Discriminations : l’arsenal juridique audiovisuel se renforce

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Entretien avec Minh Giang Do Thi, Secrétaire d’instruction du CSA

Depuis quelques mois, un nouveau décret audiovisuel sur les services de médias audiovisuels et les services de partage de vidéos est entré en vigueur. L’application de ce nouveau décret représente un nouveau challenge pour les médias et pour les régulateurs, mais aussi la fin d’un grand chantier.  

Le nouveau décret transpose en effet les obligations européennes de trois directives concernant les services de médias audiovisuels, ce qui permet de moderniser la législation mais aussi de l’étendre à une série d’acteurs, comme les services de partage de vidéos. Le nouveau texte adapte enfin la régulation sur des matières aussi importantes que la protection des personnes mineures, les quotas, notamment musicaux, les règles en matière de communication commerciale, la contribution à la production et la lutte contre les discriminations. Sur ce point en particulier, une évolution importante permettra désormais de mieux lutter contre les discriminations en tous genres dans les médias. Nous avons rencontré Minh Giang Do Thi, Secrétaire d’instruction du CSA, pour nous éclairer sur ce point.  

Dans le nouveau décret, la notion de “promotion de la discrimination” a été ajoutée, qu’est-ce que cela signifie et quel est l’impact de cette révision ?   

Les citoyens et les citoyennes pourront porter plainte lorsqu’ils ou elles estiment qu’il y a eu des discriminations en télévision ou en radio, puisque désormais, il suffit qu’il y ait une promotion de la discrimination pour qu’une plainte soit potentiellement fondée. C’est un changement important dans la législation car, jusqu’à présent, il fallait qu’il y ait une “incitation” à la discrimination ou à la haine pour que les faits soient poursuivis. C’est très différent, car inciter à la haine ou à la discrimination d’un groupe en particulier est un fait rarissime dans nos médias. Ces dernières années, le CSA n’a sanctionné qu’une seule radio pour un fait isolé d’incitation à la discrimination. En revanche, la promotion à la discrimination est une notion plus large, qui peut englober plus de comportements Les futurs dossiers du CSA nous le diront…  

Comment le CSA va-t-il pouvoir identifier ce qui relève de la promotion à la discrimination et ce qui n’en relève pas ?  

Tout d’abord, il faut rappeler que le principe de la liberté d’expression est et reste un droit essentiel dans les sociétés démocratiques et ce, quelles que soient les évolutions du décret. La promotion ou l’incitation à la haine et à la discrimination représentent des exceptions au principe fondamental de la liberté d’expression. C’est la raison pour laquelle de nombreux dossiers liés à la discrimination n’aboutissent pas au CSA, car il faut que l’infraction soit suffisamment grave pour justifier une poursuite. Avec ce changement légal, la jurisprudence aura un rôle important à jouer. En effet, au fur et à mesure du traitement des dossiers relatifs aux discriminations, l’interprétation du cadre légal général s’affinera. Quand on parle de discrimination, l’analyse du contexte est très importante. Différents critères sont en effet pris en considération par le Secrétariat d’instruction lors de l’analyse du dossier. L’objectif, c’est de rester au plus proche de la volonté du législateur. Or, avec cette évolution du cadre légal, il y a clairement une volonté de mieux lutter contre toutes les formes de discrimination pour protéger les citoyens et les citoyennes. C’est dans cet esprit qu’il faudra analyser nos dossiers futurs.  

En 2016, le décret avait déjà élargi la notion de promotion à la discrimination sur les questions de sexisme uniquement. Il n’était plus nécessaire d’inciter à la haine ou à la discrimination des femmes pour être condamné. Les médias pouvaient être sanctionnés s’ils ne respectaient pas le principe de “l’égalité entre les femmes et les hommes”. Est-ce que cette précédente évolution a eu un impact sur les dossiers du CSA ?  

Cette évolution a eu un impact très important, notamment le traitement des plaintes reçues au CSA. “Le sexisme et les discriminations” est même devenu l’un des thèmes principaux des plaintes adressées au CSA, un an à peine après cette évolution du cadre législatif. Du jour au lendemain, le CSA a pu se saisir de nombreux dossiers. Cela montre tout l’intérêt et l’impact que peut avoir une évolution de la loi. 

Deux décisions importantes ont permis justement de faire jurisprudence et de mieux définir la manière dont nous interprétons la loi. La notion d’égalité entre les femmes et les hommes était vierge en 2016 et le fait d’estimer à partir de quand un programme produit une “rupture” de l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas évident. Le SI a défini une série de critères d’analyse qui portent, notamment, sur le nombre de stéréotypes qui sont reproduits dans le programme, mais aussi sur l’absence ou non de recadrage de la part des journalistes ou animateur.trice.s, ou encore la manière dont l’émission est scénarisée et commentée.  Par la suite, partant de ces premières bases de définitions, cette notion d’égalité pourra encore évoluer et s’aiguiser.  

Je tiens à préciser enfin que le nouveau décret va encore plus loin puisqu’il a élargi ce principe de l’égalité entre les femmes et les hommes au “traitement médiatique” des violences faites aux femmes.  

La loi évolue dans le bon sens selon vous ?  

Je pense que ces dernières années, elle a clairement évolué dans le bon sens. Elle a tendance à définir de plus en plus de critères, mais elle reste suffisamment générale pour que les régulateurs puissent l’interpréter et la faire évoluer en fonction des dossiers et du contexte. C’est ce que qui permet à la loi d’adresser un signal fort, mais en même temps d’évoluer avec la société. Avec ces évolutions, le rôle des autorités comme le CSA est très important, car il consiste à garantir un équilibre essentiel entre la liberté d’expression d’une part et la lutte contre les discriminations de l’autre. Avec l’évolution des lois, cet exercice d’équilibre est sans doute plus difficile à assurer, mais il permet de mieux nous protéger, face à la haine et la discrimination. J’en suis convaincue. 

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