Information et protection des mineurs : Entretien avec Geneviève Thiry du CSA

Geneviève ThiryRégulation | Régulation

« Les raisons pour lesquelles j’adore mes matières c’est parce que je les estime très importantes sociétalement et qu’elles évoluent tout le temps ! »

Au CSA, tu es ce qu’on appelle une conseillère transversale qui collabore pour les différents services qui composent l’institution et sur plusieurs thématiques. Pourrais-tu nous les présenter ?  

Mes matières principales sont la protection des mineurs et l’information. Pour celles-ci, je collabore à différents projets et travaux en interne comme, par exemple, les contrôles annuels, les demandes d’avis en Collège d’avis, la rédaction de recommandations ou de règlements. J’effectue aussi un suivi régulier de la législation et son évolution. Je réponds également aux questions du public sur ces matières. Ce sont deux domaines qui suscitent beaucoup de réactions. Les questions sont très régulières. Et quand des plaintes sont introduites, j’aide le Secrétariat d’instruction pour la qualification des contenus d’information ou pour discuter de la signalétique en protection des mineurs. 

En quoi consiste ton travail dans le cadre des contrôles annuels ? 

Pour la protection des mineurs, c’est un contrôle indépendant car les contrôles habituels des services de médias audiovisuels se font sur un exercice qui vient de se clôturer, donc avec un an de décalage. Mais quand on contrôle un catalogue de services à la demande ou un décodeur, on doit être dans l’instantanéité pour cette question. On va chez le distributeur et on teste le décodeur à un moment M. Ce contrôle n’est pas fait tous les ans, vu que c’est un contrôle exhaustif qui couvre le secteur de la distribution, les éditeurs de services linéaires et non linéaires, sur plateforme fermées et plateformes ouvertes et leurs extensions. La première étape quand on constate un problème, c’est d’en discuter avec le régulé. Il y a beaucoup de choses qui se résolvent déjà à cette étape-là. Sinon, on peut aussi « instruire » l’infraction potentielle et proposer au Collège de notifier un grief. 

Il faut savoir tirer des conclusions des contrôles. Quand on a une catégorie de régulés qui rencontre un même problème, c’est peut-être l’obligation même qui est problématique. On peut donc faire des propositions de changement de législation ou adopter une jurisprudence dérogatoire. 

En information, c’est complétement différent. Je vérifie essentiellement que, de manière structurelle, les obligations qui garantissent une bonne qualité d’information sont respectées par l’éditeur donc qu’il y ait des journalistes professionnels au sein de leur rédaction, un règlement d’ordre intérieur pour le traitement objectif de l’information, une société interne de journalistes et que l’éditeur soit bien affilié au Conseil de déontologie journalistique (CDJ). Au niveau de la RTBF et des médias de proximité, il y a des obligations quantitatives en termes de programmes, donc il faut qualifier les émissions pour pouvoir les quantifier. 

En période électorale, le travail est très intense. Il faut au préalable évaluer, selon les échéances prévues, un règlement en Collège d’avis puis veiller à l’application de celui-ci en matière de publicité politique, d’équilibre, de participation, etc. D’après les retours du public, les notions qui leur sont les plus importantes sont l’équilibre et le pluralisme. En parallèle, il faut pouvoir répondre au cas par cas aux questions des éditeurs. 

En fin d’élections, on fait une évaluation de la manière dont elles ont été couvertes par les médias et celle-ci peut amener à des modifications du règlement comme ça a été le cas par exemple pour la visibilité des petites listes pour les derniers suffrages. 

A côté de ces compétences principales, tu apportes ton expérience sur des projets au niveau européen ? 

En matière de désinformation, je suis en appui technique du Directeur des affaires européennes quand il y a des questionnaires à compléter ou des vérifications à effectuer. Mais je contribue essentiellement au groupe d’action de l’ERGA en éducation aux médias. Cette matière est très vaste. C’est une implication qui est arrivée par le biais de la protection des mineurs. C’est une matière qui a pris beaucoup d’ampleur, on en parle plus dans la Directive sur les services de médias audiovisuels. Le CSA est directement impliqué même s’il n’est pas formellement compétent car il devra contrôler les obligations issues de la directive. Un groupe de travail a été mis en place en collaboration avec le Conseil Supérieur de l’Education aux Médias (CSEM) pour traiter de cette question entre autres.  

Par ailleurs, je participe déjà à un groupe de travail du CSEM où nous rédigeons principalement des brochures avec la contribution d’experts. Ces brochures sont enrichies de différentes ressources bibliographiques. Elles concernent le Big data, le cyber harcèlement, la désinformation, les influenceurs, … Le CSEM s’adresse à priori au milieu de l’enseignement. Ses publications sont vulgarisées tout en étant complètes. Elles adressent une série de conseils, de recommandations, de propositions aux enseignants et aux parents sur toute une série de questions relatives à l’usage des médias numériques. 

En protection des mineurs, on voit une évolution du paysage médiatique et des attitudes de consommation… quels sont les enjeux de ces évolutions ? 

Il y a eu un groupe de travail à l’ERGA sur la protection des mineurs. Les plateformes qui sont délocalisées seront régulées et devront proposer des signalétiques sur leurs contenus, ainsi qu’un contrôle parental. L’harmonisation de la signalétique au niveau européen s’avère très compliquée car il y a des différences culturelles qui entraînent différentes façons de traiter les différentes thématiques telles que le sexe à l’écran, le langage « grossier »,etc. Obtenir un minimum d’harmonisation est un challenge. Rien qu’en Belgique, par exemple, les distributeurs doivent adapter leurs décodeurs aux législations du nord et du sud du pays.  L’enjeu est également de pouvoir garder son identité et sa sensibilité tout en permettant aux opérateurs médiatiques de se développer de façon transfrontalière et ne pas les restreindre par des obligations par trop locales. Il est prévu que l’Europe récolte les bonnes pratiques des différents pays et les partage avec les différents états membres.  

Un autre enjeu est celui de la corégulation. La législation de 2013 (un arrêté sur la protection des mineurs) par exemple a été prévue pour les plateformes fermées mais entretemps beaucoup de plateformes ouvertes se sont créées et les obligations techniques ne sont plus adaptées. Aujourdhui, pour les PPV (plateformes de partage vidéos), on est dans la corégulation.  Les mesures à mettre en place seront discutées avec le secteur.  

Que penses-tu qu’apporte ta personnalité à ton travail ? 

Je suis assez cool mais au fond je suis aussi une grande angoissée (rires)… Je m’entends bien avec les gens. Avec les régulés, je pense que le contact se passe bien. Je sais écouter attentivement et trouver des compromis. Ça ne sert à rien d’être braqué. Quand il y a un problème, il faut trouver une solution, sans perdre de vue les objectifs. Il faut discuter. Je pense avoir un esprit constructif. Le tai-chi, le qi gong et la méditation m’aident à avoir une bonne relation avec le monde : le cours de l’eau coule dans le sens où il doit aller. Les raisons pour lesquelles j’adore mes matières, c’est parce que je les estime très importantes sociétalement. Je trouve vraiment un intérêt à mon travail et je n’ai jamais souhaité changer de poste au CSA. 

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