L’Europe en marche pour renforcer le pluralisme et l’indépendance des médias

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Avec Frédéric Bokobza, Directeur Général Adjoint de l’ARCOM 

Regulation.be vous propose un dossier entièrement dédié à la régulation du paysage médiatique européen   

En savoir plus sur les projets législatifs européens en cours 

L’Arcom (régulateur de l‘audiovisuel français) préside cette année le groupe de travail de l’ERGA (le groupe européen des régulateurs de l’audiovisuel) sur le futur de la régulation européenne des médias. À ce titre, il a piloté l’élaboration de la réponse de l’ERGA à la consultation publique de la Commission sur le futur l’European Media Freedom Act (EMFA). Concrètement, leur rôle consiste à faire des propositions et ensuite à recueillir les avis des différents membres, à conduire les débats et à dégager une position qui fera consensus et pourra être adoptée par l’ERGA. Un travail important qui a permis de rassembler bon nombre d’avis. Il faut dire que l’EMFA est une grande première européenne et aura l’importante mission de renforcer le pluralisme et l’indépendance des médias en Europe. Aux commandes de ce vaste chantier, on retrouve Frédéric Bokobza, Directeur Général Adjoint de l’ARCOM.  

Vous avez la charge de la coordination des travaux de l’ERGA relatifs à l’EMFA pour l’European Media Freedom Act. Concrètement en quoi consiste ce projet et quel sera son impact sur les médias ?   

L’objectif de la Commission, à travers le futur EMFA, est de renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias en Europe, car ils sont des piliers essentiels des systèmes démocratiques fondés sur l’État de droit et figurent au nombre des valeurs fondamentales de l’Union européenne. Ceci sera bénéfique pour les citoyens et les citoyennes européennes qui auront accès à une offre médiatique diversifiée pour se forger une opinion libre et éclairée et nourrir ainsi le débat démocratique. En ce qui concerne le secteur des médias, si des nouvelles obligations sont envisagées pour accroître la transparence ou garantir l’indépendance éditoriale, d’autres règles viendront garantir un marché médiatique européen mieux réguler au niveau national et européen. La Commission a indiqué qu’elle entendait s’appuyer fortement sur l’ERGA et ses membres pour la mise en œuvre de l’EMFA, ce dont nous nous réjouissons. Cela signifie qu’il y aura pour nous tous un enjeu de transformation et de montée en puissance. 

L’un des grands projets de l’EMFA est lié à la sauvegarde du pluralisme des médias en Europe. L’ERGA, entre autres, a souligné l’importance d’assurer l’indépendance éditoriale des médias. De quelle manière s’en assurer ?  

Vaste et sensible question, qui n’a sans doute pas de réponse unique et définitive ! La réponse européenne devra capitaliser de manière souple sur les différentes expériences nationales (en France, une loi de 2016 traite précisément de cette question), qu’il s’agisse par exemple de l’institution de conseils de journalistes ou encore de la mise en place, au sein-même des sociétés éditant des médias, de comités d’éthique dotés de moyens et d’une gouvernance garantissant leur indépendance effective.  

Cette question de l’indépendance éditoriale des médias ne prend-elle pas un sens nouveau quand on l’envisage sous l’angle de la guerre en Ukraine et singulièrement des médias russes désormais sanctionnés par l’UE ?  

Bien sûr, la guerre en Ukraine a été un grand bouleversement à maints égards pour l’Europe. Il est frappant depuis son origine qu’il s’agit notamment d’une guerre informationnelle. Elle ne peut que nous rappeler la nécessité d’agir fermement contre des médias qui diffusent massivement des informations fausses ou manipulées dans le but d’inciter à la haine ou au meurtre. Et, dans le même temps, nous ne devons jamais perdre de vue les principes fondamentaux qui distinguent nos démocraties fondées sur l’Etat de droit, au premier rang desquels la liberté d’expression et de communication. Nous le savons bien, dégager et maintenir cet équilibre délicat est l’une des principales raisons d’être des régulateurs tels que le CSA, l’Arcom ou nos homologues européens. 

C’est la raison pour laquelle, très rapidement après le début du conflit, nous avons mis en place, au sein du groupe que nous présidons à l’ERGA, une task-force spécialement dédiée à la question des médias sous le contrôle ou sous l’influence d’Etats tiers, afin de conseiller la Commission européenne sur des améliorations du cadre européen qui devraient être envisagées, en particulier dans l’EMFA. 

Les notions de pluralisme et d’indépendance éditoriale ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Comment Un tel projet législatif pourrait s’appliquer de la même manière au sein de l’ensemble des Etats-Membres. Quels seraient les standards à mettre en place pour assurer le pluralisme et l’indépendance des médias au regard du politique et des groupes privées ?  

Il y a une vraie diversité des cultures, des cadres législatifs nationaux et des pratiques à cet égard. Il ne s’agit certainement pas de les nier ni de vouloir imposer des règles précises et détaillées qui seraient les mêmes partout – au risque de saper des pratiques nationales qui fonctionnent bien. En revanche, l’EMFA devrait fixer un cadre et des objectifs communs clairs à l’échelle européenne, ainsi que des mécanismes de supervision permettant de s’assurer que, par-delà la diversité des situations nationales, les objectifs fondamentaux de pluralisme et d’indépendance éditoriale fixés seront atteints. L’ERGA et ses membres nous semblent clairement avoir un rôle à jouer en la matière. 

Quels sont les prochaines étapes avant que l’EMFA ne voit le jour ?   

Depuis la clôture de la consultation publique fin mars, la Commission européenne est en train d’analyser tous les enjeux et les conséquences des différentes options considérées pour l’EMFA. Après la finalisation de cette étude d’impact, la Commission fera une proposition législative, probablement en septembre. À partir de là, le Conseil et le Parlement européen se saisiront du dossier pour adopter dans les mois qui suivront leurs positions respectives et, ensuite, négocier ensemble pour arriver à un compromis. Pour notre part, à l’ERGA, nous contribuerons à ces débats en adoptant dans les mois qui viennent notre position et nos propositions concrètes, qui seront fondées sur la diversité de nos expériences nationales. Ce sera l’un de nos beaux chantiers pour l’automne à venir ! 

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