« Dans le contexte actuel, les Médias de proximité ont plus que jamais leur place »

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Regulation.be vous emmène à la rencontre de celles et ceux qui font tourner les Médias de proximité. Ces médias représentent pour les publics un outil précieux pour s’informer localement et découvrir la culture des régions. Nous avons frappé à la porte de Céline Sérusiaux, Rédactrice en chef de Matélé (le Média de proximité de l’arrondissement de Dinant) et responsable, pour le compte du Collège des Rédac chefs des Médias de proximité (MDP), du JT commun des MDP et de Fabrice Grosfiley, éditorialiste chez BX1 (Média de proximité de la Région Bruxelles-Capitale).  

Les Médias de proximité ont mis en place un JT commun en soirée. Comment est née cette idée qui rassemble les télévisions locales autour d’un programme commun ? Comment gère-t-on les infos qui proviennent de 12 médias différents ?  

Céline Sérusiaux : Le 22 heures 30 est né dans la continuité du journal “Vivre Ici,” une initiative qui émane de l’ensemble des Médias de proximité. L’idée est de proposer un journal d’information commun à tous les médias. Lorsque ce projet est né, il y a évidemment eu débat pour définir la ligne éditoriale, avec d’un côté ceux qui favorisaient l’information froide qui met en avant des initiatives ou des portraits moins liés à l’actualité, et ceux qui désiraient plutôt mettre en avant l’actualité chaude. Nous sommes assez rapidement arrivés à un compromis, avec la mise en place d’un journal en seconde partie de soirée qui propose d’abord un récap des actualités de la journée et ensuite des sujets plus froids pour clore le journal.  Nous fonctionnons essentiellement par proposition. Chaque média doit nous remettre des propositions de sujets à traiter dans le journal commun qui doit respecter la ligne éditoriale. Parfois, nous devons évidemment harmoniser, couper ou ne garder que l’essentiel car les Médias de proximité ont parfois des formats différents avec des durées différentes et certains sujets sont parfois hyper locaux. Malgré leurs diversités, je dois dire que jusqu’à présent tout le monde parvient à se mettre d’accord.  

BX1 a mis en place le tout premier projet radiophonique des Médias de proximité. Comment ce projet s’est mis en place avec des équipes qui produisent des contenus télévisuels depuis des années ?  

Fabrice Grosfiley : L’idée d’une radio remonte à longtemps, depuis que Télé Bruxelles est devenue BX1. Nous sommes persuadés que la distinction entre les médias web et tv est artificielle et que c’est moins le média qui compte que le contenu que l’on y met. Il faut partir de l’idée que la télévision se regarde un peu le matin et beaucoup plus le soir. Avec une radio, il est désormais possible de proposer un média qui parle à tout le monde dès le matin.  

Notre homologue néerlandophone Bruzz a déjà mis en place une radio depuis longtemps. Nous avons dû attendre d’obtenir une fréquence DAB+ avant de nous lancer. Nous avons commencé petit, en adaptant d’abord le journal télévisé en journal parlé, mais depuis janvier dernier, nous avons lancé une série d’émissions spécifiques en radio et une matinale qui est commune en radio et en TV avec notamment un grand journal à 8 heures. 

Le lancement de ce projet radio représente tout de même un changement important pour les équipes. Nous essayons de tendre vers un média hybride, à savoir un contenu qui peut à la fois se voir et s’écouter. Il faut intégrer une écriture qui se voit et qui se parle. Par exemple, en radio, nous essayons de produire des petites capsules qui peuvent être utilisées également en télévision. Inversement, lorsque nous réalisons des reportages en tv, nous évitons de faire des mentions visuelles pour que le contenu puisse être repris en radio. Cette nouvelle écriture est un véritable apprentissage pour les équipes. Nous avons augmenté nos équipes pour pouvoir mettre en place le projet, mais nous avons aussi décalé les horaires des journalistes pour pouvoir assurer notamment la matinale en radio. C’est un grand changement pour nous, mais le projet en vaut la peine.  

A qui on s’adresse quand on développe un projet d’info dans une télévision ou une radio locale ?  

CS : L’information locale peut très souvent avoir une portée bien plus large et s’adresser à tout le monde.  Si je prends l’exemple d’un sujet sur les CPAS, les problématiques sont communes, c’est juste l’exemple qui change. Dans le 22h30, il nous arrive même parfois de prendre plusieurs exemples provenant de différents médias pour traiter un sujet d’actualité.  Quand on envisage les sujets froids, l’idée est de capter des moments de vie et de mettre en lumière des initiatives qui effectivement sont parfois micro locales, mais qui peuvent aussi avoir une certaine résonnance et une portée plus universelle. De cette manière, je pense que nos sujets touchent un très grand nombre.  

FG : Je dirais que pour nous, la problématique c’est le dosage. Chez BX1, nous touchons un territoire assez large et nous devons pouvoir jongler entre les infos à l’échelle d’une commune ou d’un quartier et les informations régionales et internationales qui concernent Bruxelles. Le gros avantage de notre matinale radio de 95 minutes, c’est que contrairement à la télévision, nous disposons de plus d’espace avec des formats moins contraignants pour moduler ces différents curseurs. Le matin, on commence par aborder des sujets très locaux. On enchaîne ensuite souvent avec des sujets de politique régionale et, en fin de tranche, on parle même de l’international que l’on adapte à la sauce bruxelloise.  

Comment se positionne les Médias de proximité dans un paysage assez concurrentiel lorsque l’on envisage la presse écrite par exemple ? s’adresse-t-on au même public ? Collaborez-vous avec la presse locale ou d’autres acteurs d’intérêt ?  

CS : Nous collaborons très peu avec la presse écrite, en tous cas pas de manière structurée. Nous collaborons en revanche beaucoup avec la RTBF et les autres Médias de proximité. En tant que média local, on se distingue des autres sur la forme en produisant de la vidéo, mais aussi et surtout sur le fond. Si je prends l’exemple de Matélé, nous couvrons un petit territoire de 15 communes, ce qui nous permet de couvrir de nombreux événements plus petits, de valoriser la culture plus locale, mais aussi de couvrir une information locale que nous serons les seuls à traiter. C’est en cela que l’on se démarque des autres médias. Notre seconde spécificité, c’est que nous mettons en place un véritable dialogue avec notre audience. Nous avons par exemple des groupes facebook à l’intérieur desquels nous discutons directement avec nos publics, ce qui est plus compliqué à mettre en place pour un plus grand média…  

FG : Je rejoins totalement Céline sur ce point. Dans un Média de proximité, quand le public a un problème, il s’adresse directement aux journalistes et pas à un service de médiation ou à une boîte mail. C’est évidemment une pression supplémentaire, mais c’est aussi une force que l’on peut mettre en avant. J’ajoute aussi qu’une région comme Bruxelles est très diverse d’un quartier à l’autre et ces spécificités sont inconnues des médias généralistes. Avec le temps, nos journalistes deviennent de véritables spécialistes des quartiers bruxellois et sont capables de traiter avec nuances les sujets dans chaque quartier. Les Médias de proximité ont aussi une histoire à faire valoir. BX1 en est à sa seconde voir troisième génération de spectateurs. Il y a une véritable histoire de notre média et une connaissance de notre région qui se renforce de génération en génération.   

Paradoxe, si les Médias de proximité se veulent proches de leurs publics, les MDP n’ont pourtant pas accès à des mesures d’audiences relatives à leurs programmes. Comment palliez-vous cette difficulté ? Comment savoir si vos programmes, vos projets, atteignent leur cible ?  

CS: C’est effectivement une réalité, nous n’avons pas d’autres retours que ce que les gens nous rapportent et nous ne nous reposons pas sur des ressources marketing pour nous dire ce que nous devons faire. Notre démarche est plutôt une réflexion empirique. Nous sommes une équipe de 25 personnes et, même si nous fonctionnons avec nos moyens, nous développons une série de projets pour atteindre nos publics. Nous avons par exemple ouvert un compte TikTok. 

Je rappelle que, si nous ne disposons pas d’outils précis pour identifier nos publics, la proximité avec eux est dans notre ADN. Comme je l’ai dit, nous discutons beaucoup avec nos publics par le biais de groupes Facebook. Ces groupes nous demandent du temps en modération notamment, mais ils nous offrent un véritable échange et des dialogues avec nos publics. Nous sommes aussi physiquement présents partout où nous le pouvons, notamment dans le cadre des événements locaux, qui nous permettent de renforcer notre proximité avec les communes que nous couvrons.  

FG : Je me permets d’abord de rappeler que nous sommes avant tout des médias publics. Évidemment c’est important d’avoir une bonne audience, mais nous ne devons pas courir après à n’importe quel prix. Même si nous ne disposons pas d’outils précis pour évaluer notre impact sur notre public, une grande partie de notre travail consiste à réfléchir à nos programmations. Pour toucher le plus grand nombre, on alterne entre des moments plus généralistes et d’autres plus thématiques. On sait par exemple que notre journal parlé en radio touche davantage les plus de 30 ans, mais nous avons des programmes qui ont beaucoup de succès auprès d’autres publics. Par exemple, de nombreux jeunes nous connaissent grâce à notre émission « Futsal ».  

Quels sont les défis que vous identifiez pour vos programmes dans les mois, années à venir ?  

FG : J’identifie la question des fake news et de la jeunesse comme deux défis importants pour les médias. Nous avons une vraie préoccupation pour reconnecter les plus jeunes à nos contenus, et singulièrement à nos programmes d’information. C’est même un enjeu fondamental que d’éveiller la jeunesse à des éléments démocratiques importants, surtout dans le contexte de méfiance politique auquel nous faisons face aujourd’hui.  

CS : Les élections communales de 2024 représentent pour moi le défi le plus urgent. Je vois venir une grosse désaffection pour le politique et je crains de voir des listes incomplètes, voire uniques dans certaines communes, car les mandataires politiques sont fatigués et nombreux hésitent à se présenter aux élections. Connecter les citoyens et les citoyennes à ces élections, surtout les primo-votants, n’est plus seulement un enjeu médiatique, mais démocratique de premier plan.  

Quand on sait que la perte d’intérêt du public envers le politique est fortement liée au désinvestissement des médias, les Médias de proximité jouent un rôle d’autant plus important dans le cadre d’élections locales. Si je prends l’exemple de Matélé, nous serons pratiquement les seuls à traiter les sujets électoraux des 15 communes que nous couvrons. Il y a donc une très grosse carte à jouer pour les Médias de proximité lors des prochaines élections.  

FG : Que ce soit pour les élections communales ou l’info locale, j’ajoute que le rôle des Médias de proximité est encore plus important lorsqu’on observe la tendance actuelle. On le voit avec les grands rachats opérés du côté du groupe Rossel ou IPM qui illustrent très bien cette tendance vers la concentration des médias. Cette dernière implique aussi un rapprochement des rédactions vers des contenus communs et donc de moins en moins locaux. Dans ce contexte, les Médias de proximité ont plus que jamais leur place à l’intérieur du paysage audiovisuel.  

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