L‘autodiscipline, l’ADN du Jury d’Ethique Publicitaire

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Nous avons frappé à la porte du JEP, l’organe d’autodiscipline de la communication commerciale en Belgique dont l’un des rôles est le contrôle du contenu des messages publicitaires sur base des codes d’éthique appliqués au secteur mais aussi sur base de la législation de manière générale. Rencontre avec  Sandrine Sepul, Directrice du Centre de la Communication qui nous en dit plus sur le JEP, ses missions, son fonctionnement et la manière dont il s’inscrit dans les évolutions du marketing, des médias et des attentes des consommateurs.

Qu’est ce que le JEP et quelles sont ses missions, ses compétences ?

Le JEP a été créé par le Centre de la Communication qui est l’association professionnelle rassemblant les acteurs de l’écosystème belge de la communication et qui a pour objectifs de créer de la confiance dans la communication commerciale et d’assurer une publicité responsable.

Le JEP est l’organe d’autodiscipline compétent pour tous les contenus publicitaires diffusés dans les médias audiovisuels (télévision, cinéma, radio) , la presse écrite, l’affichage, les folder et brochures, les publicités personnalisées, les médias digitaux, les réseaux sociaux, les sites des annonceurs et aussi tous les supports publicitaires dans les points de vente.

Le Jury est composé de façon paritaire et représentative dans la mesure où la moitié de ses membres émane du secteur de la communication (les annonceurs, les agences de communication, les médias) et l’autre moitié émane de ce que nous appelons la société civile au sens large avec des professeurs d’université, un médiateur, etc  ou encore avec des organismes tels qu’Unia, l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes, le Forum des Jeunes, etc. Ces profils assez différents permettent d’assurer une diversité des points de vue et des compétences.

Le JEP agit notamment sur base de plaintes introduites par des consommateurs. Tout le monde peut déposer une plainte. Une plainte suffit pour ouvrir un dossier car chaque plainte a une importance même si elle est unique. Les seules plaintes que le JEP ne traite pas sont celles de nature concurrentielle. Nous ne sommes pas là pour trancher des litiges commerciaux.

Comment se déroule le traitement d’une plainte ?

Tout cela se passe rapidement. Nous traitons les dossiers dans un délai d’une semaine à dix jours. Quand une plainte est introduite, le JEP s’adresse aux annonceurs pour qu’ils puissent faire valoir leur point de vue. Sur base de ces échanges, le JEP peut prendre trois types de décision au regard d’une campagne: soit il estime qu’il n’y a pas de problème donc il n’y a pas de d’infraction, soit il constate une infraction et dans ce cas-là, il demande à l’annonceur d’arrêter sa diffusion ou d’adapter sa campagne pour autant que cela soit possible comme par exemple, modifier un slogan, etc… Le troisième type de décision est l’ avis de réserve, dans le cas où il n’y a pas d’infraction à un code, à un règlement ou à une législation, mais que le JEP estime que la communication flirte avec ces limites et qu’elle est susceptible de choquer, de poser problème. Cet avis de réserve est un signal lancé à l’annonceur qui est libre d’en tenir compte ou pas et d’arrêter ou non la campagne. C’est la différence avec les décisions d’arrêt ou de modification  qui sont quant à elles contraignantes.

Dans 98 % voire 100 % des cas, les décisions du JEP sont respectées. Quand elles ne le sont pas, ce sont généralement par des petits annonceurs qui ne sont pas membres d’associations, etc. Dans ce cas, on essaie d’être un peu plus créatif et de prendre directement contact avec eux pour expliquer comment nous travaillons et quelles sont les motivations et les enjeux de ces décisions.

C’est l’ADN de l’autodiscipline. Un système au travers duquel les acteurs d’un écosystème se sont mis d’accord pour élaborer des règles et mettre en place un organe de contrôle qui les applique et fait respecter les décisions qu’il prend. Dans le cas contraire, ça n’aurait pas de sens et ce serait la faillite de l’autodiscipline.

Il existe une possibilité d’appel au JEP, c’est-à-dire que lorsqu’une décision est rendue, tant le consommateur que l’annonceur ont la possibilité d’interjeter appel. Nous en avons eu très peu,ce qui est une bonne nouvelle pour nous car cela signifie et démontre que le Jury de première instance fait correctement son travail et que même si les décisions ne satisfont pas tout le monde, il y a une compréhension de celles-ci et des motivations qui en sont faites.

En parallèle des plaintes, le JEP peut agir de manière proactive et rendre des avis préalables aux annonceurs ou à leurs agences de communication qui en font la demande avant la diffusion d’une campagne. C’est un avis qui, dans ce cas, est confidentiel du grand public. On peut intervenir à tous les stades de conception de la campagne, par exemple quand elle est à l’état de script. Dans ce cas-là, nous formulons si nécessaire des remarques sous réserve du résultat final de l’exécution de la campagne.

Le marketing évolue constamment de même que les mentalités des publics et les médias. Est-ce que le JEP dresse des constats de ces évolutions et quels enjeux se dessinent selon vous ?

En effet, le marketing, les médias et les attentes du public évoluent. Le JEP constate par exemple que les consommateurs sont plus exigeants et plus attentifs à la transparence des communications commerciales qu’auparavant, notamment en matière d’identification de la communication en marketing digital. Ce n’est pas nouveau mais c’est devenu un enjeu important.

On constate également des attentes du public sur des thématiques particulières comme par exemple sur les allégations environnementales dans la publicité. On a constaté une augmentation au niveau des plaintes mais c’est assez récent. Ce que le JEP applique en matière d’allégations environnementales est le Code ICC, le Code de la Chambre de Commerce internationale qui dispose également d’un ICC Framework  qui va un peu plus loin encore que le code de base. Il est actuellement en cours de traduction pour que nous puissions nous même l’appliquer ici en  Belgique. D’autres initiatives existent également. “Come to Zero” par exemple qui est une coalition composée d’agences d’annonceurs et de médias belges qui a l’ambition d’ assurer la durabilité en matière de communication. Un guide a été élaboré avec des grands principes à retenir en matière de communications environnementales sous forme d’une check-list. Celle-ci permet aux agences ,aux annonceurs et aux médias d’être attentifs quand ils font des allégations environnementales. Il y a aussi des initiatives pour calculer l’empreinte carbone d’une production de campagne. On voit donc une certaine prise de conscience du secteur par rapport à cette problématique en particulier.

Comment vous adaptez-vous à ces nouvelles préoccupations du public ?

En tant que Centre de la Communication, nous devons nous adapter et évoluer aussi. C’est pour cette raison qu’il est  important de rassembler tout l’éco-système belge pour permettre l’ adhésion et la bonne application des règles en vigueur ou qui sont élaborées par l’ensemble des acteurs. Nous devons avoir une collaboration massive du secteur pour que le système d’autodiscipline soit efficace.

Vis à vis de toutes les évolutions, nous adaptons ou élaborons des codes. On ne peut pas se permettre aujourd’hui de rester des années avec un même code. Il faut régulièrement mettre à jour les textes et en élaborer de nouveaux.

Nous participons également aux adaptations des codes des fédérations professionnelles. C’est par ailleurs la raison pour laquelle nous avons mis en place en 2020 une commission de réflexion au sein du Centre de la Communication. Elle a notamment pour but de travailler sur ces différents textes d’auto régulation, mais aussi de faire valoir des avis sur les attentes des consommateurs et consommatrices, réfléchir aux évolutions qu’il pourrait y avoir au niveau du marketing ou tout simplement sur les thématiques qui attirent plus l’attention que d’ autres aujourd’hui.

Nous sommes également présents dans des organes qui rendent des avis ou qui eux-mêmes créent des codes comme au Conseil de la consommation,au CSA ou au Sectorraad Media où nous sommes invités à participer à des groupes de travail notamment récemment pour l’élaboration du code sur les publicités sexistes, hypersexualisées. Il est important pour nous de pouvoir être entendus dans ce type d’instance et de faire valoir notre voix. 

La question de la prévention, de la formation est également fondamentale. Nous collaborons régulièrement à des formations dans les écoles de communication car il est important que les jeunes qui seront bientôt sur le marché du travail soient sensibilisés aux questions d’éthiques des communications commerciales et qu’ils ne débarquent pas en se disant qu’on peut faire tout et n’importe quoi.

En avril 2022, le Centre de la Communication adoptait une recommandation à l’intention des influenceurs. Que représente pour vous cette adoption ?

Le Centre de la Communication avait déjà publié une recommandation en la matière en 2018 mais vu la mutation constante de ce secteur et les plaintes reçues, nous avons décidé de la mettre à jour et nous avons rédigé un nouveau texte au sein de notre commission de réflexion. Cette rédaction s’est faite en concertation avec d’autres partenaires. Nous avons eu des réunions avec le CSA, avec le cabinet de la Secrétaire d’État à la Protection des consommateurs, avec le SPF Économie, le VRM, etc… Nous avons eu plusieurs contacts également avec des influenceurs qui nous ont fait part de leur point de vue. Notre objectif reste d’assurer une sorte de sécurité juridique pour le secteur en lui expliquant exactement quelle règle doit être appliquée pour être « dans les clous ».

Un second objectif est la protection du consommateur, qu’il sache s’il est devant un contenu qui est de l’ordre de l’expérience personnelle de l’influenceur ou s’il est devant un contenu à caractère commercial. C’est désormais possible notamment grâce à une définition plus précise dans le texte de ce qu’est une relation commerciale. A partir du moment où un influenceur reçoit une contrepartie ou l’opportunité d’avoir une contrepartie en fonction de sa communication, il y a une relation commerciale. La contrepartie peut prendre d’autres formes que monétaire, comme des cadeaux par exemple. Dès lors, nous expliquons aux influenceurs qu’ils doivent rendre cette relation claire pour le consommateur et afficher des mentions telles que « publicité »,« sponsoring » ou « placement de produit », tout en sachant que le mot publicitaire est toujours le bienvenu.

Cette clarification de la relation commerciale est importante mais il n’en demeure pas moins que le contenu reste lui aussi important. S’il fait un post à propos d’alcool, il doit respecter les dispositions de la Convention alcool. Il ne peut pas non plus faire preuve de sexisme, de discrimination, etc. Toutes les règles en matière de contenu doivent être également respectées.

Actuellement, les plaintes sur cette problématique sont peu nombreuses mais nous en avons reçues sur l’aspect de l’identification de la publicité. Cela reste un enjeu même si j’ai le sentiment qu’il y a une évolution positive et que les mentions sont davantage affichées. Il y a une prise de conscience.

A la décharge des influenceurs, ce n’est pas évident non plus. Il n’y a pas grand-chose dans ce domaine et tout le monde faisait un peu ce qu’il entendait, à sa sauce. D’où l’intérêt d’avoir ce genre de document qui leur permet de savoir où ils vont et ce qu’ils doivent faire.

Nous avons organisé un séminaire pour le secteur et nous avons ressenti un réel intérêt de la part de ces influenceurs de bien faire les choses Nous essayons de faire œuvre de pédagogie. Cela prend du temps et ne règle pas tout du jour au lendemain mais à mon sens il y a une évolution positive.

Pour en savoir plus sur le Jury d’Ethique Publicitaire: https://www.jep.be/fr/

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