Parmi les partenaires avec lesquels le CSA collabore, le Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM). Nous nous sommes entretenus avec Paul De Theux, son Président, qui présente le Conseil, les raisons de son existence au sein d’un secteur en perpétuel évolution avec des publics extrêmement diversifiés.
Pourquoi existe-t-il un CSEM et quels étaient les enjeux au moment de sa création ?
Dans l’après-guerre, s’est ressenti la nécessité de développer un regard critique sur les médias. Au niveau international, l’Unesco avait pris des positions qui ont eu des échos assez importants et qui ont été un catalyseur dans de nombreux pays.
L’éducation aux médias a émergé progressivement dans les années 60-70-80 même s’il y avait déjà des initiatives qui préexistaient. Le cinéma, tout comme la presse, faisaient parties des premiers enjeux mais, dans les années 80, avec l’explosion des télévisions privées, de nouveaux programmes, une diffusion 24h sur 24, etc… il a été nécessaire de pouvoir développer un regard critique face au développement de ces nouveaux médias notamment commerciaux. Une série d’activités se sont développées à la fois dans le secteur associatif et dans celui de l’enseignement.
Début des années 90, la Fondation Roi Baudoin a également soutenu la problématique d’éducation aux médias mais c’est en 1995 qu’est créé un Conseil de l’éducation aux médias (CEM) avec autour de la table, le secteur de l’enseignement, celui des médias bien évidemment et tous les acteurs qui s’étaient déjà impliqués dans l’éducation aux médias auparavant, notamment des acteurs associatifs. Ce dispositif a été consolidé par un décret en 2008 qui a élargi le champ d’application des activités du Conseil en dehors du monde scolaire et intégré les opérations de partenaires qui existaient déjà telles « ouvrir mon quotidien », « Écran large sur tableau noir », « journalistes en classe », etc.
A cette époque, Internet s’était également déjà largement implanté et les réseaux sociaux apparaissaient avec toute une série de questions autour de ces nouveaux médias.
Une des premières tâches que le Conseil s’était donné alors était d’élaborer les compétences d’éducation aux médias c’est-à-dire définir les compétences que l’on vise à mettre en place quand on fait de l’éducation aux médias. Ce référentiel évidemment est moins approprié pour le secteur associatif ou non scolaire dans lesquels d’autres approches sont nécessaires mais l’élaboration de ces compétences ont permis de préciser notre travail.
Qu’est-ce que le CSEM ? Comment fonctionne-t-il aujourd’hui ?
Le CSEM n’est qu’un « conseil », c’est-à-dire un lieu où se réunissent des membres désignés par le Gouvernement issus aussi bien de l’enseignement, du monde des médias, du secteur associatif, du monde de la recherche, etc. Ce n’est pas une organisation qui a elle-même la capacité de mener des actions mais bien un lieu de coordination, de définition de la politique d’éducation aux médias et de sa mise en œuvre par les forces qui sont investies dans ce domaine pour qu’elles puissent se coordonner et agir collectivement, en bonne entente et avec efficacité. C’est également une instance qui remet des avis d’initiative sur des questions qui lui semblent importantes ou sur demande du politique.
Ce Conseil est soutenu par une « direction d’appui » qui compte 8 personnes. C’est cette équipe qui permet de réaliser une série de travaux que le Conseil lui-même n’a pas les moyens de réaliser dans le cadre de ses réunions mensuelles et de ses groupes de travail. Par exemple, réaliser une tournée des professionnels de l’éducation aux médias, préparer la « semaine d’éducation aux médias » qui aura lieu cette année, rédiger des publications sur des questions d’actualité, produire des fiches pédagogiques, etc. C’est ce qui nous permet de fournir une série de ressources, d’outils, d’éléments de référentiel pour soutenir l’éducation média en FWB.
Il y a donc différents acteurs de l’éducation média. Quels sont leurs publics ?
Les publics qui sont touchés actuellement sont évidemment le monde de l’enseignement, le secteur jeunesse, puisqu’il y a des associations actives pour ce public, les adultes au travers l’éducation permanente avec également des associations qui développent en partie ou complètement des activités en éducation aux médias. Nous recevons également des demandes de centres culturels, de bibliothèques, toute une série de partenaires qui se tournent vers l’éducation aux médias pour intégrer cette logique dans leurs activités et leurs objectifs globaux.
Les publics qui ne sont pas suffisamment atteints sont, comme bien souvent, les publics vulnérables, parfois analphabètes, les publics marginalisés ou plus fragilisés d’un point de vue socio-économique, culturel, etc. Ce sont des publics plus difficiles à atteindre et pour lesquelles il faut mettre en place des méthodologies appropriées, trouver les bonnes ressources et les intervenants qui peuvent aider ces publics. Ce sont des enjeux qu’il reste à rencontrer et à relever.
Mais il ne faut pas imaginer que parce qu’on est né à l’ère du numérique, qu’on maîtrise le numérique. Des études, notamment celle de la Fondation Roi Baudouin, ont démontré que le numérique n’est pas une évidence pour tout le monde et qu’il n’y a pas que les jeunes des milieux moins favorisés qui ont peu de compétences pour utiliser ces outils. Il y a, là aussi, toujours de vrais enjeux que Le Pacte d’excellence devrait aider à rencontrer mais qui ne sera pas suffisant.
Depuis la création du CSEM, les médias ont évolué. Comment traduisez-vous ces évolutions ? Quels sont les enjeux d’éducation aux médias aujourd’hui ?
C’est clairement l’arrivée d’Internet qui a été la grosse révolution pour la société et pour l’éducation aux médias, et pas uniquement sur des questions d’information.
Dans les années 90, on pouvait avoir le même regard critique sur les contenus en ligne que pour les médias traditionnels mais, dès que le web 2.0 s’est développé, on est passé dans un autre univers avec de nouveaux enjeux d’éducation aux médias. Tout le monde a pu communiquer, tout le monde a pu interagir. Les médias se sont mis à avoir des fonctions qui n’existaient pas auparavant et qui nécessitent encore aujourd’hui de nouvelles approches. Se posent les questions liées à la socialisation numérique, au fait de s’exprimer et de prendre place dans les réseaux sociaux, l’impact qu’ils ont sur notre identité numérique mais aussi les questions liées à la désinformation, au Big Data, aux données personnelles, aux algorithmes, etc. Comprendre et connaître tout cela sont devenus des enjeux d’éducation aux médias d’autant plus complexes que ce secteur est extrêmement évolutif.
Les parents, par exemple, qui sont en première ligne de l’éducation de leurs enfants, sont parfois dépourvus sur la manière de réagir face à tout cela. C’est important de les épauler et de les accompagner pour éviter qu’ils n’aient des réflexes de rejet de ces outils. C’est un enjeu important de sociabilisation des enfants. Mais c’est complexe et ça évolue constamment. Il est nécessaire de développer des outils, des repères, des activités et des lieux d’interaction. Pour les parents, ça peut être un grand soulagement de voir que finalement tout le monde est confronté aux mêmes problèmes et qu’ils peuvent tirer parti de ce que les uns et les autres ont trouvé comme solutions qui fonctionnent, se les communiquer et ainsi s’entraider.
Aujourd’hui, l’industrie des jeux vidéo est devenue l’industrie médiatique la plus importante puisque son chiffre d’affaires vient de dépasser celui du cinéma. C’est un domaine dans lequel il y a assez peu d’éducation aux médias qui est développée et donc un champ dans lequel il faudra s’investir d’avantage. Tout comme le développement de l’intelligence artificielle et d’autres outils numériques qui sont très puissants et pour lesquels il faut être vigilants et développer une approche critique. Cela fait partie des problématiques que l’éducation aux médias doit prendre en charge.
L’éducation aux médias ne se limite donc pas, comme on le pense parfois, aux médias d’information mais veut toucher à l’ensemble des médias.
En matière de désinformation c’est une thématique dont on parle beaucoup en ce moment notamment au CSA, comment le CSEM se positionne vis-à-vis de cette problématique ? Est-ce que cette thématique était déjà présente dans vos constats ?
C’est quelque chose dans lequel le CSEM s’est toujours investi, que ce soit à propos de la presse écrite ou toutes formes d’information. L’information et la désinformation sont des matières qui se répondent. Toutes les questions liées à la désinformation, ce qui circule sur Internet en termes de rumeurs, de théories du complot, propagandes ou volontés d’influence n’émergeaient pas dans les médias de masse ou très peu. Avec les réseaux sociaux, ces phénomènes se sont amplifiés et pris de nouvelles formes. Il est important de les comprendre, les identifier de savoir comment ils circulent.
Nous sommes nous-mêmes parfois séduits ou attirés par telle ou telle information inexacte que nous répercutons. Nous sommes tous pris à ce piège mais par le passé cela restait des « conversations de comptoir ». A présent, tout se trouve écrit, circule et acquiert de la crédibilité par sa circulation et sa répétition. Il est nécessaire de se former à une certaine vigilance et une capacité de vérifier ce que l’on lit, ce que l’on entend et ce que l’on fait circuler.
Il ne faut pas être non plus trop pessimiste. L’année dernière, nous avons réalisé une enquête sur les jeunes dans le cadre d’un projet européen et nous relevions que les jeunes sont très attentifs à ne pas relayer de fausses informations car cela nuit à leur crédibilité, à leur image et ils ne veulent pas passer pour des idiots. Les jeunes y sont sensibles mais manquent d’outils pour pouvoir se faire un avis.
Aujourd’hui, il y a une vraie volonté politique et des initiatives qui ont été prises qui permettent de développer de manière générale l’éducation aux médias et de rencontrer de nouveaux enjeux. Le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a mis en place l’année dernière un plan d’éducation aux médias avec 62 actions. On souhaite toujours évidemment qu’il y en ait plus. On a le sentiment d’être loin de tout ce qu’il faudrait faire mais malgré tout il y a des choses qui se mettent en place, il y a des initiatives nouvelles et ça je pense que c’est positif.
Pour en savoir plus sur le CSEM et ses activités: https://www.csem.be/

Entretien avec Paul de Theux,
Président du CSEM et Directeur de Média Animation