« Tant que les médias envisageront l’accessibilité comme une obligation, ça ne fonctionnera pas » 

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Entretien avec Christiane Broekman, Axisso 

Axisso est un service spécialisé en sous-titrage adapté et en interprétation en langue des signes. Il est né de la volonté de 3 Médias de proximité d’unir leurs moyens afin d’accroître leur offre d’accessibilité aux personnes en situation de déficience sensorielle. Nous avons frappé à la porte de Christiane Broekman, coordinatrice chez Axisso, qui a mis en place un projet de mutualisation entre les Médias de proximité TV COM, Boukè et Canal Zoom.   

Comment est née l’idée de créer un service mutuel pour l’accessibilité de 3 médias de proximité ? Avez-vous connu des difficultés dans la création de ce service ? Lesquelles ?  

Il faut se rendre compte que rendre accessibles des programmes télévisuels représentent un coût, parfois important, surtout pour des télévisions de petites et moyennes tailles comme les Médias de proximité. Pour limiter les coûts, la mutualisation des moyens est une solution et c’est ce que nous avons mis en place avec TV COM, Boukè et Canal Zoom.  Dès le départ, nous avons mené une véritable discussion avec la direction des chaînes et les programmateurs pour identifier les émissions qui pouvaient être interprétées et sous-titrées et pour définir les programmes prioritaires. En mai 2022, nous avons mené les premiers essais et en juin, nous avons commencé à sous-titrer en situation réelle. Nous avons depuis augmenté le nombre d’émissions sous-titrées et interprétées en langue des signes et je dirais que, désormais, nous avons atteint une vitesse de croisière. Les seuls contenus qui restent encore très difficiles à sous-titrer aujourd’hui, ce sont des émissions qui imposent des délais trop courts, comme les émissions sportives ou les émissions en direct. Concernant ces dernières, nous ne disposons pas encore des moyens techniques pour le faire.  

Outre la production des mesures d’accessibilité, quelle part de travail représente la sensibilisation du personnel des médias de proximité aux enjeux de l’accessibilité ? 

Premièrement, il est important de rappeler qu’il existe désormais un règlement du CSA qui impose aux médias des quotas d’accessibilité.  Ces quotas augmentent au fil des années et pour bon nombre de médias, la prise de conscience s’est opérée dans la foulée de la mise en œuvre du règlement. La question de la sensibilisation autour des réalités que représentent le sous-titrage et l’interprétation en langue des signes est plus que jamais d’actualité aujourd’hui, car il y a une méconnaissance de base. En se lançant dans des projets d’accessibilité, les médias ont commencé à se rendre compte de l’ampleur du travail que cela représente.  

Concernant le sous-titrage par exemple, il ne s’agit pas simplement de sous-titrer, il faut aussi connaître les publics auxquels on s’adresse et maîtriser la culture sourde. Il faut savoir quels sont les éléments parasites à éviter et au contraire les éléments à préciser. C’est un véritable métier qui répond à des normes de qualité nombreuses et exigeantes, or, quand un média est peu sensibilisé sur le sujet, il aura tendance à considérer l’accessibilité comme un travail secondaire, ou pire comme des tâches qu’il est possible d’affecter en interne ou à une personne non qualifiée dans le domaine. 

Derrière notre travail d’interprète et de sous-titreur, nous sensibilisons donc aussi énormément pour valoriser les spécificités de notre métier auprès des médias.  

Les avis du Collège d’autorisation et de contrôle pour l’exercice 2021 montrent que Bouké, TV Com et Canal Zoom se distinguent par leur plus grande proportion de programmes rendus accessibles aux personnes en situation de déficience auditive parmi les 12 médias de proximité. Comment expliquez-vous ces résultats encourageants ?  

Comme je l’ai dit, le fait de mutualiser les moyens offre une économie d’échelle importante et une meilleure coordination pour distribuer les émissions. Je pense aussi qu’il n’y a pas de secret et que l’on ne peut atteindre de véritables objectifs que lorsque ceux qui travaillent derrière sont convaincus de l’utilité du projet.  

Malheureusement, aujourd’hui encore, beaucoup font de l’accessibilité par obligation. Certaines chaines n’ont aucun programme interprété en langue des signes. C’est interpellant ! Dans ce contexte, il est important qu’il y ait des règles et des obligations, mais il faut aussi un changement de mentalité. Quand on est dans une logique de respect des règles, sans aller plus loin, on va privilégier la quantité à la qualité et s’arrêter lorsque les quotas sont atteints. On voit d’ailleurs que la plupart des projets intéressants qui sont proposés par les médias se font de manière isolée. Il n’y a pas de stratégie commune autour de l’accessibilité et très peu de mutualisation des moyens entre les médias, alors que cette option permettrait de palier aux coûts nécessaires.   

On parle aussi souvent de pénurie dans le secteur des interprètes en langue des signes notamment. Cette dernière n’explique-t-elle pas aussi les difficultés éprouvées par les médias pour mettre en œuvre leur politique d’accessibilité ?  

Il faut voir le tout comme un système. Il y a effectivement une pénurie d’interprètes et pour augmenter le volume de production de contenus rendus accessibles, il faut résoudre ce problème. Par exemple, le fait qu’il y ait peu d’interprètes et que les médias privilégient leurs programmes d’information rendus accessibles en début de soirée. Les interprètes ont une activité professionnelle dans un autre domaine en journée, la conséquence directe est qu’ils ne sont plus disponibles pour des programmes en journée.  

Cette pénurie trouve son origine dans le fait qu’il n’existait pas vraiment de formation jusqu’il y a peu. Il existe aujourd’hui un master à l’UCL. Les premiers étudiants, pour la plupart, étaient des personnes qui travaillaient d’ailleurs souvent déjà comme interprète dans des associations ou autres et, qui pour maintenir leur emploi, ont dû se professionnaliser. Mais cette formation reste insuffisante car très peu de nouveaux interprètes y sortent chaque année. La plupart du temps, ils seront attirés par des emplois offrant un contrat comme les services d’interprétation qui travaillent plus dans le secteur de l’interprétation de liaison (rendez-vous médicaux, chez un notaire, réunion professionnelle etc.)  

Travailler comme interprète dans les médias représente un double problème. Premièrement, le niveau de qualité est très élevé. S’il ou elle ne donne pas satisfaction au public sourd, cela peut ruiner une carrière, donc en général ce sont souvent des profils déjà expérimentés qui se portent candidats.  

Ensuite, comme je l’ai dit, il y a un problème au niveau des horaires. La plupart des émissions que les médias veulent voir interpréter sont les programmes d’information du soir, ce qui implique pour les interprètes de travailler presque toujours en soirée. Tant que les médias ne proposeront pas des contrats en journée, ils éprouveront des difficultés à recruter. Ce phénomène ajouté à la pénurie d’interprètes complique la situation. 

Enfin, on peut se questionner sur le statut proposé. Les médias n’engagent que des indépendants pour mener leurs missions. Il n’y a pas de contrat donc… forcément, ils ne sont pas attractifs ;-) 

À vous entendre, nous sommes encore loin d’un paysage médiatique entièrement accessible ?  

Oui, tout à fait, et ça devrait être en réalité l’objectif dans toutes les rédactions. Pour arriver à 100% de programmes rendus accessibles, il faut véritablement y mettre les moyens et trouver un bon équilibre entre le nombre de programmes sous-titrés et interprétés en langue des signes. Avec les nouvelles obligations de quotas, on voit que les choses évoluent, mais il faut que les médias en fassent un véritable projet et une priorité. On doit résoudre le problème de pénurie d’interprètes en langue des signes, mais pour le résoudre, il faut aussi proposer une offre véritablement attractive. Le public directement concerné par l’accessibilité représente environ 10% de la population. Il y a les personnes sourdes et malentendantes, mais aussi par exemple les personnes qui ne maitrisent pas bien ou pas encore le français et qui sont en phase d’apprentissage. 

Tant que les médias envisageront l’accessibilité comme une obligation et non comme une véritable opportunité pour toucher et fidéliser un public plus large, ça ne fonctionnera pas.  

Je précise que pour le moment, les médias reçoivent des subsides pour mettre en œuvre les obligations du règlement du CSA. Dans un an, ce sera terminé et je suis inquiète de voir ce qui pourrait se passer ensuite. Je crains un retour en arrière sans réel volontarisme. Il y a néanmoins des solutions, comme je le rappelle, la mutualisation des ressources pour réduire les coûts et permettre un accroissement de l’offre d’émissions accessibles. 

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