Un système de contribution à la production locale qui pourrait être plus ambitieux

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Le nouveau décret intègre désormais les médias qui ciblent le marché de la Fédération Wallonie-Bruxelles à un système de contribution à la production audiovisuelle locale. Nous avons rencontré Delphine Mougenot de l’Union des Producteurs de Films Francophones (UPFF) pour comprendre l’importance de cette modification au regard de la production Belge francophone. 

Le nouveau décret introduit une obligation de contribution des médias audiovisuels qui ciblent notre marché. Cette obligation de contribution peut se faire sous forme de participation au Centre du cinéma et de l’audiovisuel, ou de coproduction avec nos producteurs indépendants. Pensez-vous que cette modification est bénéfique pour la production en FWB ?   

C’est un changement que nous attendions. Le texte européen initial ne permettait pas de faire contribuer les acteurs qui ciblent notre territoire. Or, pour nous, c’était une distorsion qu’ils ne soient pas soumis aux mêmes règles que nos éditeurs. On est ravi que le dernier texte européen ai finalement permis d’implémenter cette obligation chez nous. Dans le marché mondialisé des médias qu’on connait aujourd’hui, un éditeur de services qui met une offre à disposition du public de la Fédération Wallonie-Bruxelles doit se distinguer quelque part aussi par une production locale qui, de plus, est amenée à se développer. On pense, par exemple, au marché de la série belge francophone qui a peut-être démarré un peu tardivement il y a quelques années avec le fond série FWB-RTBF mais qui s’est vraiment très fort développé depuis. Il y a une logique aujourd’hui à ce que d’autres éditeurs s’impliquent dans la série belge. On est dans un marché dans lequel Netflix par exemple offre énormément de séries européennes sur sa plateforme. La série européenne se développe de manière exponentielle et on est ravi que la Belgique francophone puisse aussi développer ce secteur. 

La Belgique francophone étant un petit marché francophone à côté d’un très grand marché francophone qui est la France et un petit marché en Suisse et au Luxembourg. Sur notre territoire, il y a toujours eu beaucoup de coproductions notamment parce qu’on trouve difficilement tous les fonds suffisants pour financer correctement des films d’initiative belge. Très souvent, on va les coproduire avec des partenaires étrangers et l’inverse aussi. On coproduit beaucoup en Belgique francophone, des films, des séries, des productions documentaires. Plus l’activité du secteur va être amenée à augmenter, plus les partenariats qui existent déjà vont être renforcés et vont grandir car ce système de contribution se met en place en Belgique mais aussi dans d’autres territoires européens notamment en France avec un système très ambitieux et une obligation très importante de coproduction. C’est évidemment bénéfique pour la production européenne de manière générale et pour l’activité de la production en Belgique francophone. A notre sens, cela va être aussi une opportunité de permettre de financer des œuvres belges plus facilement parce que ça va amener de nouveaux investissements de ces nouveaux acteurs.  

La coproduction, c’est quelque chose que nous maitrisons très bien. Elle amène des financements et des talents extérieurs. Mais la difficulté de produire en Belgique des œuvres belges peut aussi avoir parfois des effets pervers. Dès qu’on est en coproduction avec des partenaires étrangers, cela implique qu’on leur confie une série de dépenses, par exemple le casting, ce qui peut nuire à la création de notoriété de nouveaux talents belges. C’est ce qu’on regrette parfois. Avoir peut-être plus de moyens en Belgique francophone pour pouvoir produire des œuvres plus belgo-belges, nous semble aussi une opportunité à saisir aujourd’hui. 

A votre demande, un groupe de travail a été mis en place par la Ministre. Quels sont les inquiétudes actuellement des producteurs ? Quels sont les enjeux sur lesquels vous travaillez ?   

On était demandeur que les éditeurs ciblant le territoire belge entrent dans la mécanique de contribution locale. On a également été consulté lors des travaux préliminaires de modifications du décret via le Collège d’avis du CSA dont nous sommes membres. Notre intérêt portait à la fois sur les articles qui concernent les quotas de diffusion et la contribution à la production indépendante. Mais, le pourcentage de contribution qui allait être mis en place, nous ne l’avons connu qu’au moment où le texte était déjà en route pour être voté. A ce moment-là, on savait que ça bougeait aussi dans les pays voisins, qu’en France ils plaidaient pour un pourcentage de 20 à 25% du chiffres d’affaires des opérateurs concernés, qu’en Italie c’est 15%, aux Pays-Bas on parle de 6%, en Suisse même si ce n’est pas le territoire européen c’est 4% ce qui est moins important qu’en France mais tout de même bien plus élevé que chez nous, … Chez nous, on s’est “contenté” d’appliquer aux éditeurs qui ciblent notre marché le pourcentage qui était déjà en application pour les acteurs locaux soit un maximum 2,2% du chiffre d’affaires. 

Voyant tout cela, on a réagi très vite en mettant en avant que ce pourcentage était insuffisant, surtout compte tenu de nos relations de coproduction avec grand nombre de territoires voisins. Si on se retrouve avec un voisin qui a dix fois plus d’obligation pour des médias qui sont actifs à la fois chez eux et chez nous, ça va créer une fuite de talents, etc… Ce n’est pas du tout une bonne chose de continuer longtemps avec une telle distorsion. 

Nous avons interpellé la Ministre, qui nous a répondu qu’un groupe de travail allait être mis en place rapidement sur cette question avec des objectifs plus ambitieux. Le groupe de travail a effectivement été mis en place et on y travaille actuellement. Le but n’est pas d’atteindre absolument les 20-25% que la France a mis en place, c’est le pourcentage le plus ambitieux d’Europe, mais quand même d’être assez ambitieux dans le cadre d’une prochaine modification du décret. 

Est-ce que des textes de loi sont nécessaires pour plus de coproduction locale et plus d’investissements ?  

Les acteurs ont malheureusement tendance à se limiter à l’obligation légale. Nous avons le sentiment que pour aller au-delà de ce qui est présent dans le décret, c’est compliqué.  

Néanmoins, les distributeurs de services présents historiquement sur le territoire (Proximus, Voo, …) qui sont soumis à une obligation un peu comparable, ont signé une convention d’investissement volontaire dans de la production d’initiative belge. Cette convention que nous signons avec eux est un engagement volontaire de leur part à investir un certain pourcentage dans de la production d’initiative belge. Ce n’est pas une obligation décrétale. La production belge est la plus difficile à financer sur base de notre marché surtout si on se basait juste sur ce que les acteurs ont envie de soutenir naturellement.  

Avec les distributeurs, nous avons des relations peut-être un peu plus directes et historiques qui permettent qu’on arrive à signer ces conventions d’investissement volontaire. Ce n’est pas encore le cas avec les éditeurs basés à l’étranger.  

Nous ne savons pas s’ils le referont mais Netflix a produit des séries qu’on pourrait qualifier de belges parce que produitent avec des producteurs belges, des castings principalement belges, des équipes techniques belges, etc. C’est récemment le cas des deux saisons d’Into The Night. Ils l’ont fait sans être soumis à une obligation. Je pense que ça fait aussi partie de leur politique quand ils arrivent sur un territoire d’offrir de la production locale à la fois pour ce territoire là mais également pour enrichir leur catalogue mondial. S’ils le font, ils investissent potentiellement un montant important mais nous ne pouvons pas savoir s’ils le feront tous les ans. Notre objectif c’est aussi de pérenniser cela et le cadre décrétal est le seul qui puisse permettre que ce soit régulier, que les liens se créent pour une relation fructueuse et pérenne. 

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