Photo : Marc Simon
Par Marc de Haan
Président de l’Association pour l’autorégulation de la déontologie journalistique (AADJ)
Les élections constituent un sujet d’actualité majeur, ample et complexe, qui mobilise toutes les rédactions et comporte un réel défi déontologique. La déontologie journalistique n’est certes pas différente en période électorale et ses grands principes éclairent largement les choix que les professionnels ont à poser. Toutefois ils sont confrontés à une attente très particulière du public et des candidats, et pour ceux qui œuvrent dans l’audiovisuel, à un cadre légal spécifique. Le Conseil de déontologie journalistique (CDJ) a donc voulu les aider en publiant en 2011 un avis intitulé « La couverture des campagne électorales dans les médias ».
On constate un impact du contexte électoral sur les plaintes introduites au CDJ, mais sans pour autant considérer un accroissement particulier. Plusieurs dossiers ont été ouverts à l’occasion des scrutins de 2012 et 2014, notamment portant sur la contestation d’informations relatives au comportement ou la gestion de candidats. Il est notable que toutes ces plaintes concernaient la presse écrite. Il sera intéressant d’observer si les tensions palpables ces derniers mois entre l’univers politique et les médias se traduira dans les statistiques futures du CDJ.
S’il faut situer l’avis du CDJ par rapport au règlement électoral émis par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le cadrage déontologique est à la fois plus large et plus restreint : il s’applique à l’ensemble des médias d’information, mais ne concerne que le traitement proprement journalistique des élections. Les principes des deux textes convergent : le CSA vise avant tout l’objectivité, l’équilibre et la représentativité, quand le CDJ se fonde sur le respect de la vérité et l’impératif de ne pas confondre information et propagande. Deux approches qui pour l’essentiel peuvent aboutir à des conclusions semblables, mais dont on sent que l’une procède d’une volonté d’organisation du débat démocratique, tandis que l’autre est portée par un souci d’y préserver l’indépendance journalistique.
L’avis du CDJ reconnait la légitimité de l’adoption de règles particulières par les instances internes des médias, ne serait-ce que pour garantir leur opposabilité devant les tiers, mais il affirme que la responsabilité des choix éditoriaux appartient aux rédactions, et que l’objectif de toutes ces règles doit rester l’indépendance de l’information. Corolaire de celle-ci, il est attendu des journalistes d’éviter tout conflit d’intérêt ou toute suspicion de conflit d’intérêt entre leur activité journalistique et leur éventuel engagement politique qui, précise le texte, constitue un droit citoyen.
Dans la pratique, en période électorale comme en tout temps, les journalistes doivent tenir compte de tous les faits pertinents pour délivrer une information correcte et complète, dans le seul souci de l’intérêt du public. L’impartialité est de rigueur, ce qui suppose de tenir compte de toutes les tendances politiques, et précise le CDJ, sans exclusion d’office ou droit automatique.
On en vient rapidement à la question du « cordon sanitaire », dont la préoccupation traverse le texte. Il précise que les rédactions sont invitées à ne pas donner l’accès direct à l’expression des partis, tendances, mouvements identifiés comme liberticides ou anti-démocratiques. Clairement, on demande ici d’éviter de porter le micro de candidats dont le projet est d’affaiblir ou anéantir la démocratie sans capacité véritable de les interrompre ou les recadrer. Il ne s’agit donc pas de taire leur existence ou effacer leur discours, mais bien de leur appliquer un traitement journalistique.
Si l’application d’un cordon sanitaire médiatique prend sa source dans une réaction à la montée de l’extrême droite dans les années 90, on peut penser que le CDJ ouvre un peu le compas qui trace le cercle protecteur du débat démocratique. Il vise explicitement les programmes en contradiction avec les lois interdisant racisme, discrimination et négationnisme, mais pas exclusivement : tout programme intrinsèquement liberticide peut théoriquement poser problème.
L’avis du CDJ, soucieux de répondre aux interrogations du grand public, prend soin de répondre à la question de savoir si le « cordon sanitaire » constitue une atteinte à la liberté d’expression. Il précise que celle-ci, pas plus qu’aucune autre, n’est absolue. Elle ne doit pas être confondue avec l’obligation de diffuser toutes les opinions qui, plus que jamais à l’heure où chacun peut devenir son propre média sur le net, s’expriment également hors des médias. Le CDJ souligne en particulier que les auteurs de propos constitutifs d’infraction, et de manière générale de nature à saper la démocratie garante de la liberté d’expression, se mettent eux-mêmes hors jeu.
Enfin le CDJ consacre le principe de clause de conscience ancré dans les grandes chartes déontologiques, en lui donnant une force particulière dans le contexte électoral. Le texte évoque une objection de conscience des journalistes en leur reconnaissant le droit de refuser de concourir à la diffusion d’opinions illégales, liberticides ou antidémocratiques, fusse donc contre l’avis de leur hiérarchie.
Il y a là sans doute une affirmation d’une profession qui sait qu’elle n’existe que par et pour la démocratie, et qui n’a pas vocation à collaborer avec ses adversaires. On retrouve l’esprit très kantien de la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789, qui consacrait le principe voulant que seule la liberté puisse arrêter la liberté.
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