La Commission Européenne a mis sur les rails un projet législatif destiné à renforcer le pluralisme et l’indépendance des médias en Europe. L’EMFA pour European Media Freedom Act entend protéger les piliers essentiels des systèmes démocratiques basés sur la loi et sur les valeurs européennes fondamentales. Ces principes permettent aux citoyens et aux citoyennes de se forger librement leur opinion et de participer au débat démocratique. Chaque année, le VRM (régulateur de la communauté flamande de Belgique) sonde l’état du pluralisme des médias en Flandre dans leur rapport “Mediaconcentratie in Vlanderen”. Nous avons interrogé Ingrid Kools sur l’évolution de leurs observations. Un constat, d’année en année, le secteur se concentre davantage.
Le VRM analyse régulièrement l’état du pluralisme des médias en Belgique. Comment proposez-vous une telle analyse ?
Je dois d’abord spécifier qu’en principe, l’analyse du VRM se limite au secteur médiatique flamand. Cette analyse est spécifiée et rendue obligatoire dans le décret des médias en Flandre. Nous proposons donc annuellement un rapport intitulé « Mediaconcentratie in Vlaanderen », qui est présenté à la Commission des médias du Parlement flamand mais également disponible sur le site web du VRM. Nous étudions un ensemble d’éléments pour les quatre différents types de médias (radio, tv, presse écrite et internet), en indiquant quelles entreprises les détiennent et leurs offres. Nous fournissons des informations sur les groupes médias et des indications de degrés de concentration pour les différents services. Enfin, nous précisons les mesures prises pour stimuler la diversité.
Quelles sont les conclusions du dernier rapport ?
En 2021, on peut conclure que globalement le marché de la publicité s’est redressé de la crise du covid plus vite que prévu et que le consommateur flamand a augmenté ses dépenses médias. Ce qu’on observe aussi, c’est qu’une coopération existe dans le secteur médiatique flamand pour l’acquisition de la publicité. Cette coopération s’explique pour faire barrage aux grands acteurs étrangers. Dans le même temps, on constate une tendance vers l’internalisation des activités médiatiques et, comme les opportunités de reprise dans le marché local deviennent rares, les barrières nationales et linguistiques se brisent et les groupes s’étendent plus loin que leur marché local.
Aujourd’hui, si on prend uniquement en compte les services de médias audiovisuels classiques, 80% à 100% du marché flamand est détenu par 5 groupes : VRT, DPG Media, Mediahuis, Roularta et Telenet.
Sans entrer dans le détail, le rapport évalue également le cadre légal européen. Sur ce point, Il y a un certain nombre d’initiatives légales qui auront un impact sur le paysage médiatique flamand dans un avenir proche…
On observe en Europe une tendance à la « concentration des médias ». Est-ce que la Belgique est épargnée par ce phénomène ? Observe-t-on des évolutions ces dernières années ?
Je ne suis pas très au fait de la situation en Belgique francophone, mais en Flandre, la tendance à la concentration des médias n’est pas du tout nouvelle. Il y a 10 ans, dans notre rapport, on rapportait que 9 groupes de médias détenaient ensemble 80% à 100% des parts de marchés des 4 formes de médias. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 5 à dominer le marché.
La zone linguistique néerlandophone est relativement petite. Néanmoins, le consommateur flamand a une grande préférence pour les produits de médias d’origine flamande. Par exemple, l’audience de la chaîne publique VRT reste très forte.
Les possibilités d’économies d’échelle sont limitées dans des territoires linguistiques aussi petits que les nôtres et, dans le passé, on observait surtout beaucoup d’alliances stratégiques entre les différents groupes. Mais ces dernières années, comme je l’ai précisé en début d’entretien, les groupes essaient d’internaliser de plus en plus leurs activités et se tournent pour cela vers le rachat d’autres entreprises.
En Wallonie, le groupe de presse Rossel vient de racheter les services de RTL Belgium. Assiste-t-on à des rachats d’une même ampleur en Flandre sur les groupes de médias ?
Comme je l’ai déjà dit, en Flandre, ce phénomène existe déjà plus longtemps, aujourd’hui, les grands groupes flamands cherchent à ajouter des activités à leur portefeuille en dehors des frontières nationales, mais aussi linguistiques. Des groupes comme Mediahuis et DPG ont acquis des entreprises aux Pays-Bas et ils se tournent aujourd’hui vers d’autres marchés comme l’Irlande, le Danemark, mais aussi la Wallonie… Pour revenir au groupe de presse Rossel, ce dernier vient de racheter 50% de RTL. Les autres 50% ont été acquis par le groupe flamand DPG.
La question du pluralisme des médias et de l’indépendance des rédactions est souvent liée. Jusqu’à quel point selon vous ? Pensez-vous qu’en Belgique l’indépendance des rédactions est bien préservée ?
En théorie il y a une série de leviers qui sont prévus pour préserver l’indépendance des médias. Quand il y a des rachats de médias par des groupes, ces derniers sont soumis à l’accord de l’Autorité de la concurrence. Bien souvent, ce qu’on appelle des « chinese walls », à savoir une série de conditions faisant barrière, conditionnent les rachats.
En Flandre, le décret des médias stipule aussi explicitement que les organismes privés de radiodiffusion sont indépendants de tout parti politique et que les retransmissions des services télévisés se font sous la responsabilité rédactionnelle finale du personnel.
Comme en Wallonie la Flandre dispose égalementde son « Raad voor de Journalistiek » (Conseil pour le journalisme), qui est une institution indépendante d’autorégulation de la presse. Enfin, le ”Vlaamse Vereniging van Journalisten” (VVJ), qui regroupe les journalistes flamands a pour mission de veiller à l’indépendance des rédactions.
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