ses propres moyens. Même lorsque l’on discute avec de plus gros régulateurs, comme les Allemands ou les Français, ils expriment des difficultés pour suivre toutes les initiatives sur la table. Imaginez les autres de plus petite taille… L’ERGA devra se doter de fonds propres, peut-être d’un secrétariat indépendant, pour assurer sa pérennité.    

Le 27 février dernier, la Commission Européenne annonçait une mesure historique par la voie de sa Présidente Ursula von der Leyen. Les médias contrôlés par l’Etat russe seraient prochainement interdits au sein de l’Union européenne. Quelle a été la réaction des régulateurs et de l’ERGA ?  

Cette situation est complétement inédite et a mené à une réponse inédite de la Commission Européenne qui a décidé d’interdire certains médias russes. Le 6ème paquet de sanctions est encore venu allonger la liste des médias concernés.  Je rappelle que ces décisions sont envisagées sous l’angle des sanctions économiques et non pas en vertu du droit des médias. Certains régulateurs avaient déjà pris des mesures individuelles. L’Europe a décidé d’avoir une politique uniforme et a étendu cette interdiction à l’ensemble des membres. On a bien vu que les régulateurs nationaux n’étaient pas équipés pour agir de concert. Même si nous sommes conscients que les médias sanctionnés sont des agences gouvernementales plutôt que des médias d’information libres et indépendants, il n’empêche que les interdire n’est absolument pas anodin et provoque des réactions variées dépendant des sensibilités des Etats-membres.  Ces sanctions n’ont évidemment pas le même écho entre les pays membres de l’Union Européenne dont une partie de leur population est russophone. 

Ce que nous voulons, en tant que régulateur des médias, c’est que de telles décisions puissent à l’avenir être envisagées dans le droit des médias. Nous avons émis une série de recommandations en ce sens et l’ERGA se penche sur des pistes pour permettre d’anticiper, dans les règlements européens à venir, la question des médias sous l’influence ou le contrôle d’Etats tiers.  

Vous pensez à l’European Media Freedom Act (EMFA) ?  

Principalement oui. L’EMFA est un projet législatif de la Commission Européenne qui aura pour mission de protéger l’indépendance des médias et de sauvegarder leur pluralisme au sein des pays membres de l’Union. Se pose la question de définir ce qu’est exactement un média libre et indépendant. C’est dans ce contexte qu’il y a très certainement une carte à jouer. L’ERGA a demandé à la Commission de pouvoir réfléchir à une solution structurelle dans le cadre de l’EMFA pour mieux appréhender les médias détenus par des puissances étrangères sur la question des principes d’indépendance et de la liberté de presse. Un premier texte de l’EMFA devrait être présenté en septembre de cette année par la Commission.  

Depuis quelques mois, on voit que les projets de règlements européens destinés à mieux réguler le paysage médiatique se sont multipliés. Est-ce qu’autant de règlements sont nécessaires ? Ne risque-t-on pas de se perdre en multipliant les initiatives ?  

Quand on regarde le monde digital d’aujourd’hui, nos problèmes de souveraineté à l’échelle européenne sont très variés et complexes. Ils touchent à la question du statut juridique des grandes plateformes souvent au centre de nos préoccupations, comme les réseaux sociaux, à la désinformation, la propagande de guerre aujourd’hui, les discours de haine, la protection des mineurs en ligne, bref à une pléthore de sujets tout aussi essentiels que différents les uns des autres. 

Dans ce contexte, un seul règlement ne peut pas d’un claquement de doigt régler tous nos problèmes. Je pense que, au contraire, les initiatives mises en place pour le moment sont complémentaires. Il y a d’une part le Digital Services Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA) qui vont enfin ramener les grandes plateformes en ligne dans le giron de la régulation européenne avec une série d’obligations qui devraient diminuer leurs effets délétères sur les citoyen.ne.s et sur nos démocraties. On a ensuite le Code des bonnes pratiques en Désinformation qui, correctement appliqué et monitoré, devra diminuer l’impact de la désinformation sur nos réseaux, même si, contrairement au DSA qui est un règlement contraignant, le Code relève davantage de l’autorégulation. On retrouve aussi un autre projet de règlement pour encadrer le ciblage et la transparence de la publicité politique en ligne. Enfin, vous l’avez cité, il y a l’EMFA qui aura quant à lui l’ambition de renforcer et de préserver deux valeurs cardinales en Europe, à savoir l’indépendance et le pluralisme des médias.   

Est-ce que le CSA apporte une touche belge à la présidence de l’ERGA 

Je pense que nous avons plusieurs spécificités davantage liées à notre taille. Nous représentons un régulateur de taille moyenne et nous ne sommes donc pas perçus par les autres comme étant dominant avec la volonté d’imposer nos choix dans les travaux en cours. En réalité c’est un réel avantage, car nous sommes dès lors de bons médiateurs pour trouver le juste compromis sur certains dossiers. On l’a dit, cette année a amené son lot de sujets sensibles et le dialogue a été absolument important pour dégager des solutions.  

Je dirais aussi, et c’est une fierté, que nous avons au CSA une équipe multiculturelle, notamment dans les affaires européennes. Même si nous sommes finalement peu nombreux, nous avons la possibilité de nous adresser à un certain nombre d’autres régulateurs dans leur propre langue et nous sommes aussi capables de faire preuve d’empathie et de comprendre la réalité des autres.  

Sans vouloir tomber dans un vieux cliché sur le “compromis à la belge”, je pense que finalement nous l’incarnons bien !  

Durant la 17ème plénière de l’ERGA, un participant a rappelé que le régulateur allemand (qui a présidé l’ERGA en 2020 et 2021) est tombé sur la crise sanitaire et que le CSA belge lui, doit gérer les sanctions européennes sur fond de guerre en Ukraine… On assiste depuis trois ans à une succession de crises. L’année prochaine, ce seront les Italiens qui présideront l’ERGA. Comment appréhendent-ils la présidence du groupe ?  

Un an de présidence c’est peu, mais c’est beaucoup pour un régulateur comme le CSA et plus encore avec des crises inattendues qui sont venues s’ajouter au programme. Nos amis italiens, qui devraient prendre la présidence en 2023, seront amenés à poursuivre les mêmes thématiques, mais j’ai le sentiment que leur présidence sera marquée par l’aboutissement de solutions durables sur le plan de la régulation de l’audiovisuel européen. Nous sommes traversés par des crises, mais l’Europe est en train de mettre en place son arsenal de mesures pour renforcer sa souveraineté. Ces textes, que nous discutons actuellement, ont une grande valeur, car ils sont avant tout pensés pour protéger nos citoyen.ne.s et nos valeurs.  

L’Europe est très diversifiée, avec des sensibilités et des visions parfois très différentes, mais nous parvenons à créer un socle solide entre nous…et nous avons encore 6 mois de travail devant nous ! 

En savoir plus sur les projets législatifs européens en cours 

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