Une plus grande visibilité des artistes locaux dans nos radios

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Entretien avec Xavier Jacques Jourion et Yannick De Mol, Unité Radio du CSA 

Depuis quelques mois, un nouveau décret audiovisuel (sur les services de médias audiovisuels et les services de partage de vidéos) est entré en vigueur. L’application de ce nouveau décret représente un nouveau défi pour les médias mais aussi la fin d’un grand chantier.  

Le nouveau décret transpose en effet les obligations européennes de trois directives concernant les services de médias audiovisuels, ce qui permet de moderniser la législation mais aussi de l’étendre à une série d’acteurs, comme les services de partage de vidéos. Le nouveau texte adapte enfin la régulation sur des matières aussi importantes que la lutte contre les discriminations, les règles en matière de communication commerciale, la contribution à la production, la protection des personnes mineures et les quotas, notamment musicaux. Sur ce point en particulier, le décret envisage une plus grande et meilleure visibilité des artistes musicaux de la Fédération Wallonie-Bruxelles en radio. Nous avons passé en revue les détails de cette nouveauté avec Xavier Jacques-Jourion et Yannick De Mol, de l’Unité Radio du CSA.  

Un nouveau décret relatif aux médias audiovisuels est entré en vigueur en avril dernier. Quels sont les changements concernant les quotas imposés aux radios ? 

XJJ : Le décret comporte des changements importants concernant les quotas de musique émanant d’artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles : ils devront augmenter de manière graduelle pendant une période de transition de cinq ans.  

C’est assez technique mais au fond ce n’est pas très compliqué : l’ancien décret prévoyait déjà l’obligation pour chaque radio de diffuser annuellement au moins 30% d’œuvres musicales de langue française et au moins 6% d’œuvres musicales émanant d’artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). La nouveauté dans ce décret est que la proportion d’œuvres issues de la FWB sur les antennes devra passer progressivement de 6 à 10% pour les radios en réseaux et de 6 à 8 % pour les radios indépendantes d’ici 2026. Le quota de chanson française reste par contre inchangé. 

Est-ce qu’il y a d’autres changements concernant ces quotas de musique issue de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? 

YDM : Pour éviter que la diffusion de la musique issue de la FWB soit cantonnée à la nuit, le nouveau décret fixe la répartition de ces morceaux de musique entre la journée et la nuit. A partir de maintenant, les radios doivent diffuser les trois quarts (75%) de leur engagement entre 6h et 22h. Pour prendre un exemple concret, imaginons une radio qui diffuse en moyenne environ 300 titres par jour. Si elle s’est engagée à diffuser 12% de musique issue de la FWB, cela représente 36 morceaux par jour. Et donc, elle devra diffuser au moins 27 titres FWB entre 6 et 22 heures, et le reste pendant la nuit. 

J’ajouterai aussi que les chiffres du décret sont des seuils minimums. En réalité, beaucoup de radios ont pris des engagements supérieurs à ces minimums quand elles ont participé aux différents appels d’offres. Ces engagements montent jusqu’à 40% pour la musique issue de la Fédération Wallonne-Bruxelles ! 

Les radios de la RTBF sont-elles également soumises au décret relatif aux services de médias audiovisuels ? 

XJJ : Non, il faut bien distinguer les radios privées des radios de celles du service public qui ne sont pas soumises aux mêmes obligations. Les radios de la RTBF ont des obligations spécifiques décrites dans le contrat de gestion de la RTBF. Ce contrat est négocié à intervalles réguliers entre la RTBF et le Gouvernement de la Communauté française. Il prévoit que la RTBF diffuse au minimum 45% de musique chantée avec des paroles en français sur La Première, 40% sur Vivacité, 20% sur Classic21, 20% sur Tarmac et 10% sur Tipik. En ce qui concerne la musique émanant d’artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les obligations de la RTBF sont les suivantes : 12% sur La Première, Vivacité, Tipik et Tarmac chacune, dont 10% entre 6h et 22h, et 6% sur Classic21, dont 4.5% entre 6h et 22h. Comme le contrat de gestion actuel arrive à échéance en 2022, on peut supposer que ces chiffres vont évoluer pour refléter les modifications du décret. 

Au fond, quel est l’objectif visé par les évolutions décrétales et qui touchent donc toutes les radios privées ? 

XJJ : Il s’agit avant tout d’assurer une présence forte des artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la chanson française sur les ondes de nos radios. L’intention du régulateur à travers ces obligations, c’est de garantir la richesse, la vitalité et la viabilité du secteur musical – et culturel par extension – de la Communauté française.  

En pratique, comment identifier les artistes émanant de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?  

YDM : Le décret parle d’« auteurs, de compositeurs, d’artistes-interprètes ou de producteurs musicaux dont le domicile, le siège d’exploitation ou le siège social est situé en région de langue française ou en région bilingue de Bruxelles-Capitale ». C’est donc clair dans le texte mais en pratique il est parfois difficile d’identifier ces artistes avec certitude, notamment parce que cela évolue continuellement.  

Une bonne source d’informations c’est l’Intégrale de la musique (www.idlm.be), un annuaire en ligne publié par le Conseil de la Musique, qui a pour but entre autres de recenser les artistes émanant de la FWB.  

XJJ : Oui, c’est un bon outil mais il n’est malheureusement pas exhaustif parce que la base de données est construite sur base volontaire par les contributions individuelles des artistes. En fait, le décret comporte cette disposition mais aucune institution n’a le mandat et/ou les moyens de tenir à jour une base de données complète qui permettrait d’identifier de façon certaine les artistes issus de la FWB.  

Une solution pourrait être de créer un « label » des productions issues de la Fédération Wallonie-Bruxelles, une appellation d’origine contrôlée en quelque sorte. Il faudrait que les artistes aient un intérêt – par exemple promotionnel – à se déclarer pour obtenir ce label. Ce serait une référence fiable pour le CSA comme pour les radios afin d’identifier les artistes émanant de la FWB.  

Revenons au travail de l’unité Radio du CSA, concrètement, comme se passe le contrôle du respect de ces quotas ? 

YDM : Chaque année, nous organisons le contrôle annuel des radios privées (les radios en réseau et les radios indépendantes). C’est un gros boulot. Le contrôle évalue le respect des obligations prévues par le décret, mais aussi le respect des engagements pris par chacune des radios. Ces engagements concernent par exemple le volume des programmes de promotion culturelle ou la proportion de production propre, en plus de la musique chantée en français ou issue de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il y a toute une mécanique administrative que nous devons suivre. 

XJJ : Oui, en pratique, une fois que nous avons reçu tous les rapports, l’unité Radio et les conseiller.e.s (culture, informations, communication commerciale, économie, etc.) travaillent chacun.e sur leurs thématiques spécifiques. Concernant les quotas de musique en langue française et émanant de la Fédération Wallonie-Bruxelles, nous nous basons sur le rapport annuel et sur les échantillons (conduites et piges audio) fournis par les éditeurs pour vérifier si les calculs sont corrects et correspondent (ou pas) aux engagements pris par chaque radio. Une fois cette étape réalisée, des questions sont envoyées aux éditeurs potentiellement en défaut pour avoir toutes les informations et informer le Collège d’autorisation et de contrôle qui émettra des avis au cas par cas. 

Avec les changements introduits par le nouveau décret, nous prolongeons un travail déjà initié visant à rendre le processus de contrôle plus efficace. Mais je voudrais insister sur le fait que notre objectif est de faciliter le travail des radios en FWB et de nous assurer d’avoir des informations à jour et de qualité sur le secteur. Notre approche est basée sur l’écoute des réalités de terrain et se veut toujours empreinte de bienveillance. 

Découvrez notre dossier : Nouveau décret, tout ce qui change

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