Avec Luboš Kukliš, Directeur général de l’autorité de régulation des médias de Slovaquie, membre du Board de l’ERGA
La problématique de la désinformation en Europe et ses effets sur les citoyens et les citoyennes appelle à une réponse commune. Cette volonté se traduit désormais par la mise en route d’un arsenal législatif européen dont la finalité est de limiter sa propagation, mais aussi plus globalement de renforcer la souveraineté numérique de l’Europe et des Etats-membres. En tant qu’organe de conseil de la Commission Européenne, l’ERGA réunit les autorités de régulation nationales des services de médias audiovisuels pour monitorer l’implémentation des directives et règlements, mais aussi pour analyser les projets législatifs en cours. Nous nous sommes entretenus avec Luboš Kukliš. Directeur général de l’autorité de régulation des médias en Slovaquie qui préside également le groupe de travail de l’ERGA dédié à la désinformation.
La Commission adoptera bientôt une nouvelle version du Code des Pratiques en Désinformation. En quoi consiste ce code ? Y-a-t-il d’autres initiatives qui touchent à cette problématique ?
Le Code des Pratiques en Désinformation a été introduit en 2018 et se présente comme un mécanisme d’autorégulation des médias qui s’engagent, de manière volontaire, à mettre en place une série de mesures pour lutter contre la désinformation. Leurs engagements incluent la transparence de la publicité politique, le contrôle des placements publicitaires, ainsi qu’une responsabilisation des utilisateurs et de la communauté des chercheurs. Depuis la mise en place du Code, l’ERGA a monitoré son implémentation et a publié plusieurs rapports comportant des recommandations précises pour améliorer son efficacité. Aujourd’hui, une nouvelle version du Code qui tient compte d’une partie importante de ces recommandations a été adoptée.
À côté de ce Code, il existe d’autres initiatives, comme des programmes d’éducation aux médias soutenus par la Commission qui jouent un rôle prépondérant pour accroître la prise de conscience du problème de la désinformation, ainsi que leur niveau de résilience. On retrouve également des initiatives telle que le projet de règlement de la Commission sur la transparence et le ciblage de la publicité politique qui touchent plus spécifiquement à la problématique d’ingérence étrangère. Ce règlement, qui concernera à la fois les médias en ligne et hors ligne, imposera de la transparence sur le financement et le placement de la publicité politique sur les plateformes en ligne.
La désinformation prend désormais une place importante dans le débat européen. Quel est le rôle de l’ERGA sur cette problématique en particulier ?
Avec l’ERGA, les autorités de régulation des médias ont une grande expérience concernant la modération des contenus et plus particulièrement sur les questions de désinformation. Depuis 2018, l’ERGA a été impliqué dans le monitoring et l’implémentation du Code des Pratiques en Désinformation et produit de nombreux rapports et des recommandations pour améliorer les mécanismes du Code. L’ERGA a également monitoré la préparation du nouveau Code, tout récemment révisé, notamment en recueillant l’expertise d’une série d’acteurs dont des signataires de ce Code tels que les réseaux sociaux.
L’ERGA aura l’importante mission d’observer l’application de ce nouveau Code. Le rôle de l’ERGA sera donc aussi de poursuivre ses efforts pour protéger les droits fondamentaux comme la liberté d’expression et dans le même temps, promouvoir la transparence et le pluralisme des médias.
La guerre en Ukraine et les sanctions adoptées par le Conseil de l’Union Européenne a montré à quel point la question de la désinformation est importante. Comment cette actualité a impacté l’approche de l’Europe à ce sujet ?
La crise sanitaire a déjà montré que le phénomène de la propagation de la désinformation, particulièrement dans l’environnement en ligne, engendre de sérieuses conséquences sur la cohésion sociale au sein des Etats-membres. La guerre en Ukraine est un nouveau contexte qui montre que la désinformation joue un rôle important sur l’influence de l’opinion publique. La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont mis en lumière la complexité du phénomène, mais ont également souligné le besoin d’apporter une réponse européenne efficace pour contrer ses effets néfastes et introduire de véritables barrières pour protéger les valeurs fondamentales, les libertés et le pluralisme des médias en Europe.
L’Union Européenne et de nombreux Etats-membres étaient déjà largement impliqués dans la mise en œuvre de politiques destinées à contrer la désinformation bien avant 2020. Les crises actuelles ont permis d’élargir ces initiatives qui avaient besoin d’ajustements. Le Digital Services Act (DSA) et le Code des Pratiques en Désinformation ont été négociés entre la crise sanitaire et la guerre en Ukraine et se sont nourris tous les deux de ces contextes.
On observe que les projets législatifs européens se multiplient pour réguler l’environnement en ligne. On pense notamment au Digital Services Act (DSA), à l’European Media Freedom Act (EMFA) et au règlement sur la transparence et le ciblage de la publicité politique. Est-ce que ces initiatives sont complémentaires pour lutter contre la problématique de la désinformation ?
Il y a un lien très clair entre le Code des Pratiques en Désinformation et le Digital Services Act (DSA), puisque le Code sera référencé dans le DSA et fera partie du mécanisme d’évaluation des risques. De son côté, le projet de règlement sur la publicité politique de la Commission fait référence à plusieurs endroits aux mesures antérieures prises par l’Union Européenne contre la désinformation et introduit des obligations très spécifiques comme un niveau élevé en matière de transparence pour les plateformes et un renforcement de la position des autorités de régulation lors de l’évaluation de la conformité de l’ensemble des obligations. En 2020, la Commission a aussi mis en place le « Plan Européen pour la Démocratie » qui a pour but de maintenir toutes ces initiatives en place et poursuivre l’objectif général de prévenir des effets de la désinformation sur la confiance des citoyens et citoyennes envers les institutions et la démocratie en général.
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