Vous dénoncez la remise en question du pluralisme structurel faite par le gouvernement ?
L’avant-projet de décret du Ministre Jean-Claude Marcourt postule que le pluralisme structurel n’est plus important. Je trouve inquiétant qu’un groupe politique comme le PS propose une approche idéologique en rupture avec un des fondements de nos démocraties.
Pour ma part, je suis un adepte de l’approche structurelle, il faut comprendre les structures des marchés et leurs liens avec le pluralisme et la diversité. On a déjà un paysage audiovisuel hyper concentré en Communauté française, ce qui veut dire que l’accès aux ressources publicitaires est très difficile pour les acteurs nouveaux ou plus petits. Nous sommes au cœur d’une révolution internet considérable, qui va permettre l’émergence de nouveaux formats, plutôt que de concentrer encore plus ce qui est déjà hyper concentré, il faut ouvrir le jeu, permettre de libérer la créativité et non pas l’étouffer.
Quelles sont les solutions pour plus de pluralisme ?
Avant de proposer des solutions, il faudrait déjà savoir ce que le politique veut.
Aujourd’hui nous avons le paysage audiovisuel le plus concentré d’Europe, un acteur public et un acteur privé contrôlent ensemble environ 90 % des ressources publicitaires, et en matière de radio, un acteur privé domine quelques 60% du marché privé !
Soit le politique veut encore plus de concentration, c’est le sens de l’avant-projet de décret en discussion, soit il tient encore au pluralisme structurel et il met en place une stratégie juridique sérieuse pour encadrer le plan de fréquences.
Nous avons besoin d’un encadrement juridique beaucoup plus sérieux, qui définisse clairement les seuils de concentration autorisés, qui intègre dans le périmètre de contrôle les radios en contrat de franchise, qui oblige les acteurs à une véritable transparence des systèmes de contrôle, qui assainisse ce secteur en apportant de la clarté et en donnant au CSA les moyens juridiques de mener ses instructions efficacement. On en est loin aujourd’hui. On entend plus parler au niveau politique de subtilités pour rendre moins clairs les seuils de concentration et pour donner moins de moyens de contrôle au CSA, dans le climat actuel où tout le monde réclame plus de bonne gouvernance, on est à contre-courant.
Il faut définir un objectif raisonnable de seuil maximum en vue de créer un contexte de marché permettant un vraie pluralisme structurel et une saine concurrence entre opérateurs.
Etes-vous de ceux qui souhaitent un dépassement du seuil de concentration ?
On raisonne à l’envers. Certains, partant du constat que dans la réalité la concentration est supérieure à celle autorisée par le décret, veulent adapter la législation pour relâcher ce seuil de concentration en vue de le faire coller à cette réalité, et dans la foulée de permettre une concentration encore plus forte. Il faut raisonner différemment, il faut prendre la juste mesure du niveau actuel d’extrême concentration, il faut définir un objectif raisonnable de seuil maximum en vue de créer un contexte de marché permettant un vraie pluralisme structurel et une saine concurrence entre opérateurs.
La concurrence, c’est sain ; il faut l’encourager. Au niveau européen, il existe d’ailleurs un cadre juridique très prescriptif pour les communications électroniques en vertu duquel les gouvernements doivent veiller à répartir de manière équitable le spectre hertzien. L’Europe demande qu’une saine concurrence soit stimulée.
Que penser du seuil actuel de concentration de 20 % de part de marché ? Lorsque l’on retire la part de marché de la RTBF, il reste environ 60 % du marché à se partager entre opérateurs privés. Donc un seuil de 20 %, c’est en réalité un seuil de 33 %. Aujourd’hui un groupe contrôle directement et indirectement via un contrat de franchise, environ 60 % du marché privé. Il est raisonnable de laisser à 20 % le seuil d’alerte, il serait logique de fixer un seuil non franchissable de 25 %, soit de 40 % du marché privé.
Quels sont les différents raisonnements de la concentration des médias ?
J’en compte quatre. 1) Il y l’argument selon lequel la concentration est la seule façon de survivre. C’est un raisonnement non pertinent car la rentabilité des grandes radios est en Communauté française une des plus élevée d’Europe, en d’autres mots, il n’y a pas de problème de rentabilité du modèle pour les gros opérateurs. L’enjeu de rentabilité est pour les réseaux moins puissants qui eux doivent subir un désavantage concurrentiel du fait de la concentration du spectre hertzien par un petit nombre d’acteurs. 2) Un autre argument est fondé sur la comparaison des puissances hertziennes à la disposition de la RTBF versus celles dont dispose un opérateur privé. Si on peut poser la question générale du partage des capacités hertziennes entre public et privé, il n’y a par contre aucune légitimité pour un opérateur privé plus qu’un autre à réclamer des capacités hertziennes comparables à celles de la RTBF. 3) Il y a l’argument de la volonté de croissance malgré les règles de seuil maximum, en d’autres mots, pour un opérateur déjà dominant, c’est énervant de voir sa croissance limitée par les règles de pluralisme, c’est pourtant des règles du jeu parfaitement connues et comprises dans les secteurs en situation d’oligopole ou de quasi oligopole. 4) Enfin, le quatrième raisonnement est celui qui tendrait à faire croire que seule la concentration permettrait la diversité des formats radiophoniques. Cette thèse ne repose sur aucune observation scientifique, on ne voit pas en quoi il faudrait abandonner le pluralisme structurel pour favoriser la diversité des formats. Les médias sont en constante révolution technologique. Les univers sont décloisonnés. La question est plutôt comment stimule-t-on la capacité des différents acteurs à innover et à se déployer ?