Le CSA fête en octobre ses 20 ans de régulation du secteur audiovisuel belge francophone. Depuis 2014, vous êtes notamment Ministre en charge de l’audiovisuel. Quels étaient vos principaux objectifs en début de mandat ?
Tout d’abord, pour la première fois, un ministre a été spécialement désigné, en 2014,pour prendre en charge les médias. Et ce n’est pas un hasard.
A l’heure de la mondialisation et de la convergence des médias, les enjeux sont nombreux. Il s’agit à la fois de trouver l’équilibre fragile entre le développement économique du secteur, la transformation de l’offre et des besoins et la sauvergarde de notre patrimoine.
Il m’est tout de suite apparu important de trouver des pistes afin de permettre au secteur d’appréhender au mieux la transition inévitable vers le numérique tout en veillant à garantir des services de qualité et accessibles à l’ensemble des citoyens.
Qu’implique cette fonction à l’intérieur d’un paysage audiovisuel tel que le nôtre ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous devez faire face au quotidien ?
Je croise volontiers mes fonctions de Ministre des Médias en Fédération Wallonie-Bruxelles et de Ministre de l’Economie, de l’Innovation et du Numérique en Wallonie. En ma qualité de Ministre des Médias, ma mission est non seulement de préserver la diversité des médias, composante essentielle de notre diversité culturelle, mais également de veiller à la vitalité et à l’évolution du secteur ainsi qu’à la viabilité de ses acteurs.
Des équilibres doivent être trouvés, d’une part, entre la protection du citoyen et les intérêts économiques des acteurs du secteur et, d’autre part, entre les acteurs eux-mêmes pour qu’ils puissent se développer et vivre en harmonie et que cela mène à la création d’un tissu économique propice à l’activité et à l’emploi.
Nous avons besoin d’une réglementation qui garantisse aussi bien la protection des citoyens lorsqu’ils consomment des médias que les libertés fondamentales telles que la liberté d’expression. Je pense ici notamment aux règles en matière de protection des mineurs, en matière de communications commerciales ou encore à des règles communes protégeant les citoyens contre les dérives les plus graves notamment l’incitation à la haine et à la discrimination. Ceci est d’autant plus compliqué qu’à l’heure actuelle, tout le monde peut devenir créateur de contenu audiovisuel.
En parrallèle, il convient d’accorder une attention particulière aux intérêts économiques du secteur. Ainsi, par exemple, la publicité est un mal nécessaire pour permettre aux éditeurs de programme de tenter de trouver une certaine stabilité.
Par ailleurs, le secteur a profondément changé.
Tout d’abord, les contenus se sont digitalisés et les acteurs aux activités dites « traditionnelles », telles que la télévision, la radio, la presse écrite, se retrouvent aujourd’hui en concurrence sur Internet.
Ensuite, le développement d’Internet amène également l’émergence de nouvelles plateformes et de nouveaux acteurs qu’il convient de prendre en compte dans cet équilibre précaire, pour maintenir une concurrence loyale dans ce paysage audiovisuel.
Quelle est, de votre point de vue, la spécificité du paysage audiovisuel belge francophone ? Quels sont les enjeux et les réalités qui lui sont propres ? Peut-on comparer sa réalité à d’autres pays européens ? Sur quelles bases ?
La première spécificité qui me vient à l’esprit en parlant du paysage audiovisuel francophone, c’est son caractère enclavé et restreint. En radio, les ondes FM sont saturées et leur diffusion limitée aux frontières de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il n’y a plus de place pour de nouveaux entrants, ce qui nous amène à devoir trouver des solutions pour optimiser l’offre à destination des citoyens.
En télévision, ce caractère enclavé et restreint se ressent également. Nous souffrons toujours aujourd’hui de la comparaison avec le marché français. La France est un territoire avec un bassin démographique important, des audiences potentielles en conséquence et des moyens considérables qui s’y rapportent. Les chaînes et programmes français sont omniprésents chez nous. En 2016, les télévisions françaises captaient près de 33% des parts d’audiences. TF1 est en réalité la troisième chaîne la plus regardée par le public francophone belge, juste derrière RTL-Tvi et La Une. Il n’y a donc pas de surprise à ce que le premier groupe audiovisuel européen s’intéresse aujourd’hui à notre marché publicitaire.
L’omniprésence française se ressent également dans l’offre télévisuelle, mais ceci ne doit pas être une fatalité. Notre secteur est dynamique et arrive par ailleurs à produire de la qualité avec des moyens plus restreints.
A l’heure de la convergence des médias et de l’uniformisation des contenus, il faut être innovant, tout en mettant en avant nos spécificités. Il faut investir dans du contenu à ancrage local. Les stratégies d’opérateurs « Over the Top » comme Netflix ne vont pas dans un autre sens, ils cherchent à s’implanter en investissant et co-produisant des contenus s’adressant aux audiences locales, sur chacun des territoires qu’ils ciblent. Ils viennent d’ailleurs de s’engager, à hauteur de 2 millions d’euros, dans la production d’un téléfilm en Wallonie, en partenariat avec le fonds d’investissement Wallimage. Preuve supplémentaire, s’il en faut, de notre attractivité.
Pour accroitre le développement du secteur, il est primordial de pouvoir compter sur l’ensemble des acteurs. J’en appelle à la convention de l’UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, qui reconnait le droit à chaque Etat signataire de développer ses propres politiques de soutien à la diversité culturelle. Nous avons, en Fédération Wallonie-Bruxelles, un système qui met en place une contribution des opérateurs qui tirent un bénéfice de l’exploitation de leurs services sur notre territoire.
Encore hier, nous ne pouvions faire contribuer que les opérateurs installés en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ceci est peut-être sur le point de changer grâce notamment à l’action de la Belgique.
En effet, le 23 mai dernier, j’étais au Conseil européen des Ministres de l’Audiovisuel et cette question particulière était sur la table. Nous avons réussi à dégager un compromis global concernant la révision de la directive sur les services de médias audiovisuels. Pour faire court, il s’agit du texte législatif harmonisant le paysage des médias audiovisuels au niveau européen. La question était de savoir si nous pouvions faire contribuer, à hauteur des revenus qu’ils engendrent sur notre territoire, les services qui ciblent nos audiences mais sont installés dans un autre Etat européen. J’ai plaidé en ce sens au nom de la Belgique et le texte est passé.
Pour que le développement du secteur soit efficace et pour préserver la diversité culturelle, il faut qu’il existe une concurrence équitable entre tous les acteurs. Ce faisant, un cercle vertueux pourra être créé, grâce auquel une part des recettes d’exploitation d’œuvres audiovisuelles sera réinvestie dans la production de nouvelles œuvres européennes, et avec des acteurs qui accèdent aux mêmes conditions au marché publicitaire et aux autres formes de financement existant sur notre territoire. Le secteur public impulse cette politique et les différents opérateurs doivent jouer le jeux.
Quel est le rôle du CSA à l’intérieur de ce paysage, de votre point de vue ?
Justement, pour être certain que tout le monde joue le jeu, respecte les règles émises et que le secteur évolue dans un cadre concurrentiel équitable, le CSA joue un rôle primordial en tant que régulateur indépendant.
L’indépendance en soit est un garant du respect des équilibres soulignés ci-dessus, pour tenir pleinement compte de l’intérêt du citoyen par rapport aux entreprises, mais aussi pour assurer une égalité de traitement entre les différents opérateurs économiques.
Le Secrétariat d’Instruction et le Collège d’autorisation et de contrôle du CSA sont ainsi chargés de veiller à l’application de la réglementation en matière de services de médias audiovisuels. Je travaille actuellement, avec le Gouvernement, à une refonte du Collège d’Avis du CSA, compétent notamment pour rendre des recommandations susceptibles d’avoir force de loi pour le secteur. Il est donc important que ce Collège reflète la diversité des acteurs concernés. Je reste en effet convaincu du bien-fondé d’un système basé sur la co-régulation et l’échange de bonnes pratiques.
Par ailleurs, le rôle du CSA est fondamental pour vérifier si la concurrence est toujours loyale et équitable sur le marché. Par exemple, il est essentiel qu’un organe indépendant puisse jouer le rôle d’arbitre lorsque des ressources sensibles comme les fréquences FM font l’objet d’un appel à candidature et ce, afin de trouver un équilibre entre les acteurs tout en tenant compte de la spécificité et de la particularité du paysage radiophonique de la FWB.
D’autre part, il est essentiel que le CSA analyse à intervalles réguliers la manière dont les acteurs significatifs se comportent. Processus de longue haleine, les analyses de marché nécessitent une expertise importante A fortiori quand on sait que ces analyses devront nécessairement s’étendre, au delà des offres câblées, aux offres mobiles. Mais c’est un autre débat.
Quels sont les moments, projets, qui ont jusqu’à présent marqué votre mandat ?
J’ai déjà mentionné la date du 23 mai 2017 ; lorsque j’ai siégé, au nom de la Belgique, au Conseil des Ministres européen de l’Audiovisuel. Le principal point de l’ordre du jour était la proposition de compromis de la Présidence maltaise pour définir une orientation générale du Conseil sur la révision de la directive SMA. Les enjeux importants que sous-tendent cette directive sont importants dans le contexte de bouleversement des équilibres en présence dans ce secteur.
J’ai défendu un tout cohérent plutôt que des mesurettes prises à la légère pour faire plaisir à certains acteurs. Il en va de la viabilité de notre paysage audiovisuel et de l’égalité de traitement entre les différents opérateurs.
Sur un autre sujet, je me suis également penché, dès ma prise de fonction, sur la question de l’avenir des télévisions locales. Dans un monde globalisé, on sait ce qui se passe à Shanghai mais pas à côté de chez nous. Les télévisions locales sont des acteurs incontournables en Fédération Wallonie-Bruxelles. Leurs missions de proximité, d’ancrage local et de promotion de la diversité culturelle doivent être protégées.Certaines d’entre elles connaissaient de réelles difficultés financières. Plutôt que de prendre des mesures unilatérales, j’ai préféré privilégier un processus participatif visant l’élaboration d’un système qui puisse les pérenniser.
Grâce au travail constructif de l’ensemble des télévisions locales et de leur Fédération, une nouvelle dynamique a vu le jour, concrétisée par le Livre Blanc. Avec ce dernier, nous assistons à un véritable changement de paradigme et de mentalité des télévision locales, pour plus de collaboration et de cohérence, tout en veillant au maintien des spécificités de chacune
D’autres projets que je ne vais pas détailler sont importants, que ce soit la formation continue des journalistes dans ou en dehors du champ numérique afin de garantir une nécessaire qualité de l’information, que ce soit le développement du DAB+ grâce aux moyens dégagés pour la mise en place des émetteurs, que ce soit la mise en place de dispositifs visant à encourager la diversité dans les médias.
2017 est une année charnière à bien des égards. Quels sont les grandes étapes qui attendent le secteur audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? Comment percevez-vous les attentes du secteur à l’égard de ces changements à venir ?
Je faisais état, ci-avant, des équilibres à trouver. C’est la clé. En effet, il faut préserver un cadre économique viable pour nos acteurs « traditionnels », garants du pluralisme des médias, tout en permettant à de nouveaux acteurs d’émerger sans que ceux-ci ne viennent saboter le système en place. Avec le développement d’Internet, de nouvelles plateformes et de nouveaux acteurs aux contours parfois troubles sont apparus. De simples prestataires de services Internet se retrouvent aujourd’hui dans l’édition de contenus alors que le cadre européen est longtemps resté inchangé !
C’était d’ailleurs une des questions les plus débattues lors du Conseil européen du 23 mai dernier : devons-nous étendre le champ d’application de la directive sur les services de médias audiovisuels aux plateformes d’échange vidéos et aux réseaux sociaux qui exercent une activité similaire à celle des distributeurs de contenus audiovisuels traditionnels ? La Belgique y était favorable et je l’ai fait savoir. Les technologies évoluent et il était urgent de créer « un level playing field » en imposant certaines règles communes à tous les acteurs du secteur pouvant se faire concurrence quelle que soit leur dénomination juridique. Nous allons voir comment se poursuivent les discussions autour de ce texte pour ensuite nous atteler à le transposer dans notre cadre juridique.
Pour finir, notre manière de consommer des contenus audiovisuels et des médias à profondément changé. Dorénavant, une grande partie de cette consommation se passe non plus sur la TV du salon, mais sur d’autres écrans, comme nos tablettes et smartphones. Il existe un phénomène de convergence entre le secteur des télécommunications et la téléphonie mobile, et le secteur de l’audiovisuel au sens plus traditionnel du terme. En 2015, le rapport annuel de l’IBPT (NDLR : Institut Belge des Postes et Télécommunications) montrait que désormais, le volume des données mobiles échangées était de loin supérieur au volume d’activités relevant strictement des télécommunications (soit les échanges de SMS et les appels vocaux). L’utilisation des données mobiles est en croissance exponentielle depuis 2012. Une des principales raisons est le recours à des services de streaming et la consommation de services audiovisuels en 4G. De même, le groupe Ericsson a remis un rapport en 2016, sur les tendances dans le secteur des technologies mobiles. Ainsi, pour 2016, 50% de l’utilisation de données mobiles sont dévolus à la vidéo. Ils estiment que pour 2022 ce seront 75% de ces données qui seront utilisés pour de la vidéo.
Il y a un créneau à exploiter pour d’une part assurer des contenus de qualité accessibles à nos citoyens et d’autres part permettre aux acteurs du secteur audiovisuel de se développer dans ce nouveau monde de la convergence des technologies. C’est une des raisons pour laquelle je souhaite développer un réseau de radio numérique. Au delà de l’activité radiophonique, c’est également des potentialités en matière de bande passante que nous développons. Nous devons donc continuer à investir dans les technologies et en parallèle permettre aux acteurs du secteur de se développer dans ce nouveau microcosme économique, tout en veillant, avec le CSA, à la pluralité de l’offre et à l’égalité d’accès aux différents modes de diffusion.