Entretien de Karim Ibourki, Président du CSA
Pour la première fois, le CSA a publié un baromètre de l’égalité et de la diversité dans les programmes et dans la publicité en radio. Jusqu’à présent, les Baromètres du CSA analysaient les programmes et la publicité en télévision. Si cet exercice représente une première en Fédération Wallonie-Bruxelles, les résultats, eux, ne sont que peu différents des grandes tendances observées en télévisions. Sous-représentation des femmes et de la diversité en général, des stéréotypes de genre bien ancrés dans la communication commerciale et des évolutions qui peinent à s’observer au fil des baromètres… En conclusion de ce dernier baromètre, le CSA s’interroge pour la première fois sur la pertinence de mettre en place des initiatives plus contraignantes et recourant à la voix législative. On décrypte cette volonté de faire un pas de plus avec Karim Ibourki, Président du CSA.
Le CSA a publié deux premières études sur l’égalité et la diversité dans les programmes et la publicité en radio. Pourquoi ce média en particulier ?
Si nous avons mis en place ces deux études, c’est parce qu’il n’existait pas encore d’analyse similaire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Jamais encore la question de la diversité en radio n’avait été mesurée et jusqu’à aujourd’hui, les baromètres de l’égalité et de la diversité menés par le CSA ne concernaient que la télévision. S’intéresser à la notion d’égalité et de diversité en radio représentait un challenge pour nous, car il a évidemment fallu repenser notre méthodologie. Appréhender la diversité dans un média uniquement sonore, c’était un vrai défi et je suis très heureux que notre service d’Etudes et Recherches ait été capable de le relever.
Y-a-t-il des différences en matière de diversité en télévision ou en radio ?
Justement non et c’est bien cela qui est problématique. Autant en télévision qu’en radio, l’absence de diversité pose question. Elle pose question lorsqu’on interroge l’égalité de genre. Elle pose question quand on interroge la diversité d’origine, des âges représentés, des catégories socioprofessionnelles ou encore du handicap. Nos médias ne sont pas encore le reflet de la diversité de notre société que ce soit la radio ou la télévision. C’est un constat général que l’on peut dresser d’un point de vue quantitatif, mais aussi qualitatif. Si on prend la question du genre par exemple, il y a moins de femmes que d’homme présentes dans nos médias alors qu’elles sont majoritaires dans notre société. Quand on se penche sur les rôles qu’on leur attribue dans les médias, il y a aussi un déséquilibre qui se répète au fil des baromètres. Par exemple, on invitera moins de femmes en tant qu’expertes dans des émissions d’actualité. C’est aussi le cas lorsque l’on analyse l’origine perçue des expert.e.s invité.e.s dans les émissions. Ça fait maintenant plus de 10 ans qu’on observe la même chose et que l’on informe les médias de cette réalité grâce à nos baromètres. Pourtant, il existe aujourd’hui une base de données, EXPERTALIA, proposée par nos collègues de l’Association des Journalistes Professionnels qui offre un listing d’experts et d’expertes d’origines diverses. Il y a donc des solutions concrètes, mais les évolutions s’observent sous forme de sauts de puce…
Justement, en conclusion du dernier Baromètre de l’égalité et de la diversité en radio, le CSA s’interroge pour la première fois sur la pertinence de mettre en place des initiatives plus contraignantes et recourant à la voix législative. Une réponse à ces évolutions jugées trop lentes ?
Exactement. Je pense qu’il est très important que nos médias se fixent des objectifs plus précis en matière de diversité. Je pense aussi que l’on peut créer des incitants pour mieux les encadrer. La ministre des Médias est en train de préparer un plan pour l’égalité entre les femmes et les hommes et il est possible que des initiatives plus concrètes soit mises en œuvre pour favoriser l’égalité et la diversité dans nos médias et que ces dernières soient traduites dans le décret ou encore dans le contrat de gestion de la RTBF par exemple.
Quand on parle d’initiative plus contraignantes, il faut voir au-delà de la question des « quotas » qui fait souvent l’objet de débat. Il faut avoir des objectifs d’équilibre, par exemple entre les femmes et les hommes, mais il faut aussi et surtout accompagner ces objectifs d’une véritable réflexion sur les rôles, les métiers et les fonctions de chacune et chacun. Il ne suffit pas d’inviter 50% de femmes sur un plateau télévisé ou lors d’une émission radio si c’est pour les relayer à des rôles secondaires. La diversité doit être une réflexion menée à tous les niveaux, depuis les ressources humaines de nos médias, jusqu’à la réalisation et la diffusion des programmes. Les médias gagneraient à se fixer des objectifs chiffrés et qu’ils les accompagnent de processus qui intègrent cette question de la diversité à chaque étape.
Les stéréotypes sont très prégnants dans la publicité. Une publicité sur 8 contient des stéréotypes flagrants. Les stéréotypes masculins existent, mais sont socialement plus valorisants. Comment expliquez de tels résultats aujourd’hui ?
La publicité a une tendance à utiliser les stéréotypes, pour des raisons invoquées d’efficacité étant donné que les formats sont en général très courts. On va aussi parfois chercher le stéréotype volontairement pour faire rire par exemple. Je pense qu’aujourd’hui les marques ont deux choix à leur disposition. Soit elles restent cantonnées dans les stéréotypes et choisissent une forme de sécurité, soit elles décident d’endosser un rôle inspirationnel et choisissent de s’adresser au monde de demain et au public tel qu’il est dans toute sa diversité. D’une certaine manière, je comprends les impératifs économiques des marques. Elles sondent, étudient et simplifie leur cible. Si elles se rendent compte que les stéréotypes restent malgré tout très présents et que les femmes continuent de s’intéresser davantage aux produits de beauté et les hommes aux voitures, pourquoi prendre des risques ? D’un autre côté, les marques ont aussi un rôle social à jouer et peuvent aussi prendre le contre-pied. Les ressorts du marketing sont multiples et proposer aux publics des contre-stéréotypes, c’est aussi se tourner vers l’avenir et la modernité.
Je pense qu’aujourd’hui on retrouve ces deux catégories de marques, mais que malheureusement, ceux qui embrassent un rôle inspirationnel sont encore loin d’être majoritaires…
Vous êtes optimiste quant aux résultats des futurs Baromètres ?
Oui, je pense qu’avec la mise en place d’un cadre législatif plus incitant, mais aussi avec des grosses piqûres de rappel ces dernières années comme la vague Metoo, nous allons enfin voir des évolutions dans nos médias. Quand on regarde dans le rétroviseur, on revient de très loin. Dans les années 70, une épouse ne pouvait pas ouvrir un compte banque sans l’accord de son mari. Aujourd’hui, ce sont tous les secteurs qui sont analysés les uns après les autres sous le prisme du genre et de la diversité. Je dirais qu’on ne se situe plus dans une phase de prise de conscience, mais bien dans une phase de transition.
Le baromètre diversité et égalité en radio