« Un cadre juridique solide existe, mais un travail de sensibilisation reste à faire »

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Nouri Lajmi est le Président de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle tunisienne (HAICA). Dans le cadre d’une vaste étude menée avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel belge (CSA) sur la question de la représentation des femmes dans les fictions devant et derrière l’écran, Nouri Lajmi se penche sur le cadre juridique existant en Tunisie. Un cadre solide nous rappelle-t-il, mais qui implique à présent une mobilisation importante du secteur médiatique pour favoriser une image positive des femmes dans les fictions et plus largement dans les médias.

 

Quels sont les objectifs qui ont motivé cette étude entre la HAICA et le CSA ?

L’idée de départ était de faire quelque chose en commun, car nos instances se ressemblent, le paysage médiatique belge et tunisien est semblable à bien des égards et nous avons des préoccupations communes, parmi elles, la place et l’image des femmes qui sont véhiculées par nos médias respectifs.

Quand on parle de l’image des femmes dans les médias, tous les angles sont possibles. Nous avons décidé, dans un premier temps, de nous focaliser sur la fiction car cette thématique est rarement abordée. Quelle que soit l’angle abordé, il me semble important de rappeler que les médias doivent refléter le rôle des femmes dans la société et ce, à tous les niveaux. Nous avons été capables de mettre en place une méthodologie commune. Du côté tunisien, nous avons choisi d’étudier cinq feuilletons télévisuels. Notre analyse s’est basée sur un certain nombre de paramètres allant de la position des femmes dans le schéma actantiel, le relevé de l’analyse des stéréotypes, les rôles attribués aux femmes, leur âge, ou encore leur origine socioéconomique. Nous avons même relevé un lexique relatif au langage employé pour parler aux/des femmes.

Nous sommes très satisfaits de cette collaboration avec le CSA belge et les résultats de l’étude constituent une sérieuse base de sensibilisation à l’égard du secteur médiatique tunisien et belge francophone.

 

Qu’en est-il du cadre juridique en Tunisie en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ?

 En tant que régulateur, la HAICA veille, tout comme le CSA belge, à s’assurer que le cadre légal qui encadre les médias soit respecté. Depuis la révolution de 2011, la Tunisie a consolidé le cadre législatif pour protéger les droits des femmes et favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. La Constitution tunisienne du 26 janvier 2014 est notre premier point de référence. L’article 21 de la Constitution dit expressément que « les citoyens et citoyennes sont égaux en droits et en devoirs ». L’article 46 cimente l’engagement de l’Etat tunisien à protéger l’image des femmes en précisant que « l’État s’engage à protéger les droits acquis des femmes et veille à les consolider et les promouvoir ».

 

Pour consolider la base légale, le Décret-loi 116 du 02 novembre 2011, relatif à la communication audiovisuelle aborde plus précisément la question de l’égalité et du pluralisme dans les médias audiovisuels. Enfin et c’est important, les cahiers des charges qui définissent les conditions d’octroi d’une licence pour une radio ou une télévision privée tunisienne se veulent extrêmement précis en matière de lutte contre les discriminations-stéréotypes sexistes et imposent le principe d’égalité entre les femmes et les hommes dans les médias. Ce principe est soutenu par des obligations comme, par exemple, la présence obligatoire des femmes dans les émissions télévisées et sa participation active dans les programmes de débats, notamment politiques.

 

La Tunisie dispose donc d’un arsenal législatif important en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. Est-ce que ce cadre reflète la réalité des médias ?

Il est vrai que nous disposons d’un arsenal juridique important, à côté de tous les textes et Pactes internationaux mais dans la pratique nous constatons qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire et notre étude le confirme. Il y a encore un besoin réel d’une culture de l’égalité pour favoriser la protection et le respect des droits des femmes et des hommes. Durant des lustres, l’homme occupait une place prédominante dans la société tunisienne en dépit de tous les progrès enregistrés sous l’impulsion du Président Bourguiba. Après la révolution, la Tunisie a tout de même entamé un tournant majeur avec la création d’une nouvelle constitution et de nouvelles lois qui nous aident en tant que régulateur de l’audiovisuel à imposer les principes légaux mais surtout, à mieux sensibiliser le secteur. La culture médiatique doit suivre le cadre juridique dans le cas précis de l’image des femmes et de leur place dans la société. Les femmes politiques sont au mieux représentées à hauteur de 9% ou 10% dans les médias, alors qu’à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) plus du tiers des députés sont des femmes, plus que le Parlement français par exemple sous la précédente législature (actuellement elles représentent 38,8%). Imaginez donc le décalage médiatique avec la réalité… C’est pire encore lorsque l’on envisage la présence des femmes « expertes » sur les plateaux télévisés qui est de l’ordre de « 0 % ».

Les lois existent, mais la culture ne suit pas encore. Nous avons contribué, à côté d’autres acteurs du paysage médiatique, dont notamment le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), à la mise en place sur Internet d’une base de données d’« expertes » pour inciter les médias à solliciter davantage les femmes. Nous avons également rédigé tout récemment, en collaboration avec le secteur, une charte pour favoriser la présence des femmes dans les médias. Cette étude qui aboutit aujourd’hui représente avant tout un nouvel outil de sensibilisation qui vient à l’appui de notre cadre législatif.

 

En Belgique, une disposition nouvelle permet au CSA de sanctionner des éditeurs qui ne respecteraient pas l’égalité entre les femmes et les hommes ? Est-ce que le cadre légal tunisien le permet également ?

En dernier recours, oui. Certains médias ne respectent délibérément pas ce principe d’égalité. Nous avons dû prendre des mesures  contre certains d’entre eux qui véhiculent des stéréotypes et qui tombent sous le coup de la loi, notamment sur la question de la dignité humaine protégée notamment par l’article 05 du décret-loi 116 du 02 novembre 2011. Mais la sanction reste toujours pour nous le dernier recours, nous devons plutôt nous focaliser sur la sensibilisation du secteur avant tout, même si la loi est là pour rappeler que la liberté d’expression n’est pas sans limites. On constate aujourd’hui d’ailleurs une très forte mobilisation de la société civile qui a donné lieu à une prise de conscience et à l’adoption de lois importantes  à l’instar de la loi organique 58/11 du mois d’août 2017, relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes. La volonté est bien réelle en Tunisie pour faire évoluer l’image des femmes et promouvoir leurs droits.

Je suis convaincu que les résultats de notre étude belgo-tunisienne auront un certain écho auprès des citoyen.ne.s, mais aussi, je l’espère, auprès de nos médias.

 

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Concernant l’étude « Place et représentation des femmes dans les fictions »

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