Avec Agnieszka Katner, ARCOM
DSA, ce mot fera prochainement partie intégrante du paysage numérique européen. Le Digital Services Act est “le” projet de règlement phare de la Commission Européenne destiné à réguler le web et singulièrement les plateformes en ligne en imposant, notamment, des obligations de modération et de transparence. Il met fin à une longue période d’autorégulation de ces plateformes et permettra de limiter enfin leurs effets délétères sur les citoyens et les citoyennes européennes. Le DSA représente enfin un projet législatif unique au monde qui place l’Europe dans une position de précurseur. Nous avons poussé la porte d’Agnieszka Katner, spécialiste des affaires européennes de l’ARCOM (le régulateur des médias en France). Au sein de l’ERGA (groupe des régulateurs européens de l’audiovisuel), l’ARCOM est notamment en charge de coordonner les travaux du groupe et le suivi dédié à la mise en œuvre de ce projet de règlement majeur.
Vous avez eu la charge de la coordination des travaux de l’ERGA relatifs au Digital Services Act. On a souvent présenté cette proposition législative comme étant le seul règlement ambitieux au monde pour réguler les réseaux sociaux. Concrètement, quel sera l’impact d’un tel règlement ?
L’objectif du DSA est de rendre l’Internet plus sûr pour les utilisateurs et utilisatrices, et notamment les mineur.e.s, dans toute l’Union européenne de façon cohérente, coordonnée et respectueuse de la liberté d’expression. Dans une approche asymétrique, les différents services numériques seront soumis à des règles différentes en fonction de leur nature et de leur taille. Ainsi, les très grandes plateformes numériques (en particulier les grands réseaux sociaux et moteurs de recherche) auront des obligations de diligence et de transparence beaucoup plus strictes, proportionnellement aux risques qu’elles peuvent présenter par rapport à des phénomènes négatifs comme la haine en ligne, la désinformation, le non-respect de droits fondamentaux. Ces plateformes devront ainsi procéder à des analyses régulières et approfondies des risques qu’elles pourraient faire encourir aux internautes, et surtout concevoir et mettre en œuvre des mesures pour les atténuer. Le tout se fera sous la supervision d’autorités de régulation nationales – ainsi que sous celle de la Commission européenne pour les très grandes plateformes –, qui pourront au besoin imposer des sanctions financières substantielles.
L’ERGA a suivi de très près la finalisation du DSA. Un accord provisoire entre la Conseil est en train d’être approuvé. Comment les choses vont s’enchaîner maintenant ?
Il est très probable que le texte soit définitivement adopté d’ici septembre par les deux co-législateurs, une fois les différentes versions linguistiques finalisées. Le DSA devrait ensuite entrer en vigueur à l’automne. L’entrée en application se fera en deux temps : les très grandes plateformes et moteurs de recherche devront se mettre en conformité dès le premier semestre 2023 ; pour les autres services numériques, la date limite sera très probablement janvier 2024.
Un des enjeux du DSA sera sa mise en œuvre partout en Europe. Comment sera-t-elle assurée de manière efficace et homogène dans l’ensemble des Etats-Membres ? De plus, quelles structures devront mettre en place les Etats-membres à ce propos ? Quel rôle sera appelée à jouer l’ERGA ?
Le DSA, qui crée une véritable régulation européenne des services numériques, prévoit également des dispositions pour la mise en œuvre au niveau national. En effet, chaque Etat membre aura la tâche de désigner un « coordinateur des services numériques » (DSC – Digital Services Coordinator). Les DSCs vont travailler avec d’autres autorités nationales compétentes pour la mise en œuvre du DSA, notamment concernant la régulation des services basés dans leurs Etats respectifs. Ils contribueront également à la mise en œuvre européenne du texte en coopérant notamment au sein du Comité des coordonnateurs nationaux, le European Board for Digital Services, qui assistera la Commission européenne.
En ce qui concerne l’ERGA, il se tient prêt à contribuer activement à la mise en œuvre du DSA en Europe, en lien avec la Commission européenne s’agissant des très grandes plateformes. L’efficacité de la mise en œuvre du DSA, reposera grandement sur le travail coordonné, les observations et l’expertise des différentes autorités de régulation présentes dans chacun des Etats membres. L’ERGA et ses membres ont déjà une expérience significative de la régulation des plateformes de contenu en ligne, notamment dans le cadre du Code de bonnes pratiques contre la désinformation. Celui-ci, récemment élargi et renforcé, viendra se « brancher » sur le DSA et contribuera ainsi à son efficacité.
Sortons un peu du sujet, mais pas tant… à peine les réseaux sociaux sont-ils soumis à une régulation que des nouveaux services voient le jour. On pense singulièrement au Métaverse. Quel est votre regard sur l’arrivée de tels services dans le monde digital vis-à-vis de la protection des consommateurs ?
Comme leurs prédécesseurs, ces services offrent de nouveaux horizons riches d’opportunités mais aussi potentiellement, des risques pour les citoyens et citoyennes européens qui les utiliseront. Nous suivrons leur développement avec intérêt et vigilance. Quels seront ces risques exactement, et comment les contenir ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais on peut noter que le DSA offre, d’ores et déjà, un cadre à la fois large et souple pour appréhender de tels développements – je pense notamment aux dispositions ayant trait à l’analyse des risques et à l’obligation de mettre en place des contre-mesures. Affaire à suivre…
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