Les mots de Nouri Lajmi, Président de la HAICA et de Karim Ibourki, Président du CSA belge
Après deux années de Jumelage, quel regard portez-vous sur ce projet, de votre collaboration avec la HAICA et votre homologue, le président Nouri Lajmi, et qu’en retirez-vous pour le CSA ?
K.I. : Le Jumelage a été pour nous un projet phare dans la mesure où il a impliqué énormément de collaborateurs du CSA pendant deux ans, et dont la plupart n’avait pas ou peu d’expérience internationale. Ça a été l’occasion de partager notre expérience et notre expertise avec la HAICA, en poursuivant une collaboration initiée par mes prédécesseurs plusieurs années auparavant.
Ce projet a été un enrichissement pour les collaborateurs du CSA. Le renforcement des capacités des collègues de la HAICA dans le contexte postrévolutionnaire n’est pas chose aisée, et ne l’est toujours pas d’ailleurs, étant donné la complexité du paysage audiovisuel et l’exigence de renforcement du rôle de la HAICA dans sa mission de régulation. Le travail que nous avons mené dans le cadre de ce Jumelage a permis de montrer qu’il fallait soutenir cette institution, qu’elle doit asseoir d’autant plus son indépendance que le contexte est particulier.
Au démarrage de ce projet, il y avait la volonté de supporter une institution amie de longue date. Dans cette mesure, je crois que nous avons accompli la mission, bien que la fin, voire une bonne partie du jumelage ait été compliquée par l’épidémie que nous connaissons.
Ce Jumelage représente donc une étape supplémentaire dans le rapprochement de nos deux institutions qui ont déjà collaboré par le passé – notamment sur une étude commune sur le genre dans les séries – et qui continueront à travailler ensemble, dans le cadre du REFRAM – le Réseau des régulateurs francophones – bien sûr, et puis peut-être dans le cadre du PAMT II (Programme d’Aide aux Médias en Tunisie) pour lequel nous répondons à un appel d’offre.
Ce projet de Jumelage a donné forme, d’autre part, à une volonté que nous avions depuis de nombreuses années de nous ouvrir à l’étranger. Il entre dans notre mandat de service public et dans les valeurs du CSA de soutenir nos homologues dans leur mission de régulation, dans une période de consolidation démocratique.
Le Jumelage nous a permis, par ailleurs, de développer des liens avec une institution dont nous ne connaissions pas bien le travail, je pense ici à l’INA français. En Belgique, la Communauté française s’est dotée de la SONUMA, la société qui se charge de la numérisation des archives pour la RTBF, elle n’est cependant pas ouverte au privé. Nous n’avons pas non plus l’équivalent de la loi française du « dépôt légal » des archives audiovisuelles. L’INA a développé une grande expertise technique dans les systèmes d’archivage, elle est également le fournisseur d’images officiel du CSA français. Souvent – et on ne le sait pas – , l’INA développe aussi une mission d’éducation et de formation des étudiants français.
Ce projet a donc été l’occasion d’une ouverture sur d’autres pratiques, techniques, culturelles et légales, adaptées à une réalité de la HAICA que nous ne connaissons pas en Belgique où nous sommes une institution installée et reconnue dans le paysage audiovisuel depuis plus de 20 ans.
Questions d’ordre existentiel chez eux, la régulation indépendante n’est pas remise en cause chez nous, et elle sort plutôt renforcée par la nouvelle directive SMA..
Ce projet a surtout constitué une riche expérience humaine ponctuée de moments forts. Lors lancement du projet à Tunis en octobre 2018, nous avons été accueillis par le représentant du Quartet du dialogue national, acteur majeur du printemps arabe en Tunisie et récipiendaire du Prix Nobel de la Paix en 2015. Ce sont des moments très particuliers que nous font vivre un projet de coopération comme celui-ci.
L’épisode de covid-19 qui sévit, et les mesures de protection qui ont suivi depuis le mois de mars nous ont heurtés de plein fouet et nous ont fait revoir nos méthodes et projets. La collaboration sur un projet d’échange international est bien moins sympathique dans ces circonstances, mais cela nous a surtout donné l’envie de continuer.
Nous continuerons malgré tout car l’expérience acquise dans ce projet-ci est très valorisante. C’est la première fois qu’une institution de la Communauté française de Belgique est leader sur un projet européen comme celui-ci. Nous avons acquis une expérience que nous souhaitons partager et transmettre à Wallonie Bruxelles-International qui a vocation à appuyer l’intégration des institutions et les viviers d’expertise belge au sein de projets de coopérations et d’échanges internationaux, comme le fait Expertise France chez nos voisins.
Dans le cadre du volet « prospective » du jumelage, la HAICA s’est donnée comme objectif d’élaborer un plan de développement et de positionnement stratégique de sorte que l’institution puisse formaliser une vision de son mandat et de ses missions à moyen terme en se basant sur ce qu’elle a déjà accompli en sept ans d’existence. Monsieur Nouri Lajmi, que retenez-vous de ces deux années de collaboration avec le CSA et l’INA dans le cadre du projet de jumelage.
N. L. : Les cinq volets des activités menées au cours de ces deux années du projet de jumelage ont été d’un apport important dans l’évolution de la HAICA et dans l’avancement de ses projets, dont entre autres le monitoring des programmes et la gestion des contrats de prestation des médias audiovisuels.
Certes, nous avons encore bien des sujets sur lesquels on doit plancher par rapport aux différents aspects de la régulation ou à la stratégie de la HAICA d’une façon générale pour gérer les différents aspects et défis inhérents à notre métier. Cependant nous avons tou.te.s noté une importante évolution dans chacun des secteurs dans lesquels des activités ont été menées.
Je dois souligner à cet égard que cette collaboration s’est déroulée dans un climat de bonne entente entre les différent.e.s expert.e.s, et dans une ambiance particulièrement constructive et mutuellement enrichissante.
J’avais, avant le démarrage du Jumelage, certaines appréhensions, mais à ma grande satisfaction, tout s’est déroulé au mieux, et même au-delà de mes espérances. Une nette complicité s’est installée entre les différentes parties prenantes de ce Jumelage pour relever des défis collectifs, trouver les moyens adéquats pour avancer, améliorer les pratiques relatives à la régulation et apprendre les uns des autres. Ce projet a été en effet une occasion unique de connaitre la réalité de nos collègues Belges et Français, dans les domaines de la régulation et celui très technique de l‘archivage audiovisuel, un domaine complétement nouveau pour nous. Nous avons enregistré des résultats remarquables, je le dis en toute modestie, sur plusieurs plans depuis deux ans.
La crise sanitaire n’a bien entendu pas été une période facile. Nous avons été obligés de supprimer un certain nombre de missions importantes d’experts au cours du dernier parcours du projet vu la quasi-impossibilité de voyager pendant cette période de pandémie. Mais nous avons dû nous adapter et trouver des moyens alternatifs pour y remédier. Nous avons reconsidéré notre méthode de travail, d’un côté comme de l’autre, et planifié beaucoup d’activités à distance par visioconférence afin d’avancer en dépit de toutes ces difficultés.
La Délégation de l’Union Européenne a, quant à elle, fait montre d’une grande disponibilité et flexibilité, de sorte que nous avons pu avancer d’une manière harmonieuse sur tous les aspects sur lesquels nous travaillions.
Ce Jumelage nous a ainsi permis de mettre en place des méthodologies de travail et des règles de fonctionnement pérennes qui vont pouvoir être appliquées au-delà du Jumelage, notamment en ce qui concerne le contrôle du Contrat de gestion pour les médias de service public, l’archivage audiovisuel, la gestion des plaintes etc.
L’enjeu à présent est de réussir à pérenniser les résultats obtenus au cours de ces années d’expériences et de réalisations diverses, en attendant la formation d’un nouveau Conseil de l’Instance de communication audiovisuelle (ICA), annoncée dans l’article 127 de la Constitution de janvier 2014.
Forts d’un bilan somme toute très encourageant et déterminés à défendre la liberté d’expression et le processus démocratique, nous nous employons à pérenniser justement les bonnes pratiques en matière de régulation du champ médiatique audiovisuel et de sa professionnalisation afin de relever les nouveaux défis qui se posent désormais avec acuité et urgence.
Découvrez les résutats de deux années de jumelage entre la HAICA, le CSA belge et l’INA