Entretien avec Noémie Lamal, responsable des archives au sein du Réseau des Médias de proximité
Du côté des Médias de proximité, l’archivage des contenus audiovisuels se professionnalise depuis quelques années avec le soutien du Réseau des Médias de Proximité (RMDP). Ces archives sont d’une grande importance, car elles représentent la mémoire de nos régions. Avec plusieurs dizaines de milliers d’heures de contenus à encoder, documenter et archiver, c’est un travail de titan qui est en œuvre et que nous commente Noémie Lamal, responsable des archives au sein du RMDP.
Vous êtes responsable de l’archivage numérique au sein du Réseau des Médias de proximité. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste cette mission ? Qu’est-ce que cela représente comme gestion au quotidien ?
Depuis 2010, nous avons mis sur pied un projet appelé NEPAL pour Numérisation et Préservation du Patrimoine Audiovisuel des Télévisions Locales grâce à un subside de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il faut se rendre compte que, avant ce projet, c’étaient les journalistes eux-mêmes qui documentaient leurs contenus, souvent en fin de journée et sans documentation effective, car très peu de Médias de proximité ne disposent d’un documentaliste pour le faire. Si une archive est mal documentée, on ne la retrouve pas et donc elle ne sert à rien, d’où l’enjeu d’investir dans un véritable projet d’indexation précise et complète des contenus, mais aussi de numérisation. Jusqu’en 2010, les archives ont été sauvegardées par les Médias de proximité sur des supports vieillissants tels que des cassettes analogiques. Il est impératif de numériser ces contenus pour assurer leur pérennité.
Avec une équipe de 4 documentalistes, nous avons déjà numérisé les contenus depuis le début des Médias de proximité, jusqu’à l’année 2010. À partir de là, les médias eux-mêmes ont commencé à numériser leurs contenus en natif avec notre supervision.
Archiver des dizaines de milliers d’heures suppose de mettre en place un protocole très stricte ?
Oui et pour cela nous utilisons un DAM, un Digital Asset Management. Il s’agit d’un logiciel de gestion des métadonnées qui est hébergé par la SONUMA. Concrètement, ce dernier intègre en brut tous les contenus que nous avons numérisé. On doit ensuite y ajouter manuellement un titre, par exemple le nom du politicien qui apparait dans l’archive et une série de mots clés issus de notre thésaurus qui vont qualifier l’archive, comme le titre du reportage, le cameraman et un résumé contextualisé.
Pour nos archives plus récentes, nous avons défini ce qu’on appelle un MAM, un Media asset management nommé BASIC qui est désormais intégré par 10 des 12 Médias de proximité. Ce système leur permet non seulement la diffusion des contenus, mais il leur offre aussi la possibilité d’archiver eux-même leurs images.
Qualifier manuellement chaque archive ? Cela doit-être un travail colossal ? A l’heure de la prolifération des IA, y-a-t-il des projets de votre côté pour faciliter le travail de documentation et d’archivage des contenus ?
Oui, c’est un travail de fourmis et la réponse quant à l’implémentation d’une IA n’est pas aussi simple. D’abord il faut se rendre compte que plus une archive est locale, plus elle est spécifique et nécessite une connaissance pointue de l’histoire. Cette réalité est difficilement compatible avec la mise en place d’une IA qui pourrait répondre à tous nos besoins. Des outils existent, parfois même open source et « gratuits », mais sont adaptés à des fonds nationaux ou internationaux. Quand on parle de reconnaissance des visages, ces systèmes vont donc facilement pouvoir trouver un Stromae ou un Alexander De Croo, mais beaucoup plus difficilement un échevin du fin fond de la province du Luxembourg dans les années 90. On passe souvent beaucoup de temps à retrouver le nom d’une personne, d’un lieu, et beaucoup de temps pour décrire le contexte. Pour documenter l’audiovisuel local, il faut donc une très bonne connaissance de la mémoire locale. Et cette connaissance, nous les documentalistes, nous l’acquérons au fil des jours à force de visionner une multitude de contenus. En revanche, nous travaillons tout de même sur la mise en place d’IA pour venir en soutien de nos documentalistes. Par exemple, nous travaillons en ce moment sur un programme permettant d’identifier la fin et le début d’une séquence, ce qui nous aidera énormément pour le travail de découpage. Nous travaillons aussi sur un programme de retranscription des dialogues et sur un système de reconnaissance de visage qui nous aidera à identifier une personnalité politique par exemple. Mais, à ce stade, tous ces logiciels ne remplaceront pas le travail du documentaliste, ils viendront plutôt en soutien…
Quand je dis que la mise en place d’une IA n’est pas aussi simple, c’est aussi parce que tout cela est évidemment aussi une question de taille et de moyens. Nous avons déjà rencontré des représentants de l’INA français. Ils sont parvenus à développer une IA qui fait pratiquement tout le travail des documentalistes, mais ils ont une équipe de data scientists, de développeurs, etc. qui développent des outils maison et entraînent l’IA à temps plein. Ils ont une équipe de 150 documentalistes pour qualifier les contenus, un fond de 20 millions d’heures déjà existantes et 1 million de nouvelles heures de production arrivant chaque année. Nos fonds numérisés représentent 40.000 heures et la production des Médias de proximité représente peut-être 400 heures par an… Investir des centaines de milliers d’euros dans des solutions d’IA est beaucoup moins pertinent et peu rentable.
Vous avez brièvement abordé la question de la valorisation des contenus d’archive. Quelle est la spécificité des archives audiovisuelles locales ? Comment les valorise-t-on ?
Dans notre accord de collaboration avec la SONUMA, ce sont eux qui gèrent par exemple les aspects liés à la commercialisation des contenus. Ces archives locales ne sont pas rentables sur le plan commercial pour les Médias de proximité, mais elles ont un énorme intérêt et à bien des niveaux. Leurs archives sont un témoin unique de l’histoire et proposent des sujets qui ne sont pas forcément traités par les grands médias, or cette mémoire locale voir ultra locale est fondamentale. Je pense par exemple à la politique locale. C’est elle qui est la plus proche du citoyen et en garder la mémoire me semble essentiel. Les demandes d’archives peuvent venir des citoyens, des clubs de foot locaux, de réalisateurs, ou encore d’institutions comme Wallimage souhaitant accéder à des images de tournages réalsiés en Wallonie. Les Médias de proximité valorisent aussi leurs archives dans leurs émissions, voir dans des programmes dédiés et sur leurs réseaux sociaux.
Sur le plan de la recherche, ces archives sont très importantes et on a parfois des demandes inattendues qui témoignent d’autres utilités auxquelles on ne s’attend pas forcément. Par exemple, nous avons déjà reçu des demandes de la part d’architectes qui désiraient voir à quoi ressemblaient tel ou tel quartier dans le passé dans le cadre de futurs projets urbanistiques. Quand je vois aussi l’énorme succès des groupes sur Facebook qui partagent des archives photos des quartiers, on comprend aussi à quel point les archives ont de l’intérêt pour les citoyens eux-mêmes. Bref il y a un énorme potentiel de valorisations de nos archives.
Quels sont les enjeux que vous percevez pour l’avenir de l’archivage audiovisuel local ?
Il y a d’abord un enjeu de mutualisation des ressources. C’est ce que nous faisons déjà à notre niveau avec le projet NEPAL, mais à une trop petite échelle encore à mon sens. Le fait de mutualiser les ressources d’archivage entre les médias offre de nombreux avantages. Ça réduit les coûts d’abord, mais ça permet aussi d’avoir une approche harmonisée pour documenter les contenus.
À côté de cette mutualisation des ressources, je pense aussi qu’il faut vraiment réfléchir à une meilleure centralisation des contenus. Rien qu’à l’échelle des Médias de proximité, les archives sont réparties entre la SONUMA, mais aussi à l’intérieur des 12 médias locaux. Il y a un enjeu de pérennisation des archives d’abord, mais aussi d’efficacité. Ça serait plus simple d’avoir un seul point de contact pour bénéficier d’archives audiovisuelles. Si vous êtes par exemple un média étranger et que vous désirez avoir accès à des archives belges locales, la recherche peut s’avérer compliquée. Mutualiser et centraliser les contenus impliqueraient un énorme travail pour mettre en place une méthodologie commune. Quand je vois déjà au niveau des 12 Médias de proximité à quel point c’est compliqué, je me dis qu’il faudrait presque un choix politique imposant un système d’archivage commun pour qu’un tel projet puisse se mettre en place.
Enfin, il y a un véritable enjeu de valorisation des contenus. Pour le moment nous sommes encore au stade de documentation des contenus. Nous avons numérisé 40.000 heures de contenus et nous avons documenté environ un quart de ce volume. Lorsque l’ensemble de ces contenus seront documentés, il sera alors envisageable d’intensifier le travail de valorisation à l’instar de ce que fait déjà l’INA sur ses réseaux sociaux notamment.