La HAICA s’attelle à son premier bilan du Contrat d’objectifs et de moyens de la télévision publique

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Par Paul-Eric Mosseray, Chef de projet du Jumelage HAICA – CSA – INA

Au terme de la phase de diagnostic des pratiques et des ressources, menée par le CSA belge, 5 domaines prioritaires de renforcement des capacités de la HAICA en matière de contrôle ont été proposés au Conseil de la HAICA, parmi lesquels : le contrôle des missions de la télévision de service public.

En effet, parmi les missions centrales exercées par la HAICA, figure l’encadrement règlementaire des médias audiovisuels nouvellement autorisés à la suite de la libéralisation du secteur et de la promotion du pluralisme du paysage médiatique consécutives à la révolution de 2011. Des cahiers des charges ont été adoptés et des conventions ont été conclues, en particulier avec les télévisions privées. Suivant en cela le curieux exemple belge, c’est plusieurs années après – soit à la fin aout 2019 – que fut conclu le Contrat d’objectifs et de moyens de la TV publique (ETT). Il est fondé, comme dans la plupart des pays où ils existent, sur le principe d’une évaluation d’obligations d’intérêt public réciproques à l’octroi de ressources rares – les fréquences – et d’un financement public

La perspective de l’exercice du pouvoir de contrôle de la HAICA sur le Contrat d’objectifs et de moyens de la télévision publique incite la HAICA à préparer l’organisation de ces tâches. Et ces prérogatives de la HAICA sont très larges : partie prenante du Contrat d’objectifs et de moyens, elle peut intervenir – à tout le moins indirectement – dans ses modifications, accéder aux informations nécessaires en vue de leur contrôle, procéder à son contrôle périodique, proposer différents amendements dans les textes légaux, en tirant parti des possibilités qui lui sont offertes dans le Décret-Loi 116 de proposer des procédures et des recommandations.

Au sein du CSA, cette activité a été construite et systématisée depuis de nombreuses années sur tous les médias audiovisuels. C’est donc avec les responsables de monitoring Projets, Pluralisme, Publicité, certains services transversaux (comptable, juridique, informatique) ainsi que plusieurs moniteurs que le CSA a construit une série d’ateliers participatifs étalés sur trois trimestres.

Au rang de la méthodologie, le contrôle périodique s’alimente de différentes sources que sont le rapport déclaratif sollicité auprès du diffuseur, le monitoring d’échantillons de programmes et d’autres ressources externes de recherche(1) ou propres à la HAICA, comme les monitorings des élections ou les baromètres d’égalité.

Le Contrat d’objectif et de mission est très riche et il est apparu nécessaire d’abord d’en extraire les lignes directrices majeures ainsi que les objectifs mesurables.

L’objectif du service universel est sans nul doute une mission publique totalement spécifique et demande de répondre à cette question : les programmes d’information, de culture et de divertissement s’adressent-ils de manière équilibrée aux publics ? sur les différents territoires de la Tunisie ? au public de différentes tranches d’âge ? aux différentes catégories socioprofessionnelles ? Il s’agit ici de monitorer dans les programmes le public cible destinataire, le public participant, les thématiques. Les programmes constituent-ils un espace ouvert aux différentes tendances idéologiques, aux composantes de la société civile sont aussi des questions centrales et mesurables.

La gouvernance, à travers l’indépendance structurelle de l’entreprise et de ses organes et l’indépendance éditoriale de sa programmation, est en Tunisie aussi une préoccupation centrale et devra faire l’objet d’un rapport plus circonstancié de l’ETT, tout comme les outils nécessaires pour assurer la gestion et le traitement de l’information, en particulier dans ses aspects de décentralisation régionale.

L’appréciation du degré de crédibilité, d’objectivité et de qualité de l’information est un exercice auquel s’est déjà frotté la HAICA avec le soutien méthodologique de l’Observatoire de Pavie, et s’est étendu à l’évaluation des valeurs de l’état civil et des principes de la démocratie dans l’acquisition des programmes étrangers.

Enfin, le rôle majeur du média public dans la diffusion de programmes mettant en valeur la culture nationale et la créativité nationale comme la production de programmes tunisiens sera évalué autant par l’observation des programmes que par le rapport déclaratif à communiquer par l’entreprise.

A l’issue de partages d’expérience en ateliers, le CSA livrait ainsi les outils méthodologiques concluant ces travaux. Et, cerise sur le gâteau, le groupe de travail proposait ensuite au Conseil de la HAICA de concrétiser directement l’expérience en engageant un processus d’évaluation des obligations de la télévision publique sur ses deux premiers trimestres d’exercice. Après deux mois de travail en confinement, dans des conditions parfois complexes, il déposera son premier exercice test en septembre. Il pourra être augmenté, dès que possible, par le rapport déclaratif de l’ETT pour constituer le premier rapport d’évaluation intermédiaire du Contrat de l’ETT.

Au-delà de sa fonction de contrôle décrite ci-dessus, pouvant parfois paraitre rébarbative, le Régulateur peut aussi déployer sa fonction de promoteur d’un secteur audiovisuel diversifié et vecteur de créativité. A titre d’exemples, on peut citer les règles de transparence et de limite à la concentration qui concourent à l’établissement d’un paysage/marché audiovisuel équitable en termes de concurrence, limitant les positions dominantes excessives ; les règles d’indépendance éditoriale, d’emploi de journalistes professionnels qui solidifient le secteur de l’information ; les quotas de diffusion et de production de contenus tunisiens qui sont un puissant levier de déploiement de la création audiovisuelle et de ses métiers.

Cet exercice de base du contrôle présente plusieurs implications : l’importance de l’accompagnement de la procédure auprès du diffuseur ; l’identification de nouvelles expertises transversales au sein de l’équipe de la HAICA pour travailler des nouvelles questions de régulation ; des mesures organisationnelles particulières à la mesure de l’intensité du travail ; la valorisation des résultats qui sont une véritable « mine d’or » pour la recherche et le secteur en général, comme on en trouvera quelques exemples du CSA plus loin dans ce focus.

Enfin, l’expérience partagée du CSA belge témoigne du fait qu’en exerçant un rôle de supervision de la contribution des diffuseurs au développement d’un certain nombre de secteurs créatifs, le régulateur finit par exercer un rôle qui n’est plus seulement celui de « contrôleur », mais aussi celui de l’intermédiaire, voire du facilitateur. Tel est le cas lorsqu’il formule des Recommandations(2), qu’il contribue à l’émergence d’un secteur(3) ou à sa structuration(4).

Ce sont là les développements ultimes de la supervision du secteur audiovisuel à l’occasion du contrôle annuel, mais également ceux qui peuvent amplifier considérablement le sens du travail d’un régulateur.

Voilà encore une série de futurs défis…mais qui ne doivent pas cacher l’importance du travail qui est d’ores et déjà en train d’être accompli !

(1) Etude Unesco « Etat des des lieux de la télévision publique tunisienne octobre 2013 »
(2) Voir en Belgique, le Recommandation sur les quotas de diffusion des œuvres musicales en radio – http://www.csa.be/documents/2494 ou sur la promotion des œuvres audiovisuelles dans les services de VOD – http://www.csa.be/documents/1313.
(3) Par exemple dans le domaine de la production de programmes de télévision (voir en Belgique le « Plan TV » https://www.plantv.be/le-plan-tv/
(4) Voir en Belgique la création d’une fédération des TV sur le web – Fedeweb https://fedeweb.be/).

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