Régulation a voulu savoir comment le régulateur de l’audiovisuel belge francophone envisage cette année déjà bien entamée. Quels sont les dossiers-phare, les tendances ? Qu’est-ce qui interpelle le régulateur ? Qu’est-ce qui le fait vibrer ?
Entretien avec Nele Smets, directrice générale adjointe du CSA et Karim Ibourki, président du CSA.
Quels sont les dossiers en haut de la pile sur votre bureau ?
Karim Ibourki (K.I.) : L’agenda 2020 est d’ores et déjà bien chargé. Cette année sera une année de concrétisation. Une série de projets et dossiers initiés en 2019 – voire avant – se clôtureront dans les prochains mois.
En haut de la pile, il y a bien entendu le dossier du plan de fréquences. J’espère que les dernières difficultés pourront être surmontées. Nous attendons la décision du Conseil d’État. Pour rappel, le CSA a demandé en novembre 2019 au Conseil d’État de poursuivre la procédure au fond dans le conflit qui l’oppose à IPM et DH Radio quant à l’attribution des fréquences radio en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans l’attente des décisions définitives, les radios dont l’autorisation ou la non-autorisation a été suspendue (NDLR. : NRJ, Fun Radio et DH Radio) pourront continuer à émettre. Le CSA applique la tolérance administrative depuis le 17 juillet 2019, qui consiste à ne pas solliciter auprès de l’IBPT l’extinction des émetteurs de ces éditeurs, sauf infraction grave.
Une autre décision importante qui sera prise sous peu : la fixation du tarif dans le cadre des analyses de marché de la radiodiffusion télévisuelle. L’objectif qui sous-tend ce dossier est l’accès pour les citoyens – via les opérateurs – à un tarif compétitif, à un marché belge aux concurrences plus saines. Pour rappel, le marché belge est encore à ce jour un des plus cher d’Europe sur le plan des tarifs de connexion.
Sans oublier, la transposition de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), un dossier qui a notamment toute son importance pour le secteur culturel. On doit remédier à ce déséquilibre où des plateformes bien ancrées sur le marché sont très peu régulées et ne contribuent pas au soutien à la création belge contrairement aux acteurs traditionnels. Les contributions des plateformes de partages vidéo est un sujet qui nous occupent depuis des années.
Nele Smets (N.S.) : le Collège d’avis du CSA a mené un travail d’envergure sur la transposition – soutenu par les équipes – et rendu un avis sur la directive au gouvernement fin décembre 2019. Le gouvernement travaille actuellement sur cette transposition. L’échéance est fin septembre 2020. D’ailleurs, le CSA suit tout particulièrement les travaux de l’ERGA en matière de transposition cohérente de la directive au niveau européen. La Belgique travaille avec la France, l’Irlande et l’Allemagne sur les questions de compétences transfrontalières.
2020, c’est aussi l’année de la transition numérique avec l’arrivée du DAB+. Le CSA a débuté un travail d’accompagnement des radios qui nous prendra toute l’année. Il y a aura aussi quelques appels d’offres subséquents de 2019.
Vous parliez de concrétisation de travaux au long cours. Des publications sont prévues cette année ?
N.S. : Plusieurs publications du CSA vont sortir des presses en 2020. Parmi celles-ci, les résultats de l’enquête sur les modes de consommation des contenus audiovisuels. Pour adapter la régulation audiovisuelle aux enjeux soulevés par la convergence des médias et au déploiement d’acteurs transfrontaliers, il nous importait de comprendre pleinement comment se redistribuent les modes de consommation entre ces différents médias et acteurs au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Le département Études & Recherches et l’unité Distributeurs & Opérateurs travaillent de concert depuis des mois afin de mener à bien cette enquête. Le rapport permettra une mise en perspective de l’évolution de la consommation des médias avec une utilisation multiple des supports et une délinéarisation de la consommation. L’idée est de faire perdurer ce type d’étude et donc de pouvoir constater l’évolution des tendances et usages dans le temps.
K.I. : En tous les cas, cette nouvelle forme de consommation médiatique, ses enjeux démocratiques, informatifs et l’évolution du champ de la régulation qu’elle engendre sont au cœur de nos préoccupations. Nous aurons l’occasion d’en discuter avec le secteur lors du colloque qui sera dédié à cette étude le 30 juin.
Pour poursuivre avec les publications, le département Études & recherches du CSA ne chôme vraiment pas. En septembre sortiront trois rapports importants en matière d’égalité de genre : l’étude sur l’égalité de genre dans les métiers de l’audiovisuel et les ressources humaines des SMA et les baromètres de l’égalité et de la diversité en radio, côté publicité et côté programmes. Une présentation publique des résultats sera bien entendu organisée après la rentrée.
C’est aussi en 2020 que se clôture le jumelage avec la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle tunisienne (HAICA) ?
K.I. : Cette mission passionnante touche tout doucement à sa fin. Le CSA belge s’est engagé dans ce projet de jumelage ambitieux avec son homologue tunisien (HAICA) le 3 décembre 2018. Avec le soutien de l’INA français, le CSA contribue depuis plus d’un an au renforcement du processus démocratique enclenché en Tunisie depuis la révolution de 2011.
C’est un honneur que la Commission européenne et la HACA aient choisi notre institution pour renforcer ses missions et développer de nouvelles thématiques de régulation à l’intérieur d’un paysage médiatique porteur d’enjeux majeurs pour la société civile tunisienne. Fin juin, nous clôturerons officiellement le programme de jumelage. Les conclusions de ces dix-huit mois d’échanges sont évidemment très attendues de part et d’autre.
Nous avons beaucoup abordé les travaux et les résultats attendus de l’institution. Le CSA, c’est avant toute chose des équipes et expert.e.s. Comment s’envisage 2020 entre les murs ?
N.S. : Comme on vient de le rappeler en parcourant le menu qui nous attend dans les mois à venir, le CSA est une institution qui produit énormément d’expertise et de contenus grâce à un personnel hyper compétent et dynamique. C’est à la fois un immense plaisir de manager ces équipes mais aussi un challenge constant de maintenir l’institution à l’équilibre dans un contexte budgétaire très serré. Nous sommes heureux que l’institution soit régulièrement sollicitée pour mener de nouvelles missions ou étudier des dossiers pointus mais pour les mener à bien nous dépendons entièrement de soutiens financiers des commanditaires.
La direction générale met tout en œuvre afin que la gestion ne vienne pas empiéter sur les missions du régulateur. En 2019, nous avons entamé un chantier sur l’optimisation des procédures et des dépenses. Ce travail de gestion interne se poursuivra en 2020.
Toujours dans ce souci d’optimisation du travail, mais dans le suivi des régulés cette fois, 2020 sera une année de réflexion sur la manière de voir les contrôles des éditeurs. Nous souhaitions pouvoir mener en parallèle une analyse en profondeur des contenus et offrir aux régulés la possibilité de simplifier leurs démarches administratives envers le CSA en mettant par exemple un maximum de données et formulaires en ligne.
Un souhait pour le futur proche ?
K.I : Un des dossiers que le CSA va prendre à bras le corps est la résolution du différend avec le Conseil de déontologie journalistique (CDJ). La collaboration avec le CDJ est devenue difficile à certains égards. Il y a une interprétation différente du décret qui définit la collaboration entre nos deux institutions. Ces difficultés ont des conséquences sur les délais et l’effectivité de la régulation. Cela met à mal notre service rendu au public. Chose qui ne devrait pas exister au regard de nos missions.
Nous devons d’un côté comme de l’autre agir en gardant à l’esprit l’intérêt général. Le Collège d’autorisation et de contrôle du CSA est prêt à discuter avec le CDJ. Je vais prochainement rencontrer les différents intervenants afin d’avancer et de faire une proposition au gouvernement.
En 2019, le CSA a défini des 4 valeurs principales : à savoir égalité, pluralisme, dialogue et expertise. Si vous deviez en pointer une qui guidera votre travail en 2020, quelle serait-elle ?
N.S. : Elles sont évidemment toutes importantes à mes yeux. Mais si je ne devais en retenir qu’une ce serait l’égalité. Cette préoccupation fait partie intégrante du travail du CSA, à tous les niveaux. Tout d’abord en interne notamment au niveau de la direction générale et avec un groupe de travail initié en 2019 qui réfléchit aux questions d’égalité et de diversité au sein de l’institution. Au niveau de nos études avec la réalisation régulière des baromètres égalité et diversité et la parution de l’étude consacrée aux ressources humaines des SMA. C’est aussi un sujet qui régit notre travail de régulateur car l’égalité de traitement à l’égard des régulés est également une préoccupation constante.
K.I. : Pour ma part, j’opte pour le dialogue. Parce que le rôle d’une institution comme le CSA est de pouvoir initier ou maintenir un dialogue avec tous les acteurs de l’audiovisuel, quelles que soient les différences d’approche. Le dialogue est aussi inhérent à l’évolution de nos métiers. Il faut sans cesse s’informer, aller à la rencontre des autres acteurs. Le dialogue, c’est d’ailleurs l’essence même du Collège d’avis du CSA.
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