“J’aime l’idée de rechercher des solutions à la fois innovatrices et adaptées à notre situation locale.”

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Rencontre avec Olivier Hermanns de l’unité Distributeurs et Opérateurs du CSA

Tu es conseiller juridique à l’unité Distributeurs et Opérateurs (D&O), c’est peut-être un secteur qui est moins connu du grand public par rapport aux autres, plus classiques, que le CSA régule. Peuxtu nous expliquer les matières qui vous occupent ? 

C’est vrai que par rapport à d’autres unités du CSA qui sont plus centrées sur les activités des éditeurs, c’est-à-dire ce que les consommateurs voient à la TV ou écoutent à la radio, notre unité est peut-être moins visible. D’un autre côté, je pense que les consommateurs abonnés à la télévision en Belgique sont conscients que s’il y a des chaînes, il faut aussi un moyen de les distribuer jusqu’à eux. Et l’expérience montre que nous recevons régulièrement des questions du public en la matière. 

L’unité D&O, c’est une équipe de spécialistes qui s’occupe de ces aspects, un peu techniques il est vrai, qui font en sorte de pouvoir mettre en relation des éditeurs de services de médias audiovisuels avec le grand public. Cela comprend les infrastructures – comme les câbles sur les façades des maisons ou dans les rues – ainsi que les sociétés qui gèrent ces infrastructures et qui ont un intérêt à ce que le consommateur les utilise pour avoir une série de services : la téléphonie, l’Internet large bande, la téléphonie portable, mais aussi l’accès aux services de médias audiovisuels. Ce rôle d’intermédiaire est de plus en plus joué par des applications et des sites web, les fameuses « plateformes ». 

Les enjeux qui nous occupent par exemple concernent le prix de cet accès ou encore l’étendue de l’offre proposée. Cette offre pose par ailleurs d’autres questions en termes de pluralisme, de diversité, d’accessibilité, etc. Le consommateur veut une certaine offre, d’accord, mais il la veut à un certain prix, en fonction de ses moyens ou en fonction de ses centres d’intérêt. Dans une économie de marché, la façon la plus évidente d’obtenir le prix le plus juste pour le consommateur c’est d’assurer la concurrence entre les opérateurs – ce qui suppose d’en avoir plusieurs. Il faut aussi que l’offre mette en valeur, aux yeux du grand public, toutes les richesses et spécificités de la Fédération Wallonie-Bruxelles, parce que le consommateur est aussi un citoyen. Enfin, il importe d’observer et comprendre le comportement des consommateurs. C’est ce genre de questions que nous traitons quotidiennement dans notre unité au sein du CSA. 

Est-ce que le CSA est compétent sur les « zones blanches », ces zones moins desservies pour que le consommateur puisse avoir accès aux offres ? 

C’est un enjeu essentiel. Le CSA contribue régulièrement à l’élaboration d’une analyse de marché. Celle de 2018 a abouti à l’adoption de mesures concrètes pour tenter de réduire les « zones blanches ». Les opérateurs sont actifs sur à peu près tout le territoire de la Belgique mais on se rend compte qu’à certains endroits la qualité de service n’est pas excellente. Il est certain que, pour un opérateur, il est plus intéressant d’investir dans une ville où il y a beaucoup de clients potentiels et où il aura un retour plus rapide sur investissement que dans une zone plus reculée. On sait qu’en Wallonie et en Communauté germanophone on compte ce type de localités moins bien desservies. Puisqu’on s’intéresse à l’offre audiovisuelle que reçoit le consommateur, on doit aussi s’intéresser à la qualité du service et faire en sorte que tous les consommateurs soient traités sur un pied d’égalité. 

Tu mentionnes la Communauté germanophone. Comment ça se passe au niveau des différentes communautés, en matière de compétences et de régulation du marché belge ?  

On parle d’un marché qui est effectivement essentiellement national avec des opérateurs qui sont actifs dans au moins deux régions linguistiques différentes. Le fait que la compétence du CSA soit limitée à la région de langue française, pour les distributeurs-opérateurs, signifie que toute décision que nous allons prendre va avoir des répercussions potentielles sur l’ensemble du pays. Autrement dit, pour éviter de prendre des décisions divergentes, on est obligé de régulièrement coopérer avec les régulateurs néerlandophones, germanophones et avec le régulateur fédéral. Il est impossible dans ce domaine de travailler chacun de son côté. Il faut absolument que l’on coopère. La coopération, c’est quelque chose qu’on fait beaucoup et, par ailleurs, les vingt dernières années l’ont démontré. C’est très courant et concret pour notre unité. 

Les rôles de chaque acteur étaient bien définis, mais on aperçoit que les éditeurs deviennent également distributeurs et les distributeurs deviennent en quelque sorte aussi des éditeurs. Comment réguler ce secteur dont les frontières s’effacent? 

Sur ce constat, j’émettrais tout de même une toute petite réserve. Cela se voit peut-être plus maintenant, mais cela a toujours existé. Par exemple, la RTBF a toujours eu son parc d’émetteurs pour diffuser en hertzien que ce soit ses radios ou ses chaînes de télévision. On ne vient pas de nulle part sur le fait que les acteurs du secteur audiovisuel multiplient les casquettes. En revanche, ce qui est vrai, c’est qu’on observe une certaine accélération. Ainsi, certains éditeurs développent leur offre numérique ; on en a vu créer une plateforme qui permet d’accueillir aussi les contenus de certains de leurs concurrents.  

D’autre part, on a aussi des opérateurs et des distributeurs. Leur métier de base, c’est d’assembler un certain nombre de programmes intéressants et qui auront du succès auprès du public. C’est ça leur business. Ce n’est pas uniquement poser des câbles mais c’est aussi pouvoir diffuser un contenu que les gens vont regarder. Pour rendre leur offre attractive, ils vont prendre contact avec les éditeurs préférés du public, notamment à l’étranger. Mais ils développent en outre une offre de contenus exclusifs (sport, cinéma, etc.), ce qui passe par l’édition de leurs propres chaînes de télévision. 

Tout cela montre que le secteur évolue. On arrive à une situation où on a des acteurs qui exercent davantage d’activités. C’est ce qui est passionnant justement parce que ça nécessite de plus en plus de coopération : bien sûr en interne au CSA, parce que nous avons des collègues spécialistes des questions de contenu, tandis que nous sommes davantage des spécialistes des « contenants », mais également avec toutes sortes d’autres autorités comme l’Autorité belge de la concurrence, nos homologues régulateurs des médias, ou encore en matière de protection des données qui est un enjeu très important. Il y a toutes sortes de champs connexes que l’on va devoir traiter de plus en plus dans les mois et les années à venir. En sachant aussi que tout s’internationalise. On a de plus en plus de gros acteurs et on aura peut-être des acteurs locaux qui risquent de disparaître au profit d’acteurs plus grands, actifs sur des marchés plus vastes, peut-être par bassin linguistique par exemple. La question sera néanmoins toujours, selon moi, de faire en sorte que nos consommateurs puissent avoir accès aux programmes qui les intéressent, soit parce que ça les divertit, soit parce que ça les informe, soit parce que ça les éduque. Ce que nous essayons de faire dans notre unité au CSA, ce n’est pas seulement d’observer ce qui se passe et d’accompagner le mouvement, mais essayer de faire de la prospective sur tous ces enjeux et ces évolutions, pour pouvoir anticiper. C’est important pour le développement du secteur des médias. Dresser des constats est intéressant puisque ça permet de prendre des mesures pour essayer de réparer, dans la mesure du possible. Mais ce que nous essayons de faire, c’est de voir le plus loin possible en nous informant, en écoutant les débats au niveau international, partout d’ailleurs sur la planète, pour essayer de discerner les grandes questions de demain, avec l’objectif de permettre aux responsables d’être suffisamment informés pour pouvoir anticiper et prendre les bonnes décisions. Selon moi, peu importent les modifications éventuelles qu’on pourrait connaître au niveau des éditeurs et des fournisseurs de services, il y aura toujours une appétence du consommateur pour des contenus et ceux-ci devront être distribués. 

Tu es juriste de formation. Quel est ton parcours professionnel et que t’a-til apporté qui t’est utile aujourd’hui au sein du CSA ?  

J’aime bien quand les choses sont carrées (rires). Ma formation de juriste m’amène à être aussi rigoureux que possible dans les approches. C’est un impératif tant dans mes analyses juridiques que dans ma participation à des études comme récemment « Médias : Attitudes et Perceptions » (MAP) sur les modes de consommation des médias audiovisuels en Belgique francophone. 

Par ailleurs, on sait que le CSA, en tant qu’autorité de régulation, est là normalement pour appliquer le droit. Mais il existe d’autres modèles possibles. On connaît l’autorégulation, où les acteurs s’organisent pour se réguler eux-mêmes. On parle de plus en plus de corégulation, c’est-à-dire une espèce de coopération entre acteurs et autorités publiques pour créer des normes qui vont s’appliquer au secteur. Le CSA est vraiment partie prenante de ce modèle de corégulation, par exemple en matière d’accessibilité des contenus au bénéfice des personnes en situation de déficit sensoriel. Il y aura de plus en plus de cas où le CSA aura cette opportunité de participer à la rédaction de la norme. C’était une partie de mon métier avant d’arriver au CSA et c’est quelque chose que je peux mettre encore aujourd’hui à profit.  

Avant d’arriver au CSA, je travaillais pour le Medienrat (le régulateur audiovisuel de la Communauté germanophone de Belgique) ainsi que pour le Ministère de la Communauté germanophone. J’étais notamment chargé de la rédaction de normes juridiques ainsi que de la coordination de la transposition de directives européennes mais aussi de traités internationaux au sein du Ministère. Cette expérience internationale m’a souvent permis de mettre en pratique mes aptitudes de « comparatiste », car j’apprécie de pouvoir enrichir ma réflexion d’idées et de bonnes pratiques glanées dans les pays alentours – et au-delà – mais également de travailler sur tout ce qui concerne la coopération. 

Je pense que ces expériences sont utiles pour mon activité au CSA. D’une part, je peux faire appel à mon expérience concrète du système constitutionnel belge, de la coopération, de la rédaction de normes juridiques, etc. D’autre part, j’aime essayer de m’imprégner de ce qui ce fait ailleurs, de disposer de bonnes sources d’inspiration et de créativité, dans le but de pouvoir proposer des solutions – si possible un petit peu innovantes. J’aime l’idée de rechercher des solutions à la fois innovatrices et adaptées à notre situation locale. 

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