Les dernières modifications décrétales concernent notamment des articles liés au concept de pluralisme. Une notion importante en matière de régulation audiovisuelle mais qui est influencée par toute une série de paramètres. Jonas Frojmovics, notre conseiller en charge du pluralisme, nous explique le pluralisme, son importance et la manière dont le CSA peut intervenir pour le préserver.
C’est quoi le pluralisme et pourquoi est-ce un concept important?
C’est selon moi une des missions les plus importantes du Conseil supérieur de l’audiovisuel. C’est dans l’essence même de notre rôle de régulateur : veiller à ce que les citoyens puissent avoir accès à une information variée et laisser une place à la contradiction. C’est en opposition avec des régimes plus “fermés” où la maîtrise ou la prise de contrôle des médias est une priorité pour qu’il y ait une unicité de voix. Dans une société démocratique, la présence d’une information variée et potentiellement différente par une éditorialisation des médias qui leur est propre et qui leur apporte une spécificité, va nourrir la conscience du citoyen sur le monde et la société qui l’entoure. Pour arriver à un pluralisme, une série de conditions doivent être rencontrée. C’est entre-autre par la diversité des services et le nombre de médias audiovisuels qu’on peut avoir une pluralité d’informations mais ce n’est pas la seule condition. C’est un ensemble de conditions de base qui doivent être réunies telles les conditions de travail des journalistes (salaire, sécurité de l’emploi, indépendance rédactionnelle, etc.), la concentration actionnariale, mais aussi des conditions externes aux médias comme garantir par la loi la liberté d’expression, avoir des règles pour pouvoir lutter contre la diffamation, etc. Le pluralisme structurel qui était déjà partie intégrante du décret précédent est également un prérequis à mettre en place. Si un acteur a poids disproportionné sur le marché, il a de fait un écho plus important sur la population.
Comment la notion de pluralisme a-t-elle évolué dans le décret ?
Sur l’ensemble des conditions qui permettent de garantir le pluralisme, certaines concernent directement les médias. Le décret repose sur deux variables fondamentales. Il s’agit d’une part du pluralisme structurel et d’autre part du pluralisme de l’offre. Le pluralisme structurel se penche sur les personnes morales qui “possèdent” les médias sur notre marché. Le pluralisme de l’offre se penche quant à lui sur la diversité de l’offre de services.
Sans entrer dans les détails, dans le précédent décret, à la notion de pluralisme structurel s’est ajoutée celle de l’offre. Il fallait donc considérer par exemple qu’une offre riche de radios était aussi importante qu’une multitude de « propriétaires ».
Le nouveau décret marque un certain retour d’exigence du pluralisme structurel. La réapparition de la notion de « détention » qui avait disparu des textes pour une notion de « contrôle » en est un témoignage. Pour qu’un paysage audiovisuel soit considéré comme pluraliste, il faut une offre riche, certes, mais aussi une diversité d’éditeurs derrière cette offre.
Actuellement le CSA élabore son rapport sur la situation du pluralisme en FWB, comment concrètement cela est évalué ?
Le décret prévoit que le CSA évalue au moins tous les deux ans le pluralisme en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce travail est en cours. Pour ce nouveau rapport, il a été décidé d’implémenter un outil, le Media Pluralism Monitor, qui a été co-développé par la KU Leuven, Jönköping, le CEU et Ernst & Young. Il consiste à appréhender le pluralisme en fonction des risques auxquels il est soumis. Le pluralisme est analysé sous 4 angles (protection de base, conditions de marché, indépendance politique et inclusion sociale) comportant une série de questions pour couvrir toutes les conditions qui contribuent au pluralisme. L’essence de cet outil est de mettre en lumière les risques qui pèsent sur celles-ci, même si elles ne relèvent pas directement du secteur audiovisuel. Le Monitor est composé de 200 questions qui vont par chacune d’elle établir un certain niveau de risque, soit bas, moyen ou élevé. L’ensemble des réponses et leur organisation en catégories permet d’avoir aussi bien une vue générale du pluralisme mais aussi de zoomer sur des éléments plus précis, par exemple, est-ce que la liberté d’expression est présente dans la constitution ? Y-a-t-il règles pour assurer la transparence de la promotion des partis politiques en périodes électorales ? Il ne se focalise pas sur un éditeur audiovisuel précis mais analyse de manière globale et met en lumière un ensemble de conditions nécessaire pour l’émergence ou le maintien d’un pluralisme.
Cet outil comporte toujours les notions qui étaient déjà évaluées par le CSA comme la propriété des médias, la concentration des gros acteurs sur notre marché mais cet outil se veut désormais utile aussi à d’autres instances que le régulateur comme, par exemple, le législateur qui aura désormais une vue d’ensemble du pluralisme et lui permettra d’aller voir dans le détail de l’analyse, là ou des leviers d’actions concrètes peuvent être mis en place pour diminuer les niveaux de risques relevés.
Cet outil est également utilisé par un grand nombre de pays européens et permet donc de comparer un écosystème à un autre et apprendre de cet autre état quel remède a été mis en place pour un risque similaire, quelles réflexions sont en cours, etc.
Il faut néanmoins rester critique face aux éléments relevés. Ce n’est pas parce qu’on est en risque élevé sur un élément qu’un risque pèse sur notre marché. A partir du moment où on a identifié les différents risques, il faut les mettre en regard des conditions de notre marché avec ses spécificités, ses priorités et voir comment on peut intervenir et quelle attitude prendre. C’est le principe même du risk management. Est-ce qu’on peut vivre avec tel risque relevé par l’analyse sur notre marché ou est-il insupportable et comment y remédier ?
Quels sont les moyens d’intervention du CSA?
C’est là qu’il y a une distinction claire qui doit être faite au niveau de l’utilisation de l’outil Monitor. Pour le CSA, c’est une sorte de boussole par rapport au pluralisme tandis que pour le politique il peut servir à des actions concrètes pour le garantir. Pour reprendre l’exemple simple de tout à l’heure, imaginons que la liberté d’expression n’est pas garantie par la loi, ce n’est pas au CSA d’intervenir mais au législateur de remédier à ce risque relevé. Toutes les conditions analysées par le Monitor ne relèvent pas du champ de compétences du CSA. Sur les matières audiovisuelles, le décret prévoit que si le CSA constate une position signification en Fédération Wallonie Bruxelles, c’est à dire une atteinte à la liberté́ du public d’accéder à̀ une offre pluraliste, selon des seuils fixés par le décret, le CSA peut notifier des griefs à la ou aux personnes morales concernées et engager avec elle(s) une concertation pour convenir de mesures pour permettre un pluralisme. Si, à terme, cette concertation n’aboutit pas, le CSA peut adopter une décision de sanction qui va d’un avertissement, à une amende ou, pour les radios, à un retrait d’autorisation.