Le défi pour notre paysage audiovisuel : se diversifier tout en préservant sa liberté de création 

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Dans notre dossier dédié aux institutions de l’audiovisuel, nous avons frappé à la porte du Centre du Cinéma et de l’audiovisuel (CCA) pour mieux connaître les enjeux du secteur de la production en 2023. Le CCA est une instance intégrée au Service Général de l’Audiovisuel et du Cinéma qui a pour mission de soutenir le secteur de la production audiovisuelle en Fédération Wallonie-Bruxelles. Un soutien financier d’abord, puisque l’instance gère les fonds de soutien à la création et à la production audiovisuelle, mais aussi logistique en gérant la promotion des films produits dans les salles, les festivals ou en organisant une série d’initiatives comme le Mois du Doc. Dans un contexte de crise et d’évolution rapide du paysage audiovisuel, la directrice du CCA Jeanne Brunfaut est confiante quant à l’avenir de la production belges francophone, mais les défis à relever restent nombreux pour le secteur…   

Au niveau de votre institution, quels sont les enjeux et défis à relever dans les années à venir ?  

Un grand changement s’est opéré en 2022 avec les nouvelles obligations imposées par la directive européenne sur les services de médias audiovisuels et les plateformes de partage de vidéos. Pour la première fois, les acteurs étrangers qui ciblent notre territoire comme Netflix vont devoir contribuer à la production audiovisuelle locale. Jusqu’à présent, seuls les acteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles devaient reverser une partie de leurs bénéfices au Centre du Cinéma ou investir directement dans la production locale. Ces nouvelles obligations auront donc un impact très positif pour le secteur de la production, mais elles impliquent aussi de relever de nombreux défis…  

C’est en premier lieu un défi pour nous, car il y a de nombreux nouveaux contributeurs. Il va falloir les accompagner, leur expliquer exactement ce qu’ils peuvent ou non valoriser dans leurs contributions et c’est un travail de suivi de longue haleine. L’enjeu pour nous sera d’absorber cette charge de travail, car pour le moment nous n’avons qu’une seule personne à temps plein pour gérer cette matière.  

C’est aussi un défi pour les nouveaux contributeurs, car ils vont devoir trouver des contenus locaux qui collent à leur ligne éditoriale. Des plateformes comme Disney et Netflix savent exactement ce qu’elles veulent et, malheureusement, ça ne colle pas toujours avec ce que nous avons en magasin. Il est clair que nous ne devons pas nous plier aux formats de ces plateformes. Nous devons continuer à produire ce que nous avons envie de produire et ce qui fait notre spécificité en Belgique, comme les films d’auteurs, mais il faudra aussi pouvoir être flexible pour pouvoir profiter du financement de ces nouvelles plateformes et de la visibilité qu’elles offrent à nos œuvres. Tout l’enjeu sera là, préserver la liberté de création qui est une spécificité belge, tout en tenant compte des impératifs du marché.  

Ces nouvelles contributions vont faire grimper les demandes de production sur notre territoire. Est-ce que le marché belge est prêt pour ça ?  

C’est vrai que nous représentons un petit marché et qu’il faudra être capable d’absorber cette demande. Je pense surtout à nos techniciens spécialisés qui sont massivement engagés pour travailler sur des productions françaises, ce qui mène à des pénuries de main d’œuvre chez nous. De plus, pour pouvoir répondre aux demandes des plateformes, nous devrons nécessairement initier un travail de diversification de nos contenus. Par exemple, nous produisons très peu de comédies belges. Il y a certes un intérêt de la part des créateurs, mais pas encore vraiment de savoir-faire. Nous devrons donc répondre à un double enjeu. Le premier est lié à notre capacité de production et le second à la diversification de nos formats. Tous ces nouveaux défis vont se mettre en place progressivement, mais finalement, le résultat sera pleinement bénéfique pour le secteur de la production et de la création audiovisuelle sur notre territoire.  

Dans un secteur aussi couteux que celui de la production audiovisuelle, quel est l’impact de la crise inflationniste que nous subissons actuellement ? 

L’impact se fait fortement ressentir comme on peut l’imaginer. Nous avons pu obtenir un budget supplémentaire de la Ministre qui nous permet non pas d’augmenter le nombre de projets soutenus, mais de mieux soutenir les projets. Autre conséquence indirecte de la crise, c’est que les guichets étrangers ont tendance à se recentrer sur leurs productions nationales en période de crise et il est donc de plus en plus difficile de trouver des financements à l’étranger pour soutenir nos films. Avec un pays comme la France, qui est un gros partenaire, c’est un réel problème. En raison de l’inflation, nos films coûtent de plus en plus chers mais sont aussi de plus en plus difficile à financer.  

De manière à pouvoir soutenir l’ensemble du secteur de la production audiovisuelle et à intégrer tous les nouveaux acteurs dans le cercle de production, nous allons créer, en 2023, une commission spécifique en 2023 pour soutenir les séries, en remplacement du Fonds FWB-RTBF pour les séries belges. Cette commission sera chapeautée par le Centre du Cinéma sur le modèle de la Commission cinéma.  

Le CSA vient de dévoiler les résultats de son étude MAP. On y voit que plus de la moitié des Belges francophones sont des consommateurs quotidiens de VOD et que les services étrangers (Netflix, Disney, Amazon etc.) occupent les premières places du podium. Comment la production audiovisuelle locale peut-elle trouver sa place dans un paysage qui a profondément changé ?  

On assiste de plus en plus à des modèles complémentaires et c’est plutôt une bonne chose. Le public fait désormais son marché en fonction de ses besoins. Le problème reste toujours celui de la visibilité dans un environnement caractérisé par la multiplicité des contenus. Les plateformes ont l’obligation de mettre en valeurs les productions européennes, mais encore faut-il savoir s’y retrouver dans un marché avec une offre abondante et variée. C’est pour cette raison que le cinéma en salles reste important, notamment pour valoriser nos productions et notre savoir-faire. Un succès en salle reste une manière très efficace de valoriser nos créations. L’objectif est d’être ensuite disponible sur une plateforme de grande visibilité comme Netflix avec une stratégie qui offre de la visibilité et une certaine pérennité à nos créations. Le fait que le paysage audiovisuel soit d’une grande diversité est une très bonne chose pour le grand public, mais cela nous renvoie aussi à l’importance d’entretenir notre spécificité belge pour exister dans cette masse et de continuer à produire des films plus pointus qui font notre renommée chez nous et en dehors de nos frontières.   

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