Une semaine de rencontre à Dakar, sur fond de protection des mineurs et de communication institutionnelle

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Le Conseil supérieur de l’audiovisuel belge (CSA) et le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel sénégalais (CNRA) ont entamé un programme de coopération qui porte sur le « Renforcement des capacités de la régulation et de la promotion de la diversité culturelle et sociale au Sénégal ». Tout au long de la coopération, de nombreuses visites sont prévues au siège du CNRA à Dakar et à Bruxelles pour assurer le bon déroulement des projets. Par le biais de cette collaboration, ce sont les deux instances qui ont l’opportunité de partager leur expérience de régulation sur des thématiques prioritaires, telles que la diversité sociale et culturelle, la protection des enfants et adolescents, ainsi que d’un soutien à l’expertise et au renforcement de l’outil de monitoring des médias mis en place par le CNRA.

Avec Geneviève Thiry, Conseillère en charge de la protection des mineurs au CSA et François Massoz-Fouillien, responsable du service communication de la même instance, la semaine du 13 février a été entièrement consacrée à des échanges d’expérience. Avec les membres du Conseil du CNRA et ses équipes, mais aussi de représentant.e.s d’instances extérieures comme l’UNICEF et la Cellule d’Appui à la Protection de l’Enfance (CAPE), les membres du CSA se sont concentrés sur les enjeux et les défis des deux instances dans les domaines de la  protection des jeunes publics et de la communication institutionnelle.

Enfants et jeunes publics, des questionnements universels qui se heurtent à des réalités différentes

« On a souvent tendance à oublier que les enfants sont des citoyens et des citoyennes comme les autres et qu’ils et elles méritent un traitement à part, aussi bien de la part des médias que des régulateurs de médias ». Cette déclaration d’un représentant de la CAPE, résume bien l’un des grands enjeux des médias sénégalais, mais aussi des médias belges et des autorités de régulation. Du côté des médias, l’enfant est souvent considéré comme un objet et non comme un sujet d’information à part entière. « En cela, ils ont toujours un rôle mineur dans les médias et les sujets sont souvent orientés sous un angle péjoratif. Par exemple, un problème au Sénégal, c’est le traitement médiatique des enfants de la rue. L’image qu’en donnent les médias est trop souvent dégradante », poursuit un autre participant à l’atelier représentant l’Unicef au Sénégal.

En Belgique, les jeunes publics représentent un véritable enjeu souvent difficile à atteindre pour les médias. En témoignent les nombreux projets dans lesquels s’investissent les médias et singulièrement l’éditeur public pour proposer des programmes aux plus jeunes. Si la protection des mineurs est l’une des prérogatives du CSA, « nous avons souvent tendance à faire cavaliers seuls, alors qu’il existe diverses structures que nous pourrions solliciter de manière plus structurelle », reconnait Geneviève Thiry. L’associatif, le culturel et la société civile en général ont une place importante au Sénégal et cela se reflète jusqu’à l’intérieur des instances officielles, dont le CNRA. À l’exception du Président qui est nommé par la présidence du Sénégal, la loi prévoit en effet que son Conseil (l’instance décisionnelle) soit entièrement composé de représentants et représentantes de la société civile et de différents secteurs. Les membres doivent par exemple représenter des associations de femmes, le secteur des médias, le monde académique, des arts ou encore du troisième âge…

« Nous avons eu énormément d’échanges entre nous, sur nos pratiques, nos questionnements et notre manière de fonctionner. Finalement, que l’on soit au Sénégal ou en Belgique, on réalise que nous avons exactement les mêmes préoccupations, mais dans des contextes de société très différents » déclare encore Geneviève Thiry avant de souligner la complémentarité des deux instances de régulation. Du côté du CSA, les différentes méthodologies, la construction des jurisprudences et des monitorings sur la protection des mineurs représentent un atout qui pourrait renforcer considérablement l’approche du CNRA. De son côté, avec un Conseil davantage ancré dans la société civile, l’autorité de régulation sénégalaise collabore avec des institutions pertinentes, ce qui lui permet d’enrichir son approche de régulation sur des thématiques aussi porteuses et essentielles que la protection de l’enfance et des jeunes publics. Le CSA a fait de son côté un autre choix, en distinguant deux chambres en son sein, L’une, le Collège d’autorisation et de contrôle, l’instance décisionnelle composée de membres indépendants. L’autre, le Collège d’avis, l’instance consultative, composée expressément de représentant.e.s des différents secteurs professionnels des médias, et qui doivent en outre consulter les différents pans de la société, à travers ses travaux et ses consultations publiques.  

La recherche de légitimité des autorités de régulation de médias, une question d’histoire, d’image et de moyens

« Chaque régulateur de médias est inscrit dans sa propre histoire et chaque histoire est différente d’un pays à l’autre. Dans le même temps, le paysage médiatique varie aussi fortement d’un pays à l’autre voir d’une région à l’autre. C’est un constat que l’on observe partout dans le monde et qui impacte énormément l’image que les régulateurs ont auprès de leurs publics », a déclaré François Massoz-Fouillien, en ouverture d’un atelier dédié à la communication institutionnelle. L’histoire est donc fondamentale pour comprendre l’image d’une institution.

L’histoire du CNRA est par exemple intrinsèquement liée aux élections sénégalaises, puisque son rôle initial était d’encadrer et de réguler la couverture médiatique des différentes périodes électorales du pays. Un rôle de premier plan qui mobilise encore fortement les équipes du CNRA aujourd’hui, « mais qui a tendance aussi à faire oublier tout le reste » regrette l’un des participants de l’atelier.

Du côté du CSA, c’est son image de gendarme de l’audiovisuel dont il a du mal à se défaire, alors que son rôle est autant de défendre les droits des citoyens et des citoyennes que de protéger, de défendre et de renforcer le paysage audiovisuel lui-même. Tant en Belgique qu’au Sénégal, le « véritable danger » estime François Massoz-Fouillien, « c’est que les citoyens et citoyennes, le secteur concerné et les instances politiques ne perçoivent pas le rôle pluriel des régulateurs et ne mesure pas leur importance dans les rouages d’une société démocratique ». Sans un arsenal législatif et sans régulation effective, tout reposerait sur la seule responsabilité des éditeurs et rien n’empêcherait un média de diffuser les messages d’un seul et unique parti politique, ou de propager des discours haineux. Rien n’empêcherait un groupe médiatique d’absorber tout le paysage et de mettre fin à un pluralisme essentiel de l’information. « La régulation est au cœur du processus démocratique des sociétés, d’où l’importance pour les régulateurs de bien communiquer et de bien se faire comprendre auprès du grand public », conclut François Massoz-Fouillien.

Au CNRA, la recherche de légitimité est aussi du côté des autorités publiques, estime Ibrahima Sané, membre du Conseil. « il s’agit d’un enjeu très important pour le CNRA, d’autant qu’un futur texte de loi devra prochainement redéfinir les missions de l’instance. Nous sommes certes reconnus, mais les autorités ne perçoivent pas toujours notre importance. La conséquence directe à cela, c’est évidemment le financement. Nous manquons de moyens par rapport aux enjeux qui se dressent devant nous. Le Sénégal est une vieille-jeune démocratie et ça se reflète au CNRA. Nous existons depuis longtemps, mais il y a encore du chemin à parcourir pour être pleinement reconnu ». Conclut-il.

Ces échanges entre le CSA et le CNRA illustrent combien les institutions démocratiques, en apparence solides et coulées dans le marbre, sont en réalité fragiles. Une fragilité qui contraste avec les enjeux audiovisuels actuels. Ces derniers traversent tous les continents et posent de nombreux défis communs à relever. Pour en citer deux, l’impact des géants du streaming sur l’économie locale des médias, mais aussi et surtout la place de l’information dans un contexte où la désinformation fait désormais partie du paysage. « J’observe au Sénégal que, dans le contexte actuel, le journalisme de qualité est véritablement malmené. Le déclaratif devient de plus en plus une valeur journalistique. On voit passer sur les réseaux sociaux des déclarations politiques choc sans aucun traitement derrière et les personnalités politiques en jouent de plus en plus », s’inquiète Ibrahima Sané. Du côté Européen, on s’active à mettre en œuvre un premier règlement majeur (DSA) pour réguler les réseaux sociaux. Un projet qui occupe une place très importante pour les régulateurs européens dont le CSA et qui ne manquera pas d’être discuté lors des prochains ateliers de la coopération.

Les suites de la coopération

Dans les semaines à venir, la coopération entre le CNRA et le CSA se poursuivra avec une rencontre du Bureau du CSA des membres du Conseil du CNRA à Dakar en mars. D’autres projets et ateliers suivront, à Bruxelles et à Dakar, autour des thèmes du monitoring des programmes, des études et recherches, de la protection des mineurs et de la communication institutionnelle.

La coopération entre le CSA et le CNRA est soutenue par Wallonie-Bruxelles International.

En savoir plus sur la coopération entre le CSA et le CNRA

La section du site du CSA dédiée à la coopération

La coopération entre le CNRA et le CSA se met en place

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