Comment l’humour peut-il déconstruire les stéréotypes dans la fiction ?

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Trois questions à Caroline Taillet, auteure, comédienne, metteuse en scène réalisatrice. À l’occasion de la rencontre professionnelle « Le sexisme sous couvert de l’humour ? », organisée par le CSA le 29 novembre, Caroline Taillet a présenté un case study autour de l’œuvre « La théorie du Y ».

 

 

Les stéréotypes sous couvert de l’humour, c’est un sujet qui vous parle ?

La pièce de théâtre « La théorie de Y » que j’ai écrite en 2014 a pour thème la bisexualité. Et s’il y a bien quelque chose de caractéristique à la bisexualité, ce sont les nombreux stéréotypes véhiculés dans les discours populaires. Du coup, dans la pièce, l’humour provient du principe d’exagération. On exagère largement les traits. Les stéréotypes trop souvent entendus sont mis expressément bout à bout. A tel point que ça en devient absurde. Cette dérision mène au rire.

 

 

Est-ce justement le rire qui a offert le succès à la pièce « La théorie de Y » ?

La pièce a connu rapidement un grand succès pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que le thème, la bisexualité, n’avait jamais été abordée de cette façon sur les planches. J’avais volontairement pris le parti de déconstruire les stéréotypes. Ensuite, parce que l’héroïne est a priori hétéro et découvre sa bisexualité avec le spectateur, ça crée du lien. Et enfin, bien entendu parce que beaucoup de légèreté et d’humour sont injectés dans une histoire pleine d’humanité. Dans un premier temps le spectateur rit et ensuite il réfléchit en pensant à sa propre expérience. C’est pour cela que ça a fonctionné avec des publics parfois très différents d’ailleurs.

 

 

La websérie utilise-t-elle aussi l’humour pour déconstruire les stéréotypes ?

Dans la websérie, avec l’équipe, nous sommes allés un cran plus loin. Les stéréotypes présentés sur scène ont été transposés dans un épisode. Nous avons aussi mis en œuvre d’autres outils. On montre ce qui est intériorisé. Par exemple, l’héroïne se rend à une soirée lesbienne. Elle a tellement entendu des stéréotypes qu’elle se fait un film. On lui fait vivre sa vision à l’écran et on parvient à tourner ça en ridicule. On montre les clichés intériorisés par l’héroïne. Le spectateur s’identifie à elle. On rit d’elle. On rit avec elle. La websérie tente de rendre les clichés sur la bisexualité absurdes afin de montrer qu’ils n’ont aucun sens.

 

 

Comment envisagez-vous demain en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ?

Cela bouge un peu. Les institutions sont conscientes de la problématique. Mais les répercussions sur le terrain sont minimes. Entre parler des femmes et leur donner du pouvoir, il y a un monde de différences. Par exemple, je suis souvent invitée à participer à des panels avec des thèmes comme « Femmes et fictions ». C’est juste un prétexte, sans mise en exergue de nos qualités ni de nos spécificités. A-t-on jamais vu un colloque « Hommes et fiction » ? Non. Jamais car cela n’a pas de sens.

Il faut aussi travailler à réduire cette différence entre le nombre important qui sortent des formations en audiovisuel et celles qui obtiennent des postes à responsabilités dans les équipes de production et de création. Je reste convaincue que pour avoir plus de femmes qui portent des rôles principaux, il faut plus de femmes dans les postes clés. Ça ne règlera pas tout mais c’est une partie de la solution selon moi. Parfois, il suffit juste d’oser.

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