« Nous constatons que le confinement, associé à la modernisation de notre plateforme web, à considérablement élargi notre audience. »

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Les réponses de Ronnie Ramirez, l’un des fondateurs et coordinateurs de Zin TV 

Comment voyez-vous le rôle de votre média dans cette période de crise ?  

Depuis plus de dix ans d’existence, nous n’avions jamais été confrontés à une crise pareille. Cela nous affecte bien-sûr, mais cela relève aussi du défi. Nous avons forgé notre identité de média sur le travail de terrain, au contact avec les gens et leurs associations.  

Avant le confinement, nous avions produit plusieurs vidéos sur les luttes du secteur de la santé, celles pour la préservation du service public, celles pour la régularisation des sans-papiers, des jeunes dont la parole est marginalisée, des vieux en colère, des mouvements féministes pour déconstruire nos sociétés patriarcales, celles qui défendent la souveraineté alimentaire et les métiers en première ligne.  

Depuis le confinement, tous les secteurs avec qui nous avons noué des liens ont été déstabilisés : les livreurs et les infirmiers sont particulièrement exposés à la contagion du coronavirus, les sans-papiers sont littéralement condamnés à mourir en silence, l’environnement connait une sorte de pause écologique, chose impensable il y a encore quelque temps. Notre première mesure a été de continuer de témoigner en étant créatif puisque le virus nous impose des nouvelles contraintes.  

Notre rôle est justement de promouvoir la cohésion sociale, de rendre visible les initiatives de la société civile, les actions de solidarité, les revendications des mouvements sociaux, de les suivre dans le temps, comme une série du réel, afin de les stimuler dans leurs combat et réaliser ainsi un travail de fond. D’autres réseaux avec lesquelles nous collaborons sont moins évidents à mettre à la lumière du jour et nous inquiètent fortement, par exemple, le confinement pour certaines femmes, la fermeture des écoles et des crèches, a signifié pour beaucoup d’entre-elles une gestion du quotidien, mais également un risque plus élevé de violences conjugales. 

Il y a des sujets qui nous tiennent à cœur et sont devenus plus difficiles à aborder, comme par exemple, les atteintes à la liberté d’expression, les émeutes d’Anderlecht suite à la mort du jeune Adil, la recrudescence des violences policières, etc. Nous estimons qu’il est de notre devoir de travailler avec le milieu précarisé, avec les communautés immigrantes, des populations qui souffrent terriblement. En quelque sorte, nous sommes un baromètre social et nous mesurons la température de certains secteurs fragilisés qui souffrent en général, et maintenant plus que jamais. 

Quels sont les principaux impacts de la crise sanitaire actuelle sur l’organisation de votre média et son fonctionnement quotidien ? 

Être confiné ne veut pas dire moins de travail, rapidement nous avons pu nous établir un nouvel ordre de priorités, stimuler une meilleure collaboration avec nos pairs en Belgique et en Europe, organiser et nourrir notre nouvelle plateforme internet, envisager des tournages depuis le confinement, filmer la première manifestation publique qui respecte la distance sociale, nous coordonner avec des voisins organisés pour filmer une manifestation depuis leurs balcon, etc.  

Nous sommes un média de proximité et paradoxalement nous voilà tenus à l’écart du réel et du contact social. Nous découvrons le travail à domicile, la vie devant un ordinateur, les vidéo-conférences, les réunions virtuelles… Notre bureau est occupé à tour de rôle par nos membres, mais il est important pour nous de se sentir faire partie d’une équipe et face à l’adversité nous serrons les rangs et sommes solidaires car face à la crise sanitaire nous sommes tous différents. Néanmoins, de la contrainte nait la créativité. Il est tout de même important de souligner que le temps de travail de chaque membre est considérablement réduit, à cause de la nécessité de prendre en charge davantage de tâches quotidiennes, comme par exemple s’occuper des enfants à temps plein ou autres modalités d’organisation personnelle.  

Et les impacts sur la programmation ? 

Notre média a également la spécificité d’être un média participatif qui outille les citoyens à devenir le porte-parole de sa réalité. Nos ateliers ayant été annulés, nous avons dû également réfléchir à d’autres manières de stimuler cette collaboration citoyenne. Ces facteurs impactent de manière évidente sur notre capacité de production et de diffusion de contenus. Notre programme a été chamboulé et avons dû nous adapter à la situation. Nous avons dû avorter des processus pédagogiques en cours, postposer des tournages, annuler des captations d’évènements qui signifient une entrée d’argent importante pour nous, etc. Par ailleurs, de nouvelles propositions adaptées à la crise ont surgi ; comme celle de réaliser des captations d’évènements sans public, développer le secteur «animation» , outiller les citoyens à la réalisation de vidéo au travers de leur smartphone, etc. 

Après un mois, quelles sont les conséquences économiques (et les relations avec les annonceurs) ? 

Nous sommes une WebTV de participation citoyenne, indépendante, en accès libre et sans publicité. Nous dépendons donc des subsides qu’on nous octroie, des productions que nous réussissons à financer et des donations que nous recevons. Cette période nous conforte dans la nécessité d’obtenir un soutien structurel et des aides à l’emploi qui puissent sécuriser le développement de notre projet médiatique. En effet, pour le moment, aucun subside structurel n’est octroyé aux médias en ligne. Malgré tout, nous avons réussi à tenir le long de ces années en affrontant toutes les tempêtes grâce à une dynamique collective et une utopie, celle de réinventer la télévision en ligne. L’information que nous produisons est non-marchande et vu le public avec qui on travaille, cela ne peut en être autrement. 

Avez-vous pris des initiatives exceptionnelles ? 

Depuis quelques années, chez ZIN TV nous avons créé la Permanence Vidéo des Luttes Sociales. Il s’agit d’un dispositif dont les objectifs sont d’accompagner, de documenter et de soutenir les luttes et mouvements sociaux en filmant avec eux et pas seulement sur eux et d’être un lieu d’apprentissage des outils et du langage audiovisuel. Il s’agit d’un espace laboratoire où l’on teste collectivement des dispositifs avec l’envie de sortir des formes audiovisuelles dominantes et de questionner le monde qui nous entoure. De nombreux films collectifs sont ainsi réalisés et diffusés sur notre plateforme de diffusion en ligne. C’est dans cet espace que la plupart des nouveautés ont vu le jour. Une équipe réunissant des témoignages envoyés par des personnes sans-papiers en confinement s’est confrontée à la qualité médiocre de l’image et du son compressé par les logiciels de communication. Réussissant à sauver le son, ils ont fabriqué des images en animation stop motion. Les logiciels de vidéo-conférence ont défini un imaginaire collectif durant cette période, le splitscreen est devenu le dispositif pour un autre film à témoignage de personnes sans-papiers. La contrainte du confinement a fait émerger un film sur les métiers en première ligne, filmé uniquement depuis une fenêtre. Cette épreuve nous a poussé à diversifier nos pratiques et à publier notre premier récit graphique, créé sur base de collage d’images officielles, il s’intitule «Le cauchemar de Donald Trump». Inspiré du roman-photo, il nous a permis d’innover et explorer des nouvelles formes narratives.  

Avez-vous constaté des effets de la crise actuelle sur le public et ses besoins ?  

Selon nos statistiques de fréquentation, nous constatons que le confinement, associé à la modernisation de notre plateforme web à considérablement élargi notre audience. Nous notons également que la population smartphone est devenue majoritaire. Cela nous oblige à réfléchir sur le développement d’une application pour smartphone que nous envisageons sérieusement. Chaque année, nous incorporons un nouveau secteur de la société civile dans nos collaborations, ce qui nous aide à toucher des nouveaux publics, que ce soit le réseau LGBTQI, migrants, santé, féminisme, ainsi que les demandes des secteurs qui nous découvrent seulement maintenant. Ces demandes sont sans cesse croissantes. Le secteur santé, profondément affecté par les coupes budgétaires du gouvernement antérieur et par la crise sanitaire, a compris qu’il est indispensable d’avoir accès à un espace d’expression afin de conscientiser la population sur le besoin d’un vrai service de santé. Les mouvements sociaux, les associations de quartier et les organisations populaires ont l’air de comprendre enfin qu’il est indispensable de s’approprier des outils de communication et d’apprendre à communiquer.  

Une des parties du site qui a pris un sérieux coup est sans trop de surprise est notre «agenda en ligne». Lancé un mois avant le confinement, nous avions pris beaucoup de temps à répertorier les évènements à venir, mais ceux-ci ont tous été annulés. Notons que cet agenda a la spécifié de pouvoir être alimenté par les utilisateurs. Depuis le confinement, il est devenu un agenda pour des évènements virtuels, débats ou conférences virtuelles, manifestations depuis des balcons, etc. Auparavant, cette agenda concernait uniquement des évènements situés à Bruxelles, désormais pour des raisons évidentes ils sont devenus extra-territoriaux. Il est également amusant de constater comment le secteur avec lequel nous travaillons s’approprie des outils comme le live-streaming, qui auparavant était marginal.  

Comment envisagez-vous la sortie de crise ? 

Avec le confinement, la population s’approprie massivement les outils de communication, mais ce que nous constatons est que cela s’accompagne d’une pauvreté du langage image / son. Une forme narrative assez homogène se reproduit à travers la multiplication des livestream. À l’instar du face-caméra de l’animateur télévisuel dans un plateau high-tech, un nouveau standard télévisuel s’est imposé, celui de l’individu devant sa webcam et dans son salon. C’est l’Empire de la conversation de salon retransmise en direct et où la profession de caméraman et ingénieur du son disparaissent. Des habitudes s’installent… La qualité de la télévision et des WebTV est déjà assez difficile à maintenir avec des budgets précaires.  

Nous continuerons malgré tout à œuvrer pour faire exister des contenus audiovisuels décents, d’essayer d’avoir une approche cinématographique de la télévision dans l’espoir que snapchat et instagram ne deviennent pas l’unique source d’information. Pourtant, le secteur connecté connaît avec le confinement un sursaut extraordinaire, l’émergence d’autres expériences sur le net sont visibles, des médias hybrides, à cheval entre une discipline et l’autre, sont la preuve que le secteur se développe.  

Nous faisons partie de ce foisonnement et nous constatons que nous avons encore beaucoup à apprendre mais surtout beaucoup à apporter. Nous sommes donc condamnés à grandir, nous allons devoir adapter notre structure organisationnelle et technique. Mais surtout être à la hauteur des nouveaux défis à relever.

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