« L’Europe est incontournable pour gérer les défis digitaux de demain »

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Entretien : Anahi Vila et Michele Failla (CSA) 

Regulation.be vous propose un dossier entièrement dédié à la régulation du paysage médiatique européen 

Nous vous emmenons dans le service des Affaires Européennes du CSA. Cette année représente une période toute particulière pour cette unité qui coordonne également, pour un an, la présidence de l’ERGA, le groupe des régulateurs européens de l’audiovisuel. Ce réseau a pour mission de conseiller la Commission sur les nombreux projets législatifs en cours, mais aussi de réunir ses membres pour mieux organiser la régulation du secteur audiovisuel au sein des Etats-membres. Une tâche qui s’avère aussi riche qu’intense, dans une année marquée par un nombre historique de dossiers, mais aussi par des actualités comme la guerre en Ukraine.  

Le CSA occupe la présidence de l’ERGA depuis le début de l’année 2022. Comment s’est déroulée la préparation de cette nouvelle mission ? 

AV : Préparer la présidence d’un réseau comme l’ERGA a représenté beaucoup d’efforts. Il était d’abord nécessaire de prendre contact avec l’ensemble des régulateurs membres de l’ERGA pour dialoguer et préparer le programme de travail de l’année. Il a fallu ensuite dresser nos priorités pour la présidence. Nous avons eu la chance d’avoir des prédécesseurs très efficaces. Nos collègues allemands, qui ont occupé la présidence de l’ERGA en 2020 et 2021, ont vraiment pris le temps nécessaire pour assurer le suivi avec nous.  

Avec autant de dossiers sur la table des affaires européennes et des projets de règlements européens majeurs comme le Digital Services Act, une structure telle que l’ERGA parvient-elle à suivre le rythme ?  

AV : On n’a jamais eu autant de dossiers législatifs à l’ERGA. C’est du jamais vu. Jusqu’en décembre 2020, les régulateurs au sein de l’ERGA traitaient quasi exclusivement de la directive sur les Services de médias audiovisuel, communément appelée la Directive SMA. Ensuite, se sont ajoutés le Règlement sur les services numériques (Digital Services Act), la proposition de Règlement sur la transparence et le ciblage de la publicité à caractère politique ainsi que les travaux préparatoires portant sur la future loi européenne sur la liberté des médias plus connue sous l’appellation anglaise European Media Freedom Act dont la consultation publique a été lancée par la Commission européenne dès le mois de janvier 2022 et enfin la révision du code de bonnes pratiques sur la désinformation qui vient tout juste d’être proposée. On est donc passé d’un à cinq dossiers majeurs sur le plan de la régulation des médias à l’échelle européenne. Pour chacun d’eux, l’ERGA définit ses priorités, constitue un forum adéquat pour l’échange de bonnes pratiques, fournit une expertise et contribue à leur mise en œuvre au sein de chaque Etat Membre.  

MF : Ce qu’expose Anahi pointe en réalité une question centrale, celle des ressources dont disposent les régulateurs pour assurer le suivi des dossiers européens, ainsi que les travaux de l’ERGA. En effet, nonobstant l’importance des dossiers à traiter, l’ERGA ne dispose d’aucun budget propre pour assurer ses missions. Sa structure repose essentiellement sur celles de ses membres.  

Sur le plan national, pour des régulateurs de petite/moyenne taille, comme le CSA, la question des ressources est très importante. Au CSA, nous sommes que deux personnes pour traiter les dossiers européens et cette année nous avons aussi du assurer la gestion de la présidence de l’ERGA. Il faut  ajouter à cela que le 2022 a été une année historiquement chargée en actualité. Une enquête interne auprès des membres de l’ERGA a montré que seule une petite partie des régulateurs nationaux ont reçu des budgets complémentaires pour assurer l’implémentation de la directive SMA.  

Est-ce que le CSA apporte une touche particulière à l’ERGA ?  

AV : Je ne pense pas que l’on apporte une touche en particulier, mais ce qui est certain, c’est que nous avons une force dans le dialogue. Pour arriver à un compromis dans la plupart des dossiers, ce dialogue est absolument indispensable et je trouve que notre Président et nos équipes incarnent ce rôle. Bon nombre de dossiers sont parfois très sensibles et le rôle de la Présidence, c’est aussi de trouver le bon compromis entre les régulateurs et de donner un certain tempo. La bonne coopération avec les Membres du Board, les Président.e.s des trois Sous-groupes, du Groupe d’action et du Groupe de Liaison de l’ERGA est absolument fondamentale. En plus du dialogue, nous nous efforçons à ouvrir l’ERGA vers l’extérieur.  

MF : J’ajouterais également que nous avons aussi permis de renforcer, voire de créer de nouvelles collaborations, ce qui est à mon sens fondamental pour avoir un poids réel. Nous dialoguons constamment avec la Commission européenne et au même temps, nous avons initié une série de rencontres avec les colégislateurs. D’un côté le Parlement européen que nous avons rencontré par le biais de la Commission CULT. De l’autre côté, la représentation permanente française auprès de l’UE qui a géré la présidence du Conseil de l’UE pendant les six premiers mois de 2022.  En outre, nous avons instauré un dialogue structurel avec un panel d’acteurs comme l’EDMO, l’EBU, et ACT. Nous avons enfin renforcé notre partenariat avec l’EPRA, ce qui représente aussi une étape importante.  

En mars dernier, l’interdiction des médias russes dans l’UE est venue bouleverser le programme de l’ERGA. Quel a été le rôle du CSA dans cette actualité ?  

AV : Lorsque l’annonce est tombée, nous avons été immédiatement mobilisés. À l’initiative de notre Président, les régulateurs des États baltes et de la Pologne se sont réunis avec nos collègues de l’ARCOM (anciennement CSA France), pour entamer un dialogue à propos des chaînes bloquées sur les territoires estonien, letton, lithuanien et polonais.  Même s’il s’agit de sanctions économiques, elles ne sont pas anodines et continuent d’alimenter les travaux de l’ERGA. Un « discussion paper » visant à évaluer les manquements et les fragilités dans les bases légales existantes par rapport aux médias sous contrôle/influence d’Etats tiers, est d’ailleurs sur la table.  

MF : Nous avons mis en place, dans le cadre du sub-groupe 3 dédié à la lutte contre la désinformation et le renforcement de la démocratie dans l’environnement digital, une task-force sur les questions de désinformations liées à la guerre en Ukraine. Cette dernière est venue pointer, une fois de plus, les enjeux que représentent cette réalité. Le véritable défi aujourd’hui est d’anticiper les futurs enjeux pour éviter de se retrouver dans une nouvelle situation de crise sans un cadre légal précis en place. On peut clairement dire   que la guerre en Ukraine représente un challenge pour la présidence du CSA à l’ERGA.  

Que nous réserve la seconde partie de l’année en matières européennes ?  

MF : Le projet phare est sans doute le Digital Services Act (DSA). Les attentes autour de ce règlement sont très élevées, car c’est le seul et unique règlement qui pourra apporter un cadre régulatoire ambitieux aux grandes plateformes en ligne. Tout l’enjeu sera d’être en mesure d’implémenter efficacement ces nouvelles mesures au sein de chaque Etat-membre. Autre gros morceau, le projet législatif de l’European Media Freedom Act (EMFA). La Commission devrait présenter un premier projet de loi juste après l’été. Ce dernier touche à une thématique de taille car il a pour objectif de renforcer le pluralisme des médias en Europe et l’indépendance des rédactions. En outre, il faudra résoudre de manière plus structurée la question des médias extra-européens qui transmettent leurs programmes en Europe ainsi que celle de la “media exemption”. On peut enfin citer le projet de règlement sur la transparence et le ciblage de la publicité politique qui devrait entrer en vigueur, dans l’ambition de la Commission, avant les élections européennes de 2024. 

AV : Il ne faut pas oublier que la Directive sur les Services de médias audiovisuels révisée telle qu’adoptée en 2018 implique un suivi important de la part de l’ERGA. Certains États membres comme l’Irlande, n’ont pas encore transposé la directive. C’est un défi important qu’il ne faut pas négliger.   

MF : On ne sait pas encore à quoi ressemblera le paysage médiatique de demain, mais il est certain que le digital va prendre de plus en plus de place et que chaque nouvelle évolution sera aussi un nouveau défi pour nous. Les autorités de régulation en effet devront trouver leur nouvelle place dans ce nouveau panorama médiatique. 

AV : Quelles que soient ces évolutions futures, l’histoire récente nous a montré que la solution passera par le renforcement de la coopération au niveau européen et des instruments législatifs au niveau européen. L’Union européenne est devenue incontournable pour gérer les défis digitaux de demain.  

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