Le système de contribution à la production d’œuvres audiovisuelles n’est pas nouveau en Fédération Wallonie Bruxelles mais est désormais étendu aux chaînes ciblant notre marché depuis l’étranger grâce à la transposition de la directive dans notre décret sur les services de média audiovisuel et services de partage vidéo. Noël Theben, responsable de l’unité télévision du CSA, nous explique ce mécanisme de contribution et pourquoi de nouveaux éditeurs y sont désormais soumis.
Il y a un cercle vertueux entre les médias de la FWB et sa production. Comment s’articulent ces deux aspects de l’audiovisuel ?
La Belgique francophone est un petit marché à l’échelle de l’Europe et à l’échelle du marché francophone européen. On a cette particularité d’être adossé à un énorme marché de même langue et, pour exister en matière de diversité culturelle et diversité audiovisuelle, les pouvoirs publics ont prévu un système de contribution à la production locale : à partir du moment ou une chaîne de télévision perçoit des revenus sur le marché local en matière de publicité, de distribution ou d’audiotel surtaxé, en contrepartie elle doit en réinvestir une petite partie dans la production locale. Une « petite partie » car il existe des systèmes de contribution à la production dans d’autres pays, comme en France par exemple, où la part à réinvestir est plus conséquente. En Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est entre 1,4% et 2,2% du chiffres d’affaires éligible d’un éditeur.
Cette contribution peut prendre plusieurs formes : par coproduction d’une œuvre avec un producteur indépendant, par préachat de droit de diffusion d’une œuvre ou par contribution financière directement versée au Centre du cinéma et de l’audiovisuel.
La coproduction est la voie généralement privilégiée par les éditeurs car les droits sur les œuvres sont essentiels pour le secteur. L’éditeur devient de ce fait copropriétaire de l’œuvre produite et codétenteur de ses droits à hauteur de son investissement par rapport au budget global de production. S’il est important que soit précisé que cette coproduction doit être faite avec un producteur indépendant c’est pour soutenir la diversité d’approvisionnement audiovisuelle, de maintenir des structures totalement indépendantes des objectifs éditoriaux des chaînes de télévision. Cela permet de préserver un écosystème de production parallèle à celui des chaînes de télévision.
Le système de préachat de diffusion quant à lui ne fait pas de l’éditeur un coproducteur mais le privilégie pour la diffusion d’une œuvre. Cet investissement sert au budget de production d’une œuvre mais prend la forme de droits d’acquisition qu’on verse très en amont de la chaîne de production.
La troisième formule, la contribution via le Centre du cinéma et de l’audiovisuel, permet de contribuer au budget de soutien à la production globale mais pas sur un projet en particulier. Quelques éditeurs contribuent de cette dernière manière car leurs contributions sont moindres et ne leur permettent pas d’intervenir de manière suffisamment significative pour avoir des droits sur une œuvre, leur nom au générique ou au bas de l’affiche. De plus, comme les éditeurs doivent investir dans des « œuvres audiovisuelles » c’est à dire dans des films, du court-métrage, des séries, certains types de documentaires et certains types de formats magazines, dès qu’il s’agit d’information ou de programmes dits de flux, l’investissement n’est pas éligible. Il est donc difficile de coproduire des contenus pour certains éditeurs car ceux-ci ne cadrent pas avec leur antenne.
Une série d’acteurs étrangers qui cible le public de la FWB en décrochant leur tunnel publicitaire ou en distribuant leur catalogue n’étaient pas soumis à la contribution à la production audiovisuelle. Qu’en est-il à présent avec le nouveau décret ?
Depuis des années, le CSA belge et une série d’autre petits marchés en Europe plaidaient en ce sens. La Fédération Wallonie-Bruxelles est un petit marché francophone adossé à un bien plus grand et qui est fortement ciblé depuis l’étranger. Le cas le plus emblématique est celui de TF1 qui procède à des décrochages publicitaires sur notre marché et qui, de ce fait, prend des parts de marchés aux éditeurs locaux sans reverser une partie de ces revenus publicitaires dans la diversité culturelle, la production locale. Le point de vue du CSA qui a été défendu au niveau de toutes les instances européennes depuis des années c’est le principe d’égalité de traitement. A partir du moment où on est sur un marché publicitaire, qu’on perçoit des revenus de distribution, il doit y a voir cette logique de réinvestissement dans la diversité culturelle européenne.
Dans un premier temps, grâce à l’aide des grands états, il a été décidé d’étendre le système d’aide à la production aux services non-linéaires ciblant des marchés (Netflix, Amazone Prime, …). Ensuite, dans un second temps, certains membres ont estimé discriminant que ne soit soumis que le non linéaire. Grâce à ce principe d’égalité de traitement, les services linéaires ciblant les marchés ont été également inclus au système de contribution.
Avec la transposition de la directive dans notre décret, nous allons désormais pouvoir être un peu plus exigeant et vérifier quels investissements sont réalisés sur notre marché et vérifier qu’ils soient suffisants au regard des recettes qu’ils perçoivent.
Est-ce qu’on a pu évaluer ce que représente ce ciblage et la perte que cela peut représenter pour la production FWB ?
Nous avons réalisé un monitoring de tous les services qui nous ciblent potentiellement pour mesurer l’impact de la mise en œuvre de ce nouveau dispositif. Nous nous sommes également basés sur la base de données MAVISE de l’Observatoire européen de l’audiovisuel. C’est est un outil de coordination entre régulateurs qui recense les licences de diffusion octroyées dans les différents états et permet de voir si des services sont autorisés à l’étranger pour cibler notre marché.
En croisant ces données, nous avons identifié 13 services non-linéaires de tailles différentes et 4 grands services à la demande. Ce serait vraiment tendancieux d’exprimer un montant sans disposer de comptes précis mais on parle tout de même de montants conséquents en plus pour la production locale chaque année. Cette estimation a pu être faite notamment grâce à la présence, il y a de cela 10-12 ans sur notre territoire de certains éditeurs qui se sont par la suite délocalisés. Connaissant les montants de leur contribution de l’époque et leurs audiences restant plus ou moins similaires, nous pouvons à peu près évaluer les futures contributions.
Cet état des lieux a permis au Collège de voir quelle était la meilleure approche pour informer ces éditeurs de leur nouvelle obligation au regard de l’article 13. Evidemment, on ne pouvait pas prendre d’initiative de contact tant que ce n’était pas concerté au niveau de l’ERGA avec nos homologues des autres états.
Depuis, nous avons pris contact avec tous les éditeurs nous ciblant pour expliquer la manière dont le système de contribution à la production fonctionne chez nous. Pour cela, nous avons notamment collaboré avec le Centre du cinéma et de l’audiovisuel pour rédiger un Vademecum et jusqu’à présent nous avons reçus de bons retours. Les éditeurs qui sont revenus vers nous ne contestent pas la légitimité de notre demande et sont curieux de voir qui sont nos producteurs locaux et quels types de contenus ils produisent pour peut-être donner une petite teinte belge à leur antenne. Des rencontres récentes au CSA avec TF1 et Netflix s’inscrivent notamment dans ce cadre.
La mécanique est donc à ce niveau-là en route. La directive et sa transposition étant encore assez récentes, les premières contributions sont plutôt attendues pour l’année prochaine.
Certains services étrangers n’ont-ils pas intérêt à produire localement ? Ne le font-ils pas déjà ?
C’est évidemment la dynamique vertueuse qu’on souhaiterait mettre en place. Nous essayons d’utiliser tous les leviers de la législation, notamment les quotas de diffusion d’œuvres indépendantes de 10% d’œuvres d’initiatives belges francophones, pour inciter les éditeurs à donner une teinte belge à leur antenne. Mais en effet, à partir du moment où un éditeur coproduit, met de l’argent, généralement il diffuse. Il devrait donc se mettre en place une sorte de mécanique vertueuse entre ce système de contribution à la production et la logique de quota de catalogue dont une partie des 30% qui doivent être européens seront inévitablement des contenus qu’ils auront coproduits.
Notre but c’est aussi c’est de tenter de jouer le rôle d’interface entre ces éditeurs de télévision étrangers et nos producteurs indépendants pour qu’ils ne perçoivent pas ces investissements locaux comme une taxe mais comme une opportunité et qu’ils ne se contentent pas du seuil minimal.
Ils pourraient trouver une opportunité en cumulant cette obligation de contribution avec le Tax Shelter, les fonds d’aide à la production de type Wallimage, etc… et produire localement quelque chose d’aboutit et finalement mettre un financement plus important que celui prévu par le decret. Le challenge, il est là. Pour y arriver, nous sommes en contact avec la nouvelle Union de producteurs indépendants de télévision, avec le Centre du cinéma, avec Wallimage, avec Screenbrussels et nous les incitons à organiser des rencontres. Il faut que ces nouveaux investisseurs dans l’écosystème du marché audiovisuel belge aient l’occasion de rencontrer les producteurs locaux, qu’ils puissent présenter leurs besoins de grille ou de catalogue pour que nos producteurs puissent concourir à des appels d’offres, puissent proposer leurs idées. Il y a vraiment un coup à jouer pour la production locale.
Il faut tout de même modérer les attentes du secteur. Tout le monde à l’air de penser que du jour au lendemain des millions vont affluer. Il va avoir des opportunités, des opportunités de contacts rares entre producteurs ou avec de grandes plateformes comme Netflix. A nous d’essayer de capitaliser sur la contribution à la production pour essayer que les investissements soient plus importants que l’obligation légale. Mais, à ce stade, il y aura des investissements supplémentaires, mais il ne faut pas attendre monts et merveilles. Il y a par ailleurs des discussions en cours entre le Cabinet et le secteur de la production pour essayer de rehausser les montants d’investissement.