« La plupart des gens que nous rencontrons sont des bibliothèques vivantes qu’aucun média n’écoute, à part nous »

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Avec Céline Druez, journaliste chez Canal Zoom, le Média de proximité de Gembloux, Perwez, Chastre et Walhain

Les Médias de proximité traduisent des réalités de terrain souvent bien loin des clichés que l’on peut se faire des informations locales. C’est encore plus vrai lorsque l’on pousse la porte de Canal Zoom, le plus petit (mais aussi le plus ancien) des 12 Médias de proximité actifs en Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour Céline Druez, journaliste au sein de ce média, alors que les médias locaux manquent de moyens, ils ont pourtant bien leur place à l’heure où le lien social, la communauté et le vivre ensemble sont devenus plus que jamais essentiels. Coup de zoom sur un petit média qui répond à de grands besoins.

Canal Zoom est l’un des plus petits médias télévisuels de la FWB, quelles sont les différences que vous percevez sur le fonctionnement de votre média au regard des autres  ? Y-a-t-il un langage, un ton, une vision particulière ? Quelle est votre spécificité en tant que Média de proximité ? 

Trois choses me viennent à l’esprit, la connaissance, la polyvalence et le temps. Je pense que ces trois éléments nous différencient des autres médias de plus grande taille. La connaissance parce que nous couvrons 4 communes que l’on connait sur le bout des doigts, jusqu’à leur histoire. L’une de nos émissions « Pépite » traite d’ailleurs de l’histoire de nos communes et nous ressortons de nombreuses archives pour illustrer les sujets. Nous connaissons aussi parfaitement les lieux que nous couvrons, jusqu’au plus petit chemin de la région.

La polyvalence parce que nous sommes 4 journalistes, dont le rédac chef fait partie. Nous avons chacun et chacune une émission hebdomadaire à préparer en plus de l’écriture et du montage du JT. Par nature, nous devons faire preuve d’une grande polyvalence et être multitâche. Contrairement à de plus grands médias, nous devons gérer à la fois les aspects techniques et rédactionnels de nos reportages.

Le temps enfin, c’est pour moi ce qui nous différencie le plus. Nous sommes un tout petit média, mais nous prenons le temps nécessaire avec les gens pour réaliser nos reportages. En moyenne, cela nous prend 2 heures sur place et nous discutons au moins 30 minutes en amont de nos sujets. Ce moment d’échange est fondamental, car beaucoup de gens ne sont pas à l’aise, surtout devant la caméra. En tant que média local, nous sommes proches des téléspectateur.trice.s et prendre le temps est une variable essentielle pour assurer cette proximité. Evidemment, le fait de prendre le temps nous retarde parfois beaucoup, mais cela nous mène aussi vers de belles rencontres. Pour l’anecdote, Je suis restée un jour plus de 4 heures avec un apiculteur qui nous a volontairement perdu dans la forêt pour nous montrer toutes ses ruches. L’une des plus grandes richesses de notre travail, c’est lorsque l’on réalise que la plupart des gens que l’on rencontre sont des bibliothèques vivantes qu’aucun média n’écoute, à part nous.

Plus largement, comment constitue-t-on une grille de programmation dans un contexte local ?

Même si nous couvrons une zone plus rurale, on ne va évidemment pas parler que de la biodiversité. Forcément, nous proposons des sujets qui touchent au monde agricole, mais nous allons toujours réfléchir à rattacher des grandes tendances et des phénomènes aux zones que nous couvrons. Si le prix du carburant explose, on va par exemple se rendre dans une pompe locale pour parler du sujet.

En réalité, on doit surfer sur les 4 communes qui sont finalement elles-mêmes très variées et il faut illustrer cette diversité. Quand on regarde un JT local, il parle des réalités, des gens et des valeurs partagées. Quand on s’installe dans un endroit, dans une région, c’est pour retrouver du lien, partager les valeurs du lieu que l’on occupe. Notre média local contribue au vivre ensemble, ce qu’aucun autre média ne peut faire à notre place.

Même sur 4 communes, nous avons des publics très différents qui sont intéressés par des sujets différents. Par exemple, on touche beaucoup de monde grâce au sport local qui passionne nos téléspectateur.trice.s. Notre émission sportive « Inside The Team » est clairement la plus regardée. Nos communes deviennent aussi de plus en plus des cités-dortoirs avec des nouveaux habitants qui s’y installent. Ces personnes ont d’autres attentes et seront par exemple intéressées par les commerces locaux, les activités et l’histoire de leur nouvelle localité.

Nous réalisons aussi de nombreux reportages dans les écoles pour toucher les publics jeunes. On essaye d’avoir une vraie présence pour leur montrer très tôt qu’il existe une télévision qui parlent d’eux.

Enfin, il ne faut pas croire qu’il ne se passe rien dans notre région, il y a de nombreux événements auxquels nous sommes présents ou partenaire. On accueille pas mal de beaux événements et des festivals culturels importants. Quand j’ai commencé à travailler pour Canal Zoom, je me suis demandé comment j’allais faire pour remplir mon émission culturelle et en réalité, chaque semaine, je dois choisir entre 2 événements importants à valoriser. La devise de notre émission culturelle bimensuelle « Ce soir on sort » est d’ailleurs « qui a dit que la culture était réservée aux grandes villes »…

On cherche donc à briser les clichés que l’on peut se faire des zones plus rurales chez Canal Zoom ?

On ne cherche pas à briser les clichés, mais simplement à rendre compte de la diversité locale le plus fidèlement possible. Chaque média a ses propres réalités et des contraintes liées au temps, aux moyens et à la ligne éditoriale. Dans les journaux télévisés des plus grands médias, on va mettre l’accent sur des sujets de politique belge et internationale. Au milieu du journal, on va parfois retrouver un reportage local sur une de nos communes et ce dernier va pratiquement toujours tomber dans le cliché du petit patelin, rustique et rural. Pour notre public, toute une série de sujets perçus par les autres médias comme anecdotiques, sont en réalité importants.

De notre côté, nous sommes très sensibles à la diversité de nos publics. On ne va pas mettre des jeunes devant la caméra uniquement pour qu’ils parlent de leur jeunesse ou encore une personne handicapée pour qu’elle parle de son handicap. On évite à tout prix de tomber dans le voyeurisme ou le misérabilisme et à cantonner les gens à des rôles stéréotypés. Par exemple, pour la Saint-Valentin cette année, nous avons illustré le sujet avec un couple de personnes âgées qui se sont rencontrées dans une maison de repos de l’une de nos communes. Ça nous permet d’aborder le sujet de l’âge et des maisons de repos d’une autre manière sans tomber dans le pathos habituel.

Nous ne proposons peut-être pas des contenus sensationnels, mais en général, ils sont positifs et rendent compte de la diversité de notre région. Nous mettons en avant les projets qui fonctionnent, les citoyens et citoyennes et les choses qui bougent pour un meilleur vivre ensemble.

On observe une tendance générale de méfiance des citoyens et des citoyennes à l’encontre des institutions politiques et médiatiques. Vous subissez le même phénomène à votre échelle plus locale ?

Je pense que cette méfiance est, entre autres, aussi liée à une perte de sens sur les sujets proposés par les médias. Ils concernent par exemple la politique étrangère et sont loin de le réalité des personnes. Nos sujets touchent à des réalités très concrètes qui peuvent paraître anecdotiques, mais qui sont très importantes pour les gens. Par exemple, le fait qu’il n’y ait pas de ligne de bus à Chastre et que nous en parlions représente réellement un problème pratique quotidien très important pour les familles de cette région. On subit clairement moins ce sentiment de méfiance par notre proximité. Comme je l’ai dit, on prend toujours le temps, on ne commence pas tout de suite à filmer et cela rassure les gens. C’est une véritable spécificité que nous avons et que les grands médias n’ont pas. J’irais même jusqu’à dire que cette proximité que nous avons ne nous laisse pas d’autres choix que d’installer un climat de confiance. Si nous faisons mal notre travail, que nous nous adressons mal aux gens, alors la sanction est immédiate. Je ne dis pas que nous sommes complaisants, mais l’écoute et le respect de chacun, chacune, sont absolument nécessaires pour mener à bien notre travail.

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