Entretien avec Bernardo Herman, Directeur des affaires européennes au CSA
Tu es Directeur des affaires européennes au sein du CSA et es donc très impliqué au niveau de l’ERGA mais qu’est que c’est et quelle est son utilité ?
L’ERGA c’est un groupe de régulateurs de l’audiovisuel constitué des 27 autorités de régulation en Europe. C’est un groupe qui a été créé en 2014 par la Commission afin de la conseiller en matières audiovisuelles avec l’objectif de favoriser une interprétation et une mise en œuvre la plus cohérente possible de la régulation dans chaque cadre national. Son objectif est aussi d’entretenir une coopération plus étroite et plus régulière entre les autorités de régulation et la Commission européenne d’une part, les autorités entre elles d’autre part. L’ERGA a un programme de travail qui varie d’année en année. Ce qui nous occupe principalement actuellement, c’est la mise en œuvre de la Directive révisée et le développement du cadre régulatoire du Digital Services Act (DSA).
Le DSA, c’est est une nouvelle proposition législative de la Commission qui vise à élargir la responsabilité des plateformes en ligne pour protéger le citoyen, ses droits fondamentaux et sa sécurité en ligne de manière transversale et intersectorielle. On se concentre actuellement sur ce dossier car il touche à des sujets particulièrement préoccupants comme la lutte contre le discours de haine et les contenus illégaux, sujets sur lequel l’unité Distributeurs & Opérateurs a déjà produit un travail conséquent. La désinformation est également au menu. Le DSA propose désormais une définition intéressante du concept de contenu illégal dans la mesure où elle s’intéresse au contenu quelle que soit la forme qu’il revêt. Les régulateurs pourront donc s’intéresser également aux écrits en ligne et plus uniquement au seul contenu audiovisuel. C’est une progression importante pourvu que les mécanismes prévus soient efficaces et contrôlables. C’est un des grands challenges de l’ERGA et de toutes les institutions européennes actuellement.
Tu représentes le CSA belge, comment est-il perçu au niveau international ? L’expertise du CSA a-t-elle du poids au sein des 27 membres ?
Concernant la perception de notre image, le mieux est de poser la question aux autres régulateurs bien entendu. Toutefois je pense que c’est l’engagement et la contribution d’un pays, aussi grand ou aussi petit soit-il, qui lui confère de la légitimité aux yeux des autres membres. On est très actif même si on n’a pas forcément la charge de pilotage d’un groupe de travail.
Il faut faire la distinction entre les groupes de travail avec un champ assez large sur un sujet et les groupes d’action qui sont plus concentrés sur une question précise. Le CSA belge a pris le pilotage du groupe d’action sur les questions de genre et d’égalité femmes – hommes. Au terme du travail mené par Joëlle Desterbecq et Sevara Irgacheva nous avons rendu un rapport sur cette thématique. Le CSA a assuré également le pilotage d’un groupe d’action sur les conditions économiques du secteur audiovisuel suite à la crise sanitaire. En ce qui concerne la thématique des vlogueurs, on n’était pas au pilotage du groupe de travail mais, avec l’appui d’un monitoring réalisé par l’unité TV, nous avons apporté une contribution substantielle qui présentait une analyse juridique détaillée justifiant leur entrée dans le champ de la régulation.
Le fait qu’une autorité soit en pointe sur certains sujets la met en capacité de participer activement aux débats sur ceux-ci. C’est ainsi que le Président du CSA ou différents experts sont parfois invités à présenter des positions à différents endroits comme dans le cadre d’un workshop, par exemple parce que la communauté sait qu’on a quelque chose à dire. Il faut aussi préciser qu’on joue sur deux tableaux : on est impliqué au niveau de l’ERGA mais aussi de l’EPRA, qui est également un groupe de régulateurs européens mais au sens OCDE du terme avec ses 52 membres. Ce sont souvent les mêmes personnes qui y participent et qui nous ont vu faire des présentations ou organiser des conférences sur la révision du cadre de la Directive comme ce fut le cas en 2016 avec le colloque « The platform is the message » sur la régulation des plateformes par exemple. C’est une autre manière de présenter l’expertise d’une autorité. Sur les thèmes relatifs aux vlogueurs et à la proéminence des œuvres européennes, on va continuer à s’investir. On nous a demandé récemment de prendre le leadership d’un vecteur de travail, un sous-groupe, qui traite de ces sujets.
Tu as été responsable de l’unité distributeur opérateur, tu as été également Directeur du CSA et étais déjà très impliqué dans les matières européennes. Aujourd’hui, tu es entièrement consacré à ces questions et exerces une sorte de rôle d’ascenseur qui fait monter au niveau européen notre expertise et descendre en interne les préoccupations, une sorte de rôle pivot…comment perçois-tu cette fonction et quelle est ton moteur ?
Dans tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, il y a une ligne rouge, c’est l’égalité de traitement. Que ce soit pour l’ouverture du câble, en matière de compétence territoriale, ou l’inclusion des plateformes de partage de vidéos et des vlogueurs dans la régulation, … tous ces sujets ont un point commun c’est l’égalité de traitement. Que les acteurs qui proposent des services similaires sur un marché déterminé soient couverts par la régulation de manière similaire et connaissent un cadre régulatoire identique. On l’appelle le Level playing field en anglais; c’est ma philosophie et j’ai la chance de pouvoir promouvoir cette valeur dans mon travail qui fait sens pour moi. Ça a été ma boussole dans tout ce que j’ai fait au CSA et ça reste ma boussole.
Pour parler du rôle de pivot ou d’ascenseur, j’ai effectivement une vision à la fois transversale et verticale du travail et de la manière de mettre en œuvre ces principes. Je suis intimement convaincu de l’importance de les défendre au niveau européen pour faire bouger les choses. Ça a été le cas par exemple pour les dossiers compétence territoriale et matérielle qui ont constitué un énorme travail au niveau européen afin d’inclure dans la Directive révisée des leviers et des outils qui permettent ensuite de mieux défendre notre point de vue au niveau national. C’est dans cette perspective que nous avons alimenté notre Collège d’avis qui a adopté une position bien heureusement prise en compte par notre gouvernement. C’est grâce à la cohérence sur toute la chaîne verticale qu’on arrive à faire bouger les choses.
Bien entendu, ces résultats on n’y arrive jamais seul. Des alliances avec d’autres régulateurs et parties prenantes sont toujours nécessaires. Avant tout, il faut que la communication et l’esprit d’équipe internes fonctionnent. Quand une thématique est abordée, j’alerte les personnes responsables de ces matières ; c’est aussi mon job de les soutenir et de leur permettre d’exprimer leur point de vue au niveau européen voire de relayer ce point de vue. Donc, le job de groom d’ascenseur c’est un peu moi aussi (rires). Au niveau de la représentation du CSA, je suis la cheville ouvrière qu’on voit dans presque tous les groupes de travail mais c’est clairement le président du CSA qui agit au niveau du Board, préside les éventuels groupes où notre leadership est attendu et représente l’autorité en externe.
A la suite de la vice-présidence que Karim Ibourki assume depuis bientôt deux ans, on se prépare à assurer la présidence de l’ERGA. C’est une reconnaissance importante de tout le travail qu’on a fait. Ma fonction dans ce cadre, c’est et ce sera de continuer à épauler le Président.