Le long chemin de l’inclusion et de la diversité dans nos médias

©RTBF & ©Denia Zerouali

Entretien avec Safia Kessas et Thomas Duprel  

Le dernier Baromètre de l’égalité et de la diversité du CSA pointe, une fois encore, les inégalités qui persistent dans nos médias, le manque de diversité, mais aussi les stéréotypes de genre qui s’accrochent dans les programmes et dans la publicité. Des résultats qui se répètent au fil des Baromètres et qui appellent au changement. Intégrer les questions de diversité à tous les échelons d’un projet média est une piste et c’est ce qui a même motivé la mise en place de Tarmac et des Grenades qu’on ne vous les présente plus tant ils ont déjà fait leur place au sein de la RTBF. La diversité, l’inclusion et une volonté de parler autrement de l’actualité ou de la culture représentent autant de moteurs que de valeurs qui animent ces deux projets. Tarmac, c’est un média qui veut à tout prix ressembler à son public, plus jeune et dans toute sa diversité d’origine et de culture. Les Grenades partent, elles, d’une volonté de déconstruire les stéréotypes de genre dans le traitement de l’actualité.  

Pour passer au crible les questions de diversité et d’inclusion dans les médias, nous avons mis autour de la table Safia kessas, Responsable de l’égalité et la diversité de la RTBF, à l’origine du projet des Grenades et Thomas Duprel, chef d’orchestre du média Tarmac qu’il dirige depuis ses débuts en 2017.  

Tarmac et les Grenades ont un point commun : ce sont tous deux des médias thématiques. Le premier se présentant comme un diffuseur de culture urbaine, le second comme un média qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe. Comment sont nés ces deux projets à l’intérieur d’une grande structure comme la RTBF ? Quel est leur objectif ? 

Thomas : Tarmac est né d’un besoin de la RTBF de toucher d’autres publics et particulièrement un public plus jeune, celui des ados. Jusqu’à Tarmac, il n’y avait pas de média dédié à cette tranche d’âge ni d’étude sur les millenials. On a commencé à s’intéresser à leur culture musicale et il s’est avéré qu’elle était largement dominée par la musique urbaine, le hip hop au sens large, car aujourd’hui le hip hop est partout. C’est de cette manière que le projet Tarmac est né et que nous avons commencé à nous développer.  

Dans une autre vie il n’existait vraiment aucun média dont l’objet était d’offrir une vitrine aux jeunes issus de différentes cultures. Quand j’ai débuté dans le hip hop, le nombre d’émissions qui pouvaient nous donner de la voix se comptait sur les doigts de la main, alors un média en tant que tel ?  C’est sans doute pour cette raison que Tarmac fonctionne aussi bien, en Belgique, mais aussi en dehors de nos frontières, parce que c’est un média qui a le même visage que les jeunes de notre société.  

Safia : les Grenades sont nées dans la foulée de l’évolution des débats de société autour des questions d’égalité de genre et d’inclusion. Le mouvement Meetoo a créé un effet d’accélérateur et on a vu ces questions exploser un peu partout. En France, plusieurs médias traitent de ces questions: Les Glorieuses, Simone Media, ou encore Causette. Il y avait donc de nombreux projets qui traitaient de ces questions, et en Belgique, Axelle Magazine ou Femmes plurielles, mais ces dernières étaient finalement peu présentes dans les médias plus mainstream. Pour moi, c’était très important qu’un média de service public puisse accompagner ces questions pour les mettre en lumière et produire des débats intéressants et de qualité. C’est de cette manière que les Grenades sont nées avec l’objectif premier de suivre l’évolution sociétale pour comprendre et déconstruire les stéréotypes de genre et le sexisme conscient ou inconscient notamment.  

Le CSA a réalisé un premier Baromètre des services radiophoniques. De nombreuses tendances que nous avons mises au jour dans cette analyse figuraient déjà dans les précédents Baromètres des services télévisuels quant à la représentation du genre et de la diversité. On peut percevoir des différences de chiffres mais on relève des tendances ou mécanismes identiques. Il semble ainsi y avoir des tendances de fond qui traversent l’espace des représentations médiatiques du genre et de la diversité quels que soient les modes de consommation étudiés. Comment peut-on expliquer la continuité de ces tendances ? 

Safia : les médias traduisent malheureusement la conséquence visible de ce qui se passe dans la société, même si on ne peut pas le cautionner. Il faut interroger l’organisation de la société, la répartition des rôles entre les femmes et les hommes. Dès l’école c’est un problème. J’ai récemment donné cours à l’UCL et je n’ai identifié qu’un seul étudiant d’origine étrangère.  Il y a donc, encore aujourd’hui, un problème de diversité à la base et quand on se retrouve confronté à cette question dans les ressources humaines des médias, il faut faire preuve de créativité.  

Thomas : Je pense que les médias traditionnels ne se sont pas posés trop de questions en réalité. On a parfois l’impression que les médias et la diversité sont deux choses différentes, or ça devrait être un projet commun. Et pour ça il faudra sans doute un reboot complet dans certaines rédactions. Quand je suis arrivé à la RTBF en 2016, j’ai trouvé qu’il y avait peu de diversité dans les couloirs. Très peu de gens issus de la génération black, blanc, beur, mais en même temps j’ai été honoré de pouvoir contribuer à plus d’inclusion en créant une nouvelle équipe et mener un projet important. Ça montre aussi que les choses changent. Aujourd’hui, au niveau du personnel, j’ai l’impression que ça a un peu évolué, mais c’est un long chemin. On ne transforme pas des équipes comme ça du jour au lendemain…  

Quels seraient les leviers les plus efficaces pour une meilleure représentation de la diversité dans les médias ?  

Thomas : Justement ça passe d’abord par une meilleure représentation de la diversité dans les équipes. Il y a un lien important à faire entre la diversité et l’authenticité. Le projet Tarmac est né d’une volonté de proposer un projet authentique, qui parle aux jeunes de 15 à 24 ans. On doit donc représenter les visages que tu peux rencontrer dans le métro. Si on ne leur ressemble pas, ça ne fonctionnera pas. Il faut donc avant tout être authentique et par la nature des choses, cette recherche d’authenticité offre de la richesse et de la diversité dans les équipes.  

On accueille des gens chez nous pour ce qu’ils sont. Nos animateurs et animatrices sont engagé.e.s sur base de leur authenticité. On n’essaye pas de leur imposer des codes et un certain humour ou regard sur l’actualité. Ils et elles ont chacun.e  leur spécificité et c’est ce qui fait la richesse de notre équipe. Quand on a commencé à engager chez Tarmac, il n’y a pas eu de réflexion sur les quotas par exemple, les choses se sont faites naturellement. Il se fait qu’aujourd’hui, on compte entre 70% et 75% de femmes dans notre équipe, avec un nombre important d’entre elles qui sont issues de la diversité. 

Safia : Tant que les médias ne mettront pas de stratégies en place, on sera toujours dans le statu quo. Ces stratégies doivent être au cœur de l’entreprise. Une simple méthodologie de comptage n’est pas suffisante. Il faut appréhender la diversité sous tous ses aspects. Il faut évidemment intégrer une représentation équilibrée des équipes au regard de la diversité, mais il faut aussi faut aussi interroger la ségrégation horizontale, à savoir le fait d’assigner ou non des rôles en fonction du genre par exemple. Il ne suffit pas juste d’engager autant de femmes que d’hommes journalistes, ou de mettre des femmes à l’antenne pour mettre des femmes à l’antenne. Il faut aussi questionner les tâches et les sujets qu’on leur attribue et faire en sorte qu’ils soient équilibrés.  

On pourrait être plus créatif quand on recrute. Je rejoins aussi ce que dit Thomas sur la question de l’authenticité. Quand on accompagne des jeunes recrues, il faut préserver leur authenticité. C’est très important que leur parole soit la leur. Si on recrute une personne issue de la diversité, on ne doit pas lui imposer un moule. Par exemple, je vois que certains collègues, issus de classe plus populaire, éprouvent des difficultés avec les codes du journalisme qui sont un peu bourgeois, il faut le dire. Faire venir d’autres publics dans les rédactions, c’est aussi et d’abord remettre en question ses propres codes et accepter d’autres regards…  

Il faut enfin monitorer la diversité et de manière régulière. À la RTBF, nous monitorons la diversité régulièrement et avons embarqué des équipes de la thématique société dans l’initiative de la BBC 50/50 récemment. Cette régularité permet justement de donner le coup d’accélérateur nécessaire pour faire bouger les choses. C’est un grand pas en avant. Les rédactions de l’information ont également lancé un grand chantier sur la diversité avec des objectifs également. Les choses continuent à bouger. 

Aujourd’hui, à travers leur identité propre, Tarmac et Les Grenades contribuent à visibiliser les thématiques de la diversité, de l’égalité de genre et du féminisme. Est-ce qu’il y a de la place pour ces thématiques dans les grilles de programme des médias traditionnels ? Ou faut-il créer des services comme les vôtres pour faire bouger les lignes ?  

Safia : D’abord il y a la question de la radio, de la télé et du web. Certains médias sont plus mainstream, d’autres moins. Il faut bien se rendre compte que les Grenades représentent un projet éditorial spécialisé sur le genre. N’importe qui ne peut pas écrire sur les Grenades, car il faut un bagage et des connaissances. Aujourd’hui, dans certaines rédactions, il y des “gender editeurs” parce que la diversité et l’égalité ce ne sont pas des réflexes naturels. Je dirais qu’un projet comme les Grenades est complémentaire aux médias plus mainstream et nous sommes aussi des ressources de connaissance en interne pour les collègues. On va parfois sortir un sujet dans un JT dont on parle depuis des années dans les mouvements féministes. Parfois, les Grenades sortent un sujet qui va être repris par d’autres médias comme ce fut le cas pour le sujet des puéricultrices.  

Il faut dire aussi qu’en tant que média d’information, la question de la confiance des publics est très importante. Certaines femmes, que nous avons fait témoigner pour les Grenades, n’iront jamais témoigner dans d’autres médias, justement pour des questions de confiance. Au début de la pandémie, nous avons été les premières à mettre le doigt sur l’augmentation des violences faites aux femmes qui se sont retrouvées enfermées avec leur agresseur. Pourquoi, parce que nous avons été en contact avec les associations de terrain, comme Vie Féminine, qui étaient assaillies de coups de fil de femmes subissant des violences. Ces femmes, nous ont fait confiance pour relayer leur témoignage.  

Enfin, ce n’est pas parce qu’on propose un média thématique qu’on touche nécessairement une niche. Nous avons analysé les publics des Grenades et il se trouvent qu’on touche de plus en plus de monde en dehors des milieu plus avertis. Dans nos chiffres, on touche désormais 60% de femmes et 35% d’hommes avec un panel socioéconomique assez varié. Ça montre aussi que la question du féminisme devient un sujet plus global qui intéresse de plus en plus de monde. D’ailleurs, les 25 35 ans se définissent aujourd’hui majoritairement (75%) comme féministe.  

Thomas : Pour ma part, la question sera plus vite répondue. Je considère que la diversité doit être présente partout. Ça serait un échec de créer des médias comme Tarmac qui seraient les seuls à se concentrer sur cette question. On serait une espèce de quota, un étendard et je refuse de considérer mon média comme tel. Je pense par contre que des médias comme le nôtre peuvent inspirer les médias traditionnels, car nous sommes des modèles de réussite.  

Les deux types de médias doivent coexister et je pense que le plus important, c’est qu’il existe des ponts entre eux. C’est aussi un objectif de Tarmac, collaborer davantage avec les autres rédactions de la RTBF. On peut inspirer les autres et les aider par exemple à mieux communiquer sur les réseaux sociaux où se trouvent les plus jeunes. Dans le même temps, les autres rédactions peuvent nous soutenir pour nous professionnaliser davantage sur d’autres matières, comme l’info ou le sport.  

Le Baromètre diversité et égalité en radio

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