Avec Geneviève Thiry, Conseillère en protection des personnes mineures du CSA
Depuis quelques mois, un nouveau décret audiovisuel (sur les services de médias audiovisuels et les services de partage de vidéos) est entré en vigueur. L’application de ce nouveau décret représente un nouveau challenge pour les médias et pour les régulateurs, mais aussi la fin d’un grand chantier.
Le nouveau décret transpose en effet les obligations européennes de trois directives concernant les services de médias audiovisuels, ce qui permet de moderniser la législation mais aussi de l’étendre à une série d’acteurs, comme les services de partage de vidéos. Le nouveau texte adapte enfin la régulation sur des matières aussi importantes que la lutte contre les discriminations, les quotas, notamment musicaux, les règles en matière de communication commerciale, la contribution à la production et la protection des personnes mineures. Sur ce point en particulier, des évolutions sont à prévoir, notamment sur des plateformes qui, jusqu’à présent, n’étaient pas soumises à certaines obligations. Nous avons posé quelques questions à Geneviève Thiry, Conseillère au CSA en charge notamment des matières de protection des personnes mineures.
Depuis l’application du nouveau décret, qu’est ce qui change concrètement en matière de protection des personnes mineures ?
Concrètement, la signalétique à laquelle nous sommes habitués devra évoluer prochainement. Le nouveau décret impose désormais que la “nature” du programme soit identifiée dans la signalétique. La mention de l’âge ne sera donc plus suffisante. Il faudra donc trouver le moyen de donner, notamment aux parents, davantage d’informations sur le type de programmes qu’ils désirent potentiellement regarder avec ou interdire à leurs enfants. Est-ce que le programme contient par exemple des scènes de violence, de l’alcool ou des drogues, etc.
Il y a une seconde évolution importante du décret qui prend plutôt une direction offrant plus de liberté à la programmation. Le décret autorise désormais la programmation de contenus qui “nuisent gravement aux personnes mineures”. À savoir les programmes pornographiques ou qui contiennent de la violence gratuite. Évidemment, ces contenus seront soumis à la protection la plus stricte. Ils ne pourront pas être diffusés à n’importe quelle heure, devront être correctement identifiés et soumis à un code d’accès parental.
Le nouveau décret permet donc une plus grande liberté de programmation, mais impose aussi une signalétique plus précise pour identifier les contenus qui peuvent nuire aux jeunes publics. À quoi pourrait ressembler cette nouvelle signalétique ?
Pour le moment, nous utilisons la signalétique française. Cette dernière impose d’identifier l’âge en dessous duquel le contenu est déconseillé. Pour ce faire, ce sont les éditeurs eux-mêmes qui sont tenus de mettre en place un comité de visionnage qui va analyser le contenu et une série d’éléments de contexte avant de faire son choix.
Nos voisins hollandais ont déjà adopté une autre méthode qui colle déjà mieux aux nouvelles obligations. Il s’agit de Kijkwijzer, ou Cinecheck en français. En plus de la signalétique liée à l’âge, on y associe en effet des symboles qui renvoient à la nature des contenus. Chez nous, le cinéma a déjà adopté cette méthode et mentionne les symboles liés à la violence, l’angoisse, le sexe, les discriminations, l’usage abusif de drogues et d’alcool, ainsi que le langage grossier.
Comment détermine-t-on les critères du Cinecheck ?
C’est ici que c’est intéressant car, contrairement au système français, on est ici dans une formule mathématique. Il n’y a pas de comité de visionnage qui établit les critères, mais un questionnaire à remplir par les éditeurs qui sont formés pour le faire. Le questionnaire est composé de plusieurs chapitres qui correspondent chacun à une thématique (violence, sexe…). À la fin de chaque chapitre, le questionnaire donne un résultat sur l’âge. L’indication relative à l’âge conseillé que l’on choisira pour le film correspondra à la signalétique la plus haute obtenue dans le questionnaire. On y associera enfin tous les pictogrammes correspondant à la nature des contenus qui sont présents dans le film.
Par exemple, si le film comporte de nombreuses scènes de violence classées -16 par ce chapitre du questionnaire et qu’il comporte quelques scènes de sexe classées -12 dans un autre chapitre, la signalétique qui sera appliquée sur le film sera –16, ainsi que les deux pictogrammes : violence et sexe.
Cette méthode est donc très pragmatique et laisse peu de marge d’interprétation, ce qui est une bonne chose mais, contrairement à la méthode que nous appliquons actuellement, elle laisse moins de place à l’analyse du contexte dans lequel les scènes potentiellement problématiques du film sont proposées. En fait, les deux méthodes présentent des avantages et des inconvénients.
La protection des personnes mineures dans l’environnement du web, et notamment sur les services de partage de vidéos comme YouTube représente aussi un enjeu actuel majeur. Que prévoit le décret ?
Les services comme YouTube ont de nouvelles obligations en matière de protection des personnes mineures, ce qui est en soi déjà une évolution importante. En revanche, la méthode va être différente. Pour appliquer ces obligations, on sera dans une approche de “corégulation”. Ce sont les plateformes elles-mêmes qui vont devoir mettre en place une série de mesures. Parmi elles, la possibilité pour les utilisateur.trice.s de pouvoir signaliser les contenus publiés sur les plateformes, mais aussi l’implémentation d’un système de contrôle parental.
À ma connaissance, il y a encore pas mal de chemin à parcourir et des réflexions sur les faisabilités/options ? techniques sont en cours. La mise en place de ces mesures va représenter des investissements pour les plateformes, mais ces nouvelles obligations vont clairement dans le bon sens, notamment en termes d’égalité entre les opérateurs…
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