En cette période de crise sanitaire mondiale, les médias s’adaptent et les régulateurs aussi. Entretien avec Nouri Lajmi, président de la HAICA et du REFRAM (Réseau francophone des régulateurs de médias), sur les grands enjeux régulatoires de l’année à venir.
Que recouvre la présidence du REFRAM et quels sont les grands chantiers en cours depuis votre prise de fonction en automne dernier ?
Le Réseau des régulateurs francophones a été créé à Ouagadougou en juillet 2007 comme une sorte de conférence des régulateurs. Aujourd’hui le REFRAM regroupe une trentaine de régulateurs et offre une plateforme de discussion et d’échange entre les différents membres. On est confronté à des défis nombreux et diversifiés et divers chantiers sont désormais ouverts. C’est un honneur insigne pour moi, président de la HAICA, d’assurer la présidence de ce réseau depuis octobre 2019 pour un mandat de 2 ans. La régulation est en constante évolution, et les enjeux sont bien différents d’il y a dix ans. L’agenda du REFRAM fonctionne par « feuille de route » qui, pour l’actuelle présidence, tourne autour de cinq questions principales au sujet desquelles les régulateurs discutent et échangent :
• La lutte contre la désinformation, qui implique les régulateurs dans la défense de la liberté d’expression et de la crédibilité de l’information. Une conférence internationale a été organisée à cet égard fin 2017. La HAICA a été parmi les premières instances à mettre en garde contre le danger de la désinformation ou l’infox et les menaces que cela représente pour la démocratie.
• Le régulateur a aussi un rôle à jouer dans l’accomplissement des missions des médias de service public qui se trouvent en constante évolution face aux nouveaux défis inhérents à l’émergence et au développement des nouvelles technologies. Il doit par ailleurs veiller à l’indépendance des médias traditionnels par rapport au pouvoir en place et alors même qu’ils font face à une crise de confiance sans précédent. En Tunisie, on peut s’enorgueillir d’avoir œuvré avec succès pour la signature d’un contrat d’objectifs et moyens entre le responsable de la télévision publique et le gouvernement (inspiré du modèle belge). Ce qui permet à l’autorité de régulation d’assurer le contrôle de l’exécution des termes de ce contrat et de demander des comptes aux médias de service public par rapport à leur mandat.
• La protection des mineurs et de la jeunesse ; et veiller à ce que la régulation entre en conformité avec les textes internationaux.
• La lutte contre les discours de haine ; un grand sujet qui fait l’unanimité chez les régulateurs depuis 2015. Il y a un travail à faire notamment avec les hommes politiques et certains journalistes qui sont souvent les auteurs de discours d’incitation à la haine ou/ et à la violence.
• Le traitement des questions relatives aux migrations et à la dignité humaine. Les pays africains sont en majorité des pays de migration. Aussi ces questions sont-elles aujourd’hui essentielles dans le traitement médiatique.
Comment un réseau qui regroupe tant d’autorités de la régulation audiovisuelle ayant des sensibilités différentes peut-il s’accorder sur des mesures de régulation ?
Si les pratiques locales de régulation ne sont pas uniformes pour tous les régulateurs du Réseau, eu égard aux spécificités légales et culturelles nationales, tous les membres s’accordent cependant sur l’urgence de traiter les questions essentielles mentionnées dans la Feuille de route du REFRAM. Si ces questions sont cruciales et doivent être discutées entre les régulateurs dans le cadre du REFRAM, d’autres thèmes peuvent être abordés sur initiative des pays. Outre les conférences internationales, les membres du Réseau peuvent également organiser des activités centrées sur des thématiques qui leur sont propres.
Qu’attendez-vous de l’Université d’été prévue en septembre prochain ?
La rentrée de septembre 2020 pour les régulateurs aura lieu les 21 et 22 par une Université d’été : l’Université de la régulation et de l’éducation aux médias et à l’information » (EMI). Elle est à destination des professionnel.le.s de la régulation et des médias, des journalistes et des étudiant.e.s. Elle sera organisée à distance par visioconférence en raison de la propagation de la Covid-19 et de l’aggravation de la crise sanitaire. Cette université d’été servira de base pour la création d’une plateforme permanente de discussion entre les professionnels de la régulation des médias et les journalistes. Elle sera d’un grand soutien aux différents acteurs des médias et de la régulation qui y trouveront toutes les ressources nécessaires pour être à jour et suivre l’actualité sur les questions de la régulation et de l’éducation aux médias.
La seconde activité de la rentrée 2020 concerne la Conférence internationale sur les missions des médias de service public, qui sera organisée en novembre prochain en partenariat avec le CSA belge et l’OFCOM suisse.
La Conférence de janvier à Rabat portait sur « la régulation des médias dans un environnement numérique, mobile et social : les impératifs d’adaptation et enjeux de refondation ». La HAICA a-t-elle déjà engagé des actions pour l’adaptation aux enjeux numériques et quelle est votre position quant à la régulation des réseaux sociaux ?
La question numérique met les pays membres devant de nombreux défis. Les méthodes de régulation classiques relatives aux médias TV et radio sont obsolètes, au moment où viennent s’ajouter les géants du numérique et leurs plateformes de streaming vidéo telles Netflix et YouTube. Le régulateur n’a encore que peu de poids et de ressources face à celles-ci alors qu’elles entrent en concurrence avec les médias traditionnels sans la moindre contrainte légale locale. L’enjeu consiste ici à garantir un certain bien commun aux utilisateurs et consommateurs de médias et accroitre la vigilance des régulateurs face à la désinformation sur les réseaux sociaux (voir Opération Carthage). Ces derniers doivent se doter rapidement de moyens juridiques et techniques afin de reprendre un tant soit peu le contrôle sur ces plateformes et connaitre ce qu’il s’y passe.
Une nouvelle Conférence du REFRAM qui se tiendra en novembre portera sur la mission de service public des médias. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Beaucoup d’importance est accordée au rôle des médias de service public. D’importants progrès ont été enregistrés en lien avec l’indépendance, la qualité et l’autonomie de ces médias dans certains pays. Reste à bien garantir en retour les moyens nécessaires afin qu’ils remplissent leur mission et répondent aux attentes du public.
(Entretien réalisé à distance par Mélissande Boyer, Attachée de coopération pour le Jumelage à Bruxelles)