Début juillet, le CSA belge a accueilli Nouri Lajmi, président de la HAICA, le régulateur des médias audiovisuels tunisiens pour une visite d’études à Bruxelles. Cette visite présidentielle était une première depuis le 18 décembre 2018, jour de lancement officiel du jumelage qui lie les deux institutions. Une occasion unique de renforcer les liens privilégiés qui unissent les deux régulateurs, de dresser un bilan commun et des perspectives du programme, et de travailler autour d’une thématique centrale : la lutte contre la désinformation en période électorale.
Renforcer le processus démocratique enclenché en Tunisie est une des missions essentielles de la HAICA, fondée en 2013, deux années après l’électrochoc du printemps tunisien. Et cette fin d’année 2019 sera décisive. Les prochaines élections législatives se dérouleront le 6 octobre et le 1er tour des présidentielles est fixé au 17 novembre. Comme l’a martelé Nouri Lajmi, lors d’un entretien donné au journal Le Soir : « cette prochaine échéance électorale sera très importante. Cette fois-ci, c’est la bonne : il faut que ces élections soient le point de départ de l’installation de la démocratie. Nous naviguons depuis des années dans un processus de « mise en place » (Le Soir, 5/07/2019).
Le jumelage en action dans tous ses volets et qui ouvre de nouvelles perspectives
C’est dans ce contexte que la coopération entre le CSA et la HAICA s’est résolument inscrit. Au bilan de ses 9 premiers mois, les présidents Lajmi et Ibourki ont pu constater que le jumelage présentait déjà un haut degré de réalisation dans tous ses volets, après les phases préliminaires d’état des lieux des ressources et des attentes : cahier des charges d’un service de recherches, plan stratégique de communication, transfert d’expérience sur les outils et les méthodes de contrôle, audit en vue d’un cahier de recommandation pour la création d’un outil d’archivage audiovisuel sont quelques-unes des étapes concrètes réalisées. Et en termes de perspectives nouvelles, les deux régulateurs ont confirmé l’importance de renforcer la HAICA dans sa présence dans les enceintes internationales des régulateurs, et en particulier dans la prochaine présidence par la HAICA du réseau francophone des régulateurs, le REFRAM.
Une semaine au rythme des fact-checking
Un des principaux points d’attention du régulateur tunisien, dans ce contexte pré-électoral, est la lutte contre les fausses informations, notamment sur les réseaux sociaux. Preuve s’il en faut que l’enjeu est majeur, la HAICA a organisé fin juin à Tunis une rencontre internationale « Internet, réseaux sociaux et processus électoraux », en partenariat avec le Conseil de l’Europe. Et pour lutter au mieux contre les infox, la HAICA soutient le projet de mettre en place une plateforme de fact-checking, en collaboration avec un consortium de médias, qui devrait être prête d’ici octobre.
C’est dans ce contexte que le président de la HAICA a mis à profit sa visite d’étude à Bruxelles pour rencontrer différents expert.e.s et institutions porteuses d’initiatives en matière de lutte contre la désinformation.
Nouri Lajmi et une équipe du CSA ont d’abord bénéficié de l’expertise de Maarten Schenk dans le domaine du fact-checking. Fondateur de Lead Stories, Maarten Schenk s’attache principalement à débusquer les fake-news du réseau américain à l’aide de l’outil Trendolizer développé pour repérer, à l’aide de mots-clefs et de hashtags, les grandes tendances de fake-news circulant sur les réseaux sociaux et sites web, afin de stopper la viralité de ces contenus, en proposant une information sourcée et certifiée le plus rapidement possible.
Lead Stories – « Just because it’s trending doesn’t mean it’s true » – est affilié au Réseau International des Fact-Checkers (IFCN) ainsi qu’au programme « Third Party Fact-Checking » initié par Facebook qui lui permet d’apposer toute une gamme de bannières de prévention sur les articles identifiés comme faux et de renvoyer vers l’information réelle et/ou un travail de vérification. Trendolizer est un outil en libre accès, de même que les outils et plateformes complémentaires Factama, Rappeler et BuzzSumo.
Un focus plus européen
La rencontre suivante a permis d’accueillir Alexandre Alaphilippe et Clara Hanot de Disinfolab, une ONG – fondée en 2017 – spécialisée dans la recherche et la lutte contre les campagnes de désinformation sophistiquées visant l’Union européenne, ses États membres, ses institutions et ses valeurs.
Cette jeune plateforme rassemble une communauté d’experts luttant contre la désinformation et leur fournit les outils et ressources nécessaires pour encourager la collaboration. Concrètement, Disinfolab surveille en permanence les activités de désinformation sur les principales plates-formes (numériques et traditionnelles), identifie les tendances et les menaces, et alerte la société civile et les chercheurs.
Les principales menaces au discours démocratique pointées par l’ONG sont à identifier à la fois au point de vue du message (un contenu manipulé), du messager (un acteur malveillant) et du medium (une publicité abusive). Les réponses possibles pour les contrer sont très variées et passent par le fact-checking, le retrait des contenus illégaux, l’éducation aux médias, l’identification des faux comptes et bots, les conditions d’utilisation, la transparence des publicités en ligne et des algorithmes.
Média de service public et désinformation
L’indépendance financière et institutionnelle, des missions d’intérêt public supervisées par le régulateur indépendant en contrepartie d’un financement stable, sont autant de garanties de la contribution des médias de service public au débat public pluraliste et démocratique.
C’est pour cette raison que la HAICA entrevoit le rôle important que pourra jouer la télévision publique tunisienne, notamment par la production d’informations fiables, présentant la diversité des opinions, dans la lutte contre la désinformation.
Rendez-vous est alors pris par Nouri Lajmi avec l’Union européenne de radio-télévision (UER) pour une après-midi de rencontres directs et par téléconférence depuis leur siège de Bruxelles avec quelques-uns de la dizaine organismes de télévision public qui développent des projets concrets.
« Truly media » – co-developpé par le diffuseur international public Deutsche Welle et la compagnie grecque Athens Technology Center est une plateforme collaborative sur le web d’analyse et de vérification des médias en ligne, particulièrement les médias sociaux. Sa particularité est le partage en open source des opérations de vérifications, leur traçage et le recours à un vaste réseau et différents outils pour la vérification des photos, vidéos et textes.
« News Wire » est un réseau de vérification opéré par l’UER, avec 570 intervenants issus de 37 de leurs membres. Ils dénichent et vérifient des récits de témoin extraits des médias sociaux. Ce sont plus de 50 sujets qui sont examinés, vérifiés et validés quotidiennement.
En Espagne, la RTVE a développé avec 16 autres médias la plateforme « Comprobado » spécialement pour la détection de tentatives de désinformation durant les élections législatives espagnoles.
En Belgique – WB – la RTBF planche sur la création d’une plateforme pour aider à lutter contre la désinformation en tentant d’analyser le degré de fiabilité potentiel d’un contenu. Il s’agirait avant tout d’un carrefour entre plateformes de vérification de l’information et le travail des communautés existantes
En définitive, l’UER et ses membres capitalisent un grand nombre d’expériences. L’organisation en elle-même, notamment à travers son « UER Académie », et plusieurs de leurs initiateurs manifestent leur disponibilité pour soutenir la lutte contre les risques que la désinformation pourrait faire peser sur les prochaines élections en Tunisie, et particulièrement au bénéfice de la télévision tunisienne, déjà membre de cette organisation.
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