Avec Jehanne Berge, du collectif AdLens
En savoir plus sur les projets législatifs européens en cours
La Commission Européenne prépare un nouveau règlement sur la transparence et le ciblage de la publicité politique. Celui-ci devrait permettre de limiter les abus et les effets des campagnes publicitaires à caractère politique sur les réseaux sociaux, en imposant des obligations sur l’ensemble de la chaîne des valeurs de la publicité politique. Le règlement a également pour objectif d’assurer la transparence des campagnes publicitaires politiques, que ce soit sur les services en ligne mais également hors ligne. Cette approche harmonisée de l’implémentation des valeurs et des droits fondamentaux de l’UE, représente une étape importante dont la finalité est de renforcer la démocratie en Europe. La Belgique est l’un des Etats dont les partis dépensent le plus sur les réseaux sociaux. Nous nous sommes entretenus avec le collectif Adlens pour mieux connaître le contexte belge de la publicité politique.
Adlens publie régulièrement les données relatives aux publicités politiques sur les réseaux sociaux. Comment expliqueriez-vous votre rôle au sein de la société ?
En 2019, Facebook a lancé une bibliothèque publicitaire, mais celle-ci se révèle assez technique et complexe à consulter de manière optimale. Dès lors, faute de sources claires et fiables, les articles de presse à propos des campagnes politiques sur Facebook étaient rares et/ou les données publiées se révélaient parfois incorrectes. AdLens est un collectif (journalistes, analystes de data et experts des ads Facebook) qui tente depuis fin 2020 de pallier ce problème de transparence de données. Nous publions des rapports complets. Nous partageons nos recherches avec les journalistes, les citoyen.ne.s, les politiques, d’autres chercheur.euse.s et toute personne intéressée.
La Belgique est un des pays européens où les partis/personnalités de partis investissent le plus massivement dans la publicité sur les réseaux sociaux. Comment expliquez-vous ce constat ?
Pour nous, les questions de dotation des partis et des dépenses sur les réseaux sociaux sont liées. Comme observé dans les comptes des résultats des partis [1], les dépenses en communication sont importantes mais elles le sont moins que par le passé et varient fortement entre les couleurs politiques. La crise sanitaire a accéléré la tendance au digital. Il est important de rappeler que contrairement à l’argent dépensé pour la communication classique, l’argent public investi sur les RS revient directement aux GAFA.
Autre constat : la plupart des autres pays européens organisent sur les RS des campagnes de publicités politiques qui démarrent 6 mois avant les élections et se terminent après celles-ci. En revanche, en Belgique, nous sommes en campagne permanente. En 2019, après les élections, le Vlaams Belang a annoncé que le parti allait continuer de réaliser des campagnes sur Facebook, les autres partis ont suivi cette tendance. Aujourd’hui, la course est menée au nord du pays par le Vlaams Belang et la N-VA.
Comment décririez-vous l’impact de ces campagnes politiques sur les démocraties européennes ?
Il faut relativiser leurs effets. Les campagnes Facebook ne garantissent pas un impact sur les votes. C’est la répétition des messages sur les différents canaux qui influencent le choix des indécis.
Cependant, plusieurs études[2] montrent un lien entre la grande quantité de publicités en ligne, la désinformation et la polarisation. La lanceuse d’alerte Frances Haugen a par ailleurs déclaré qu’en dehors des États-Unis et des pays anglophones, la plateforme n’est pas en mesure d’opérer un contrôle suffisant sur les contenus.
La Commission européenne a publié une proposition de Règlement sur la transparence et le ciblage de la publicité à caractère politique. Ce règlement voudrait imposer une série d’obligations de transparence aux fournisseurs de services de publicité politique, donc aussi aux plateformes qui la permettent afin de garantir davantage de transparence sur les réseaux sociaux. Ce règlement va-t-il dans le bon sens pour vous ? Quels seraient les éléments les plus urgents à réguler selon vous ?
Oui, c’est une bonne chose bien entendu. Mais si le règlement va dans le bon sens, rappelons que la transparence ne suffit pas, la question de la récolte des données est centrale également.
Concernant la prévention, on observe que même si des règles existent, il y a des détournements et une grande difficulté à sanctionner.
Vous avez carte blanche, que faudrait-il faire pour mettre en place un environnement numérique plus sain et respectueux des droits fondamentaux ?
Voici quelques pistes de réflexions…
- Le refus en un clic d’être ciblé selon ses données.
- Le refus de recevoir des publicités à caractères politiques.
- Comment lutter contre les détournements de règles ? Comment dénoncer? Comment protéger les victimes ? Comment faire si la plateforme n’agit pas? Pour répondre à ces questions, il serait nécessaire de mettre en place des outils spécifiques par exemple au niveau de la justice et/ou d’une instance en charge de la sécurité en ligne.
- Il pourrait être intéressant de mettre en place, au niveau européen, une institution indépendante de contrôle des algorithmes et des intelligences artificielles en amont de leur implémentation. En encourageant les réactions, les réseaux sociaux s’inscrivent dans une logique qui peut entraîner le harcèlement et la polarisation. Aussi, l’algorithme tel qu’il est, entraîne un phénomène de bulles informationnelles et renforce les stéréotypes.
- Concernant la campagne permanente, en Belgique, on pourrait réfléchir à instaurer une période sans campagne après les élections, ou des alternatives pour limiter ce phénomène. En 2019, des employés de Facebook ont écrit une lettre publique[3] afin de changer les règles internes des ads politiques. Ils ont proposé d’obliger une “cooldown period”, une période après les élections sans publicités politiques, et ce pour éviter la polarisation.
- Les dépenses ou outils de communication en période électorale sont cadrés, mais il serait nécessaire de les adapter au web et/ou de limiter le plafond des dépenses sur les RS tout au long de l’année.
[1] https://www.rtbf.be/article/que-font-les-partis-politiques-avec-votre-argent-10807971
[2] https://theconversation.com/targeted-ads-isolate-and-divide-us-even-when-theyre-not-political-new-research-163669
[3] https://www.nytimes.com/2019/10/28/technology/facebook-mark-zuckerberg-letter.html