2017 : année de la reconquista de la régulation (VIDEO)

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 Entretien avec Bernardo Herman, Directeur général du CSA.

Quelles sont les valeurs de la régulation mises en avant par le CSA en 2017 ?

La régulation dans le secteur audiovisuel forme un tout et défend beaucoup de valeurs : notamment le pluralisme, la protection des mineurs, la promotion du respect et de la diversité culturelle, la concurrence loyale et non discriminatoire en particulier. En 2017, on a enregistré de nets progrès sur la question du traitement égalitaire des uns et des autres… ce qu’on appelle l’équivalence de traitement qui est la clé de voute d’un marché garantissant une concurrence loyale et non discriminatoire aux acteurs qui y sont actifs. Sans équivalence de traitement, le reste de la régulation s’écroule.  Pas moyen de requérir de manière crédible et légitime d’un éditeur qu’il respecte ses obligations si son voisin en est dispensé. Sur ce plan-là, on peut même parler d’une année de « reconquista de la régulation ». Cette approche fut notre mantra au cours de ces trois – quatre dernières années : pour un même périmètre, les mêmes règles doivent s’appliquer aux acteurs qui sont actifs sur un même marché ; un souci permanent qui nous a animés et un objectif que nous avons cherché à atteindre du mieux que nous avons pu à différents niveaux.

Pour y arriver, il fallait forcément que la question de la compétence sur RTL soit réglée. Il fallait également que d’autres grands acteurs comme les services non-linéaires (de vidéo à la demande) et les services linéaires établis ailleurs puissent être concernés par notre régulation, et en particulier, par la contribution au financement de l’audiovisuel. Il fallait qu’on puisse les rencontrer et être en mesure de leur imposer des obligations qui s’imposent à tous les acteurs actifs sur le même marché.

Tout d’abord, concernant RTL, la décision d’arrêter de transmettre à l’autorité de régulation luxembourgeoise (l’ALIA) les plaintes à l’encontre d’RTL[1] fut une longue croisade quand bien il s’agissait ni plus ni moins que d’appliquer des principes de base de la directive sur les services de médias audiovisuels et de notre décret. Ça n’en reste pas moins une évolution.

Ensuite, en ce qui concerne les acteurs établis en-dehors de notre marché mais ciblant celui-ci, il y avait une bataille à mener au niveau européen dans le cadre de la révision de la directive. On note deux évolutions majeures : d’une part, les plateformes de partage et de vidéos ont été inclues dans le cadre révisé, ce qui leur donne un nouveau statut comme sujet de droit. Toutefois, seules des obligations concernant la protection des mineurs, contre les discours racistes et discriminatoires de même que certaines règles en matière de publicité peuvent leur être imposées, mais c’était quelque chose d’essentiel à réaliser. D’autre part, des mesures pour réduire le « ciblage », de notre marché et le contournement de nos règles ont été adoptées.

Cela nous amène à reparler du principe du pays d’origine et du principe du pays de destination. Le principe du pays d’origine, à la base de la régulation de la directive de la télévision sans frontière, n’a pas lieu de changer.

Comme expliqué par Gilles Fontaine de l’Observatoire de l’audiovisuel européen lors de notre colloque des 20 ans, le principe du pays d’origine avait été conçu à la base pour permettre à des gens amenés à quitter leur pays d’origine de continuer à recevoir leurs émissions. Il se fait cependant que plusieurs entreprises ont choisi d’utiliser ce principe-là pour réaliser une sorte de « shopping régulatoire » en s’installant dans des Etats Membres proposant un cadre moins strict., A partir de là, ce qui a encouragé il était possible de diffuser des services en une forme de contournement des régulations plus strictes. Certains diront que c’est parce que les régulations ne sont pas harmonisées. C’est vrai, mais est-ce un mal ? On parle ici de matières culturelles, forcément extrêmement sensibles d’un pays à l’autre. Il est normal qu’un pays de telle tradition culturelle souhaite protéger sa langue de telle manière alors qu’un autre pays n’a aucun souci sur ce point. L’Europe, avec son panel de cultures différentes, est unie dans la diversité comme le dit le slogan, et c’est pour moi une richesse à préserver.

Cette question du ciblage a heureusement été bien traitée dans le cadre de la révision de la directive. L’article 4 a été modifié pour que la preuve du contournement (extrêmement difficile à démontrer) ne soit plus requise pour requérir le respect des règles d’un marché visé de manière significative.

La possibilité nous a aussi été offerte, dans le cadre de l’article 13 de la directive, de demander aux services tant non-linéaires que linéaires de contribuer au financement de l’audiovisuel lorsque de telles obligations existent dans l’Etat-membre ciblé. C’est une autre grande avancée positive pour notre marché et notre culture.

Quels sont les moyens financiers et humains nécessaires pour mettre en place le futur de la régulation ?

Ces évolutions régulatoires sont cruciales pour assainir et pérenniser l’écosystème de l’audiovisuel. Dans le cadre de leur mise en œuvre, nous allons avoir davantage de coopération avec nos homologues, les régulateurs européens de l’audiovisuel, mais aussi avec les autorités de la concurrence ainsi que les autorités en charge de la régulation de la protection de la vie privée. L’importance de notre rôle dans le fonctionnement démocratique va croître significativement, de même que notre charge de travail. Pour qu’on fasse correctement notre boulot, nous allons immanquablement avoir besoin de ressources plus importantes. Sans oublier que si on peut solliciter davantage d’acteurs dans le cadre de la contribution au financement du secteur de la promotion de l’audiovisuel, on aura alors également plus de revenus pour le centre du cinéma par exemple et forcément plus de jobs dans la production de films.  L’ensemble du secteur du cinéma et de la production de séries devrait s’en porter mieux aussi, bref, des éléments essentiels à avoir en tête au moment de la révision de notre contrat de financement avec le gouvernement. Enfin, Une régulation efficace suppose des organes de décision efficaces. Les organes décisionnels du CSA sont le Collège d’Autorisation et Contrôle et le Bureau. Ces deux organes nous ont permis d’accomplir ces derniers temps cette « reconquista », non sans mal mais elle était nécessaire pour l’équilibre du secteur. Il faut donc qu’ils conservent cette philosophie-là, qu’ils gardent en tête la protection de ces valeurs dont le législateur leur a confié la défense. C’est seulement cette haute confiance-là qui permet véritablement de servir tant le secteur de l’audiovisuel que les citoyen.ne.s qui ont besoin de la protection que nous leur donnons.

La reconquista de la régulation : Bernardo Herman from CSA on Vimeo.

 

[1] Lire la brève « Le CSA ne transmettra plus au Luxembourg les plaintes contre son homologue luxembourgeois » : http://csa.be/breves/1138

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