Rencontre avec Marie Coomans, juriste et Sevara Irgacheva, conseillère Création & Production audiovisuelles. Leurs publications « Poursuite de l’égalité entre hommes et femmes dans les médias audiovisuels, Inventaire de la législation applicable » et « Gender studies. Histoire des concepts et développement du champ d’études » donnent un ancrage historique et législatif à la notion de genre et mettent en perspective les résultats du Baromètre Diversité & Egalité.
Comment résumer le propos de votre publication ?
Marie Coomans (MC) : il s’agit d’un inventaire de la législation applicable en Fédération Wallonie-Bruxelles en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. Que cette législation découle du droit international, du droit fédéral ou du droit de la Fédération à proprement parler. Ce qui était intéressant à pointer c’est que de nombreuses législations en matière de genre ne concernent absolument pas l’audiovisuel, mais qu’au final, elles ont un impact sur le secteur.
Sevara Irgacheva (SI) : de mon côté, il s’agit d’un état de la littérature consacrée à la notion de « genre ». Il s’agit de parcourir l’historique du concept de « genre », ses significations et son évolution au fil du temps ainsi que ses apports en tant qu’outil d’analyse. C’est quoi « le genre » en fait ? Comment cette notion est construite ? Comment a-t-elle a évolué ? Qu’est-ce qui l’influence ?
On peut dire que les représentations du genre évoluent sans cesse ?
SI : J’aime prendre cet exemple : Mae Jemison, la première femme noire astronaute américaine. Elle a notamment décidé de devenir astronaute après avoir vu Star Trek. Elle s’est dit : « OK, moi aussi je peux le faire ». Ouvrir les représentations à l’écran permet de « normaliser » les genres, la diversité au sens large. Cela permet d’éveiller les consciences. D’ouvrir le débat et de mettre les choses à l’agenda politique notamment.
MC : En Fédération Wallonie-Bruxelles, on dispose d’un bel arsenal législatif. J’ai analysé toutes les règles dérivées du principe d’égalité en distinguant celles qui avaient un impact direct ou indirect sur les services de médias audiovisuels. Ce qu’on constate rapidement, c’est que tout se tient. Si des mesures favorisent une meilleure égalité entre hommes et femmes parmi nos élu.e.s., si on a une présence plus forte des femmes au Parlement, on a naturellement une législation qui, petit à petit, va chercher à réduire le sexisme et les inégalités. Et ça va se répercuter à tous les niveaux de la société, y compris au travail, avec une représentativité plus équilibrée dans des métiers historiquement très masculins.
La société a-t-elle changé ?
SI : C’est un cercle vertueux. Un changement utile se fait rarement de manière radicale. On y va piano mais on avance. Cela passe aussi par l’éducation. Par exemple, on voit encore peu de femmes à l’heure actuelle dans les postes techniques, dans l’informatique, dans les métiers du son, etc. Cela repose parfois sur l’habitude et l’existence de certains comportements et codes masculins. Parfois, si on ne les intègre pas, on se fait écraser. Le contraire est vrai aussi. La réaction de la société est encore plus violente envers les hommes qui souhaitent montrer leur côté féminin. C’est pour cela qu’il est essentiel d’analyser les rapports de pouvoir, d’en définir les contours et, surtout, de les remettre en question.
Dans le cas de l’étude que le CSA a mené en collaboration avec la Haica, le régulateur tunisien de l’audiovisuel, un état des lieux de la représentation hommes-femmes dans les fictions a été dressé. On constate notamment que ce n’est pas parce qu’une femme est un personnage principal que les rapports de genre à l’écran changent. Les conversations des personnages féminins, par exemple, tournent souvent autour de sujets légers du quotidien et de la famille, y compris sur le lieu de travail. En revanche, ça permet de malgré tout montrer des femmes dans les fonctions de pouvoir, ou des fonctions actives comme inspecteur de police, par exemple. C’est déjà un pas en avant.
Vous adoptez la positive attitude ?
MC : En tous cas, d’un point de vue législatif, l’évolution va dans le bon sens. Prenons le cas du « gender mainstreaming ». Il s’agit d’analyser les mesures à prendre sous l’angle de leur impact potentiel sur l’égalité des genres. Grâce à cet outil, le législateur se pose les bonnes questions. Est-ce que la législation qu’on va adopter est bien neutre ? Ou est-ce qu’elle rééquilibre une situation problématique ?
SI : Ainsi, quand on parle de familles monoparentales, il est fondamental de tenir compte du fait que cette situation concerne en grande majorité des femmes, qui sont plus souvent dans des situations plus précaires et subissent des discriminations spécifiques. Il est donc nécessaire de tenir compte qu’une mesure qui traite de ces problématiques aura principalement un impact sur les femmes, sans pour autant dire que les hommes ne sont pas concernés par cette situation. On ne va pas être neutre du point de vue du genre, mais on le prend en compte et on corrige un déséquilibre préexistant.
Ce type de publication est nécessaire car il y a beaucoup d’idées reçues sur les questions de genre. La pensée féministe s’est construite à travers des combats politiques et une démarche « bottom up », bien sûr, mais elle s’est nourrie des analyses provenant de sociologie et d’anthropologie. Les clés de lecture et d’analyse de société qu’on en dégage peuvent être appliquées à de nombreuses disciplines, y compris l’audiovisuel. Ce dont il faut se souvenir est que la féminité et la masculinité, et le rapport de pouvoir entre elles, ne sont jamais fixes et immuables. Le travail de déconstruction et d’analyse sur le genre et la diversité est une remise en question permanente.
Découvrir la publication « Inventaire de la législation applicable »
Télécharger le Baromètre Diversité & Egalité