À l’heure où les créations audiovisuelles belges se multiplient et où la transition numérique ouvre un monde des possibles pour les créateurs et les producteurs, la spécialisation de Sevara Irgacheva au sein du CSA est essentielle. Responsable des questions liées à la diversité culturelle, la production et la création audiovisuelle, notre conseillère est en charge d’observer et de garantir la visibilité des œuvres locales et européennes diffusées par nos médias d’une part, et de défendre la place de la culture dans les médias d’autre part.
Pour notre experte, cette mission révèle notamment de nouveaux défis à l’ère du digital pour assurer cette visibilité sur les nouveaux canaux de diffusion. « La visibilité des contenus culturels représente un véritable enjeu pour les éditeurs, mais aussi pour les consommateur.trice.s de médias. Comment assurer cette visibilité dans un paysage non-linéaire ? Je pense particulièrement à des acteurs internationaux tels que Netflix, et au débat européen qui s’y rapporte, mais aussi à des plateformes VOD belges comme Universciné ou Plush. La mission de demain sera de trouver une bonne méthodologie pour mettre en valeur les contenus européens ainsi que de permettre à notre écosystème audiovisuel de se positionner de manière forte face aux géants internationaux »
Si Sevara Irgacheva œuvre pour une meilleure visibilité des créations audiovisuelles, notamment belges, elle est aussi engagée et attentive aux questions de genre. Pour elle, se pencher sur cette question implique de la transposer à tous les niveaux de la création, depuis la conception des scénarios jusqu’à la diffusion…
La question du genre dans les créations audiovisuelles belge selon Sevara Irgacheva
Chaque année, la semaine du 8 mars est une épreuve pour moi : tout le monde se préoccupe de la place des femmes dans la société et chaque année, des débats sont ouverts afin d’arriver aux mêmes constats, voire de constater une régression. Il est fondamental d’intégrer la réflexion autour du genre et les actions de gender mainstreaming de manière structurelle et non ponctuelle afin de pouvoir observer un changement réel. Cependant, cette journée agit également comme une piqure de rappel annuelle : il y a du travail. Dans le paysage médiatique, l’ensemble de la chaîne doit être analysé afin de mieux comprendre la place et les représentations des femmes. Il est fondamental, d’une part, de permettre aux créatrices d’être mieux représentées à tous les niveaux de la création et de la production, et d’autre part, de proposer de contenus qui remettent en question les constructions en vigueur des stéréotypes de genre, du féminin et du masculin.
Dans les écoles de cinéma, les femmes représentent au moins la moitié des étudiant.e.s en réalisation. Dans les métiers de son et d’image, elles ne sont plus que 30%. Dans le monde professionnel, les réalisatrices ne sont plus qu’un tiers environ. Les métiers de cinéma et de télévision restent très fortement genrés : montage et scripte pour les femmes, image et son pour les hommes. En radio, les femmes sont encore moins nombreuses.
Le festival « Elles tournent » avait mené une enquête sur le sujet, avec une étude qualitative qui a permis de dégager quelque tendances sur la manière dont les métiers du cinéma sont vécus par les femmes : la confiance de mener un projet plus facilement accordée à un homme, le jugement plus dur auxquels sont soumises les femmes, un manque de réseau dont elles souffrent, le sexisme bienveillant, l’équilibre vie privée (plus particulièrement les maternités) – vie professionnelle sont autant de problématiques qui se révèlent être des blocages nettement plus forts pour les femmes.
En Suède, des quotas ont été mis en place à la base même de la création audiovisuelle. Afin de pouvoir prétendre aux subventions publiques, des femmes doivent occuper une certaine proportion de postes-clés : direction photo, ingénieur du son, production, réalisation… Je me doute qu’il y aura une levée de boucliers face à cette idée, cependant le système de quotas est communément admis quand il s’agit de défendre la création locale et européenne : les politiques européennes défendant la diversité culturelle sont basées sur cet outil, qui de plus sera potentiellement étendu aux services à la demande.
A mon humble avis, cette démarche nous obligera à penser à un nom féminin pour tel ou tel poste. Je ne dis pas que c’est une solution parfaite, mais dans l’état actuel des choses, elle pourrait potentiellement porter ses fruits. Après, il est clair que penser en termes de quotas, c’est aussi admettre qu’il existe un réel déséquilibre structurel, une situation où les hommes sont dans une position dominante, ce que tout le monde n’est pas prêt à faire.
En ce qui concerne les représentations à l’écran, il est fondamental de continuer le travail de déconstruction des stéréotypes de genre et surtout, à « des-universaliser » le masculin. Le héros principal à qui tout le monde est susceptible de s’identifier ou l’expert s’exprimant sur un plateau apportant un « point de vue neutre » reste encore dans la grande majorité un « homme-blanc-hétérosexuel ». Travailler pour que le féminin soit aussi universel que le masculin, et briser les frontières de la binarité en proposant des nouvelles représentations, de nouveaux héros et nouvelles héroïnes qui interrogent les limites que les stéréotypes de genre imposent, tel est pour moi le chemin de l’avenir.
Quelques liens conseillés par Sevara Irgacheva
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