« J’aurais aimé que les femmes ne soient pas juste un débat de diversité »

Cinévox

 

Rencontre avec Diana Elbaum, Productrice belge (Beluga Tree), créatrice historique de la société de production Entre Chien et Loup. L’entrepreneuse évoque pour Régulation.be les difficultés rencontrées par les femmes réalisatrices en Belgique francophone et le projet Boost Camp dont elle est l’initiatrice.

 

Le constat est évident : il y a une trop faible présence des femmes dans les équipes de prod, en tous cas dans les postes décisionnels. Pourquoi ?

Pourtant les femmes sont aussi nombreuses que les hommes durant les études et puis on les retrouve peu en plateau. C’est une question sociétale. Il faut pointer le schéma familial et le rôle des femmes dans la famille. Ce métier est souvent peu structuré, rempli d’incertitudes et qui demande une grande flexibilité. C’est difficilement compatible avec de jeunes enfants. Quand un choix s’opère dans le couple, c’est souvent la femme qui s’éloigne de sa carrière. Peu d’hommes dans ce métier se disent : « je vais me mettre en retrait ». Quand une femme fait le choix de fonder une famille en début de carrière, il y a une perte de réseau. Quand elle revient enfin sur le marché, celui-ci a bien évidemment avancé sans elle.

 

Et quand les films et les fictions sont réalisés par des femmes a-t-on une image de la féminité différente, une représentation plus diversifiée ?  

Bien entendu ! Une femme ne fonctionne pas comme un homme. Les femmes réalisatrices sont les mieux à même d’amener de la profondeur au personnage féminin. Et je peux vous assurer qu’il y aura moins de complaisance dans la manière de tourner les viols, les adolescentes… Et donc imperceptiblement, quand vous voyez un film de femmes, il y a quelque chose d’autre qui transparaitra. Au plus il y a de regards féminins au cinéma et dans l’audiovisuel, au plus cela imprègne le contenu.

Le schéma renvoyé dans les médias montre un manque cruel de diversité. C’est un danger énorme par rapport à notre société. Et le cinéma est aussi coupable. J’aimerais bien trouver en Communauté française de Belgique un cinéaste d’origine africaine. J’aimerais bien voir un rôle principal qui est tenu par une personne d’origine africaine, asiatique ou autre. C’est inconcevable qu’on en soit toujours là. J’espère que le débat autour de la représentation de la femme va ouvrir ce débat sur une diversité totale. Personnellement, j’aurais aimé que les femmes ne soient pas juste un débat de diversité.

 

Vous êtes à l’initiative du Boost Camp ? Sur quels constats repose ce projet ?

 C’est suite à la lecture de différents travaux qui m’avaient interpellé avec notamment trois constats préoccupants : la disparition de plus de 30 % des femmes réalisatrices entre la remise du diplôme et les plateaux de tournage, la durée de développement d’un film réalisé par une femme qui est nettement supérieur à celle d’un réalisateur et l’augmentation de la nudité des adolescentes à l’écran d’environ 30 % entre 2014 et 2016. Je me suis dit qu’il devait y avoir un lien entre la permissivité dans ce qu’on montre sur les petits et grands écrans et le manque de femmes devant ou derrière la caméra. De là, l’idée a germé de créer un workshop pour les femmes réalisatrices en Fédération Wallonie Bruxelles. Il était nécessaire de répondre à plusieurs problématiques ; à savoir aider les femmes à raccourcir et comprendre le process de développement d’une idée vers un scénario pour produire plus vite, leur donner les armes pour mieux comprendre le marché et les désinhiber par rapport à ce souci typiquement féminin d’attendre qu’un produit soit parfait pour aller sur le marché et enfin les remettre en réseau.

 

L’immense succès des candidatures semble être la preuve d’un besoin évident de prise en compte ?

Effectivement, l’opportunité s’est créée et elles y ont répondu. 22 projets recevables pour une première c’est énorme. Les femmes sont là ! Elles ont besoin de trouver leur voix et d’avoir la voie pour y arriver, pour trouver des appuis, des financements.

 

Concrètement, comment s’est passé la mise en place du premier Boost Camp ?

Il y a quatre projets de réalisatrices belges francophones qui ont été retenus sur 22 projets reçus. On s’est associé avec le Groupe Ouest (un laboratoire d’écriture basé en Bretagne) et le Deuxième regard qui est une association française qui monitore la place des femmes dans le cinéma. Ces deux partenaires ont sélectionné quatre réalisatrices françaises. Les huit professionnelles retenues ont travaillé ensemble pendant un an. Six des huit projets comportent des personnages féminins extrêmement forts dans des genres très diversifiés (thriller, anticipation, comédie…). La dernière semaine de formation s’est conclue par une espèce de mise en marché devant vendeurs, producteurs , acheteurs, organisateur de festival, le circuit classique qu’un film va prendre. Et on les attend normalement pour 2019-2020.

 

Qu’est-ce qu’on peut souhaiter pour l’avenir du Boost Camp ?

 Que ce projet qui est une première puisse perdurer. Rappelons-le c’est le premier programme au monde aussi complet pour les femmes réalisatrices. Ce serait bien que le Boost Camp se déroule plus largement dans l’espace francophone (France, Canada, Suisse, Maghreb, pays d’Outremer, Vietnam, Liban…). J’aimerais que dans le futur du Boost Camp devienne un outil de développement pour tout le monde. Une autre perspective aussi ce serait d’ouvrir des volets plus spécialisés, axés sur des thématiques comme les séries TV, l’animation. Le Boost Camp est essentiel également comme support et l’énergie que ça redonne, il faut faire perdurer le programme en Belgique. Et pour cela il faudrait l’ancrer financièrement, avec une aide structurelle.

Plus d’info :

Le Boost Camp : booster de films de femmes

 

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Concernant l’étude « Place et représentation des femmes dans les fictions »

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Consultez l’étude et les résultats belges 

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