Quand la diversité devient un business à la télé !

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Entretien : Deborah Williams / Executive Director – Creative Diversity  

 

Et si la diversité était avant tout une affaire de business ? La question pourrait en choquer plus d’un.e, mais elle est pourtant sérieusement posée dans le secteur audiovisuel britannique. La diversité est même désormais intégrée à des stratégies commerciales envisagées par des ténors de l’audiovisuel comme la BBC et Channel 4. Inclure la diversité à tous les échelons des stratégies envisagées par les éditeurs, depuis le recrutement du personnel, jusqu’à la création et la diffusion des contenus, c’est le job de Deborah Williams, à la tête du Creative Diversity Network au Royaume-Uni. Ce réseau est un forum financé par ses membres ; la BBC, Channel 4, Channel 5/Viacom, Sky, BAFTA,… Son rôle est de rassembler les organisations qui produisent ou diffusent des programmes au Royaume-Uni afin de booster les bonnes pratiques en termes de diversité. Avant de travailler pour le Creative Diversity Network, Deborah Williams était manager au British Film Institute, où elle était notamment en charge de la promotion du programme de diversité dans toutes les activités de financement de BFI.

 

Vous avez créé le projet “Diamond” au Royaume-Uni. Quel est ce projet ? Pour qui est-il conçu ?  

 

Diamond est un service de monitoring diversité en ligne et sur base volontaire. Ce sont les éditeurs eux-mêmes qui l’on mis en place pour savoir qui « travaille » à la production télévisuelle et qui « passe » à la télévision. L’objectif de ce monitoring est d’offrir une base de données solide et objective sur fond de diversité aux médias.

Chaque personne qui est engagée chez les éditeurs télévisuels reçoit un formulaire qu’elle peut remplir pour Diamond. Si ces personnes acceptent de contribuer, leurs données sont collectées dans notre base de données. Les informations que l’on collecte sont partagées de deux manières. D’une part nous publions les résultats « globaux » qui incluent l’ensemble des éditeurs une fois par an. Ensuite chaque éditeur reçoit ses propres résultats qu’il peut communiquer, ou non.

Nous avons commencé à collecter les données en août 2016 et nous avons publié les premiers chiffres en août 2017. Aujourd’hui, plus de 20.000 personnes se trouvent dans notre base de données.

 

Pourquoi les éditeurs ont-ils voulu lancer eux-mêmes une telle initiative alors que la diversité pourrait être perçue comme une contrainte par les éditeurs ?

 

La réponse est simple. En réalité, la diversité occupe désormais une part réelle des stratégies commerciales des éditeurs britanniques. La réflexion à l’origine de ce constat peut sembler évidente, mais il fallait y croire. Si vous devez produire du contenu qui concerne toute la diversité d’une société, il vous faut des personnes dont les origines, les cultures, les expertises et expériences sont variées dans la chaîne de production. Engager du personnel diversifié, c’est garantir la créativité, l’innovation et la pertinence de l’éditeur sur le marché.

 

Est-ce que cette politique s’est rapidement mise en place au Royaume-Uni ?

 

Non, ça prend du temps de mettre en place une politique diversité, même intégrée aux stratégies commerciales de l’entreprise. Le processus a aussi besoin d’être piloté. La diversité ne s’impose pas toute seule. Il faut aussi convaincre et que les décideurs restent convaincus. Tant qu’ils y verront un avantage pour leur organisation, ils seront nettement plus enclins à accepter des mesures structurelles. Ils seront surtout moins nerveux à l’idée d’accepter le changement.

 

La Grande Bretagne est un gros marché pour le secteur audiovisuel. On peut se permettre de créer des productions pour des communautés en particulier et que ces dernières soient rentables. Pensez-vous que les éditeurs belges, qui couvrent un petit marché auront le même intérêt d’intégrer la diversité dans leur « business plan » ?

 

Je pense que ce n’est pas une question de taille du marché. La question de la diversité dépasse largement des considérations ethniques ou liées  à l’origine des gens. Il ne faut pas produire du contenu en se disant qu’il ne va plaire qu’à telle ou telle communauté. Il faut penser les choses globalement. Y compris sur un petit marché, il faut se demander quels sont les groupes que les médias ne représentent pas assez. Par exemple : les femmes, les personnes en situation de handicap, ou encore les jeunes. Ensuite il faut étudier ce que ces groupes consomment et ce qu’ils veulent comme contenu. Si l’on peut produire du contenu qui parle aussi à ces groupes de personnes, alors l’éditeur peut construire et entretenir une relation de confiance avec les consommateur.trice.s.

 

Je suis convaincue qu’en engageant des personnes qui connaissent le vécu de ces groupes que l’on cherche à atteindre, ça facilite clairement les choses.

 

Pour vous, la diversité dans l’audiovisuel, c’est produire du contenu pour des groupes en particulier, ou produire des contenus qui représentent tout le monde ?

 

Je pense que si on ne pense pas la diversité dans une stratégie de diffusion globale, on risque non seulement de rater sa cible, mais aussi d’empêcher certains talents, issus de la diversité, d’être connus du grand-public. La diversité, c’est aussi cela, c’est faire naître, grâce à l’audiovisuel, des talents dont les expériences et les origines sont variées. Je suis consciente que les éditeurs doivent produire du contenu local, pour ses publics locaux, mais il ne doit se renfermer dans cette stricte stratégie.

 

Les chaînes britanniques sont-elles soumises à des quotas diversité ?

 

Il n’y a pas de quotas imposés aux chaînes télévisées au Royaume-Uni. Il y a des lois plus générales qui protègent les diversités et qui garantissent l’égalité des chances. Dans le monde audiovisuel, la diversité est de moins en moins perçue comme une contrainte. Les compagnies privées voient la valeur qu’elle peut apporter. Il y a une volonté réelle du secteur de se projeter dans le futur et les résultats sont visibles.

 

Plus globalement, la question de la diversité fait l’objet d’un investissement à différents niveaux de la société. L’idée d’associer la diversité comme une opportunité économique avant tout est un leitmotiv qui garantit aussi le futur des entreprises, y compris audiovisuelles. Finalement, quelle que soit la manière dont on envisage la diversité, c’est le résultat qui compte et nous sommes en bonne voie.

 

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