Entretien avec Hanan Challouki, fondatrice du média Mvslim
Le CSA a publié son premier Baromètre de l’égalité et de la diversité dans les programmes et la publicité en radio. Des résultats qui ne viennent en rien contredire les tendances observées des derniers Baromètres menés par le CSA en télévision. La représentation de la diversité dans les programmes en radio reste problématique et les stéréotypes de genre dans la publicité sont nombreux. On retrouve même des stéréotypes flagrants dans une publicité sur huit diffusée sur nos ondes. Pour commenter ces résultats, nous nous sommes tournés vers Hanan Challouki.
Moins connue du côté belge francophone, Hanan Challouki s’est pourtant fait une place en Flandre et fait régulièrement entendre sa voix, même au-delà de nos frontières. Son talent, ses projets et sa personnalité l’ont même fait entrer dans le classement Forbes des 30 personnalités de moins de 30 ans les plus influentes, dans la catégorie “Média et marketing”. Jeune entrepreneuse, elle a fondé plusieurs agences de marketing tournées vers l’inclusion et la diversité, ainsi qu’un média d’information qui n’a rien à envier aux plus grands.
Vous avez créé Allyens, inclusified et Mvslim. Les deux premières sont des agences de Com qui comptent dans leur portefeuille de gros clients, la troisième représente un média d’information qui a comme point de départ des informations positives dont les protagonistes ont un lien avec la communauté musulmane. Pourquoi avoir créé ces différents projets ?
Même si depuis j’ai revendu le média Mvslim, ce qui m’a motivé à créer ces différents projets, c’est un manque énorme de diversité tant dans les médias que dans les stratégies de communication des marques. Mes projets permettent, à leur échelle, de palier à ce manque de diversité. Allyens est une agence creative et Inclusified est une agence qui aide les entreprises à être plus inclusives dans leurs stratégies de communication. Mvslim, c’est un média d’information qui compte aujourd’hui plus de 400.000 followers, rien que sur Facebook. Son succès témoigne en réalité du fait qu’ailleurs, la parole des musulmans et des musulmanes est quasi inexistante.
Je pense aussi qu’en créant ce genre de services, on peut aussi faire sauter certaines barrières. Quand on travaille dans une entreprise de média traditionnelle, le fait d’être une femme, et musulmane de surcroit, représente un vrai frein, parce que j’ai besoin de convaincre davantage les autres que je suis compétente. Je dois prouver en permanence que j’ai du talent. Et c’est le problème que nous avons. Quand un homme réussit c’est parce qu’il a du talent, mais quand une femme réussit, c’est parce qu’elle travaille dur. C’est encore plus vrai quand on croise les discriminations et qu’on est une femme d’origine étrangère par exemple…
Le dernier Baromètre de l’égalité et de la diversité du CSA montre que la diversité en radio apparaît sous des angles spécifiques. Par exemple à travers des stars de la chanson, des sportif.ve.s professionnel.le.s, ou encore à travers les actualités internationales. Comment expliquez-vous ces tendances ?
Dans les médias traditionnels, la diversité c’est quelque chose qui se passe en dehors de nos frontières. C’est un stéréotype très ancré et typique. Quand on parle des musulmans, c’est nécessairement en dehors de la Belgique et quand on en parle localement, c’est sous un angle problématique… C’est pareil pour les sujets de diversité en général. Il y a plusieurs explications à ça. D’abord il faut regarder la composition des rédactions. La plupart des rédactions dans nos médias sont essentiellement composées d’hommes blancs. C’est un problème à la racine, car ça provoque des biais dans le choix des sujets.
Le second problème, c’est la liste des experts et des expertes que les médias invitent pour qu’ils et elles s’expriment. En Belgique, nous avons des bases de données d’experts et d’expertes issu.e.s de la diversité tant au nord qu’au sud. Elles sont mises à disposition des journalistes, mais le problème, c’est que les journalistes disposent souvent de leur propre liste de contacts qui font eux-mêmes parties de leur réseau et, par facilité, on préfère souvent se référer à sa shortlist.
Le Baromètre de l’égalité et de la diversité du CSA pointe une série de stéréotypes qui se répètent dans la publicité et qui collent à la représentation des femmes. Comment expliquer que de tels stéréotypes persistent encore aujourd’hui ?
Je ne suis pas surprise que les changements s’opèrent si lentement. Si les femmes ont toujours des rôles typiques et très stéréotypés dans la publicité, c’est parce que les agences pensent encore aujourd’hui que ce type de personnages fonctionne auprès des publics. C’est évidemment de moins en moins le cas. Je pense qu’aujourd’hui, les agences savent que quelque chose ne fonctionne pas, mais elles ne voient pas encore toutes la nécessité et l’opportunité d’opérer un changement important dans la manière dont elles produisent leurs contenus. Kantar vient de publier une étude qui montre qu’un pourcentage important de femmes “skippent” la publicité, pas parce que le contenu ne les intéresse pas, mais parce qu’elles ne se reconnaissent pas dans les personnages qui sont proposés. Autrement dit, faire de la diversité, c’est une approche qui est non seulement socialement importante, mais qui est aussi commercialement intéressante…
Comment rendre une agence de communication plus inclusive ?
Ce que l’on donne comme premier conseil, c’est de diversifier un maximum l’équipe. Une équipe qui ressemble à la société, c’est une équipe qui va pouvoir produire des contenus qui parlent aux gens. Je ne dis pas qu’il faut remplir certains quotas en particulier, mais il faut veiller à ce que l’équipe soit diversifiée, au niveau du genre, des origines, de l’âge, des orientations sexuelles… Il faut en réalité veiller à ce qu’il n’y ait pas un point de vue homogène dans l’équipe car c’est à ce moment-là que les stéréotypes se reproduisent.
Ensuite, c’est très important de bien connaître ses publics. Les personnes auxquelles on s’adresse sont toujours plus complexes et diversifiées qu’on ne le pense. Les personnages que l’on va créer dans ses contenus commerciaux doivent d’une certaine manière répondre à cette complexité.
C’est évidemment plus facile de porter ce genre de conseil dans des agences de communication de plus grande taille. Plus une structure est petite, plus c’est compliqué de diversifier les équipes, mais même quand on est une petite structure, on peut toujours faire appel à des externes.
Le Baromètre de la diversité et de l’égalité en radio