Entretien avec Marc Janssen
Président du CSA, de 2007 à 2012
Quand vous êtes arrivé au CSA, la régulation, ça représentait quoi pour vous ?
Quand je suis arrivé en 2007, la régulation elle-même et le CSA avaient 10 ans. La régulation indépendante des médias était toujours un concept récent en Belgique et constituait une exception, voire une anomalie. Il s’agit là d’un transfert d’autorité du pouvoir politique élu vers une institution indépendante autonome. En Fédération Wallonie-Bruxelles, le CSA est la seule autorité administrative indépendante. Il faut se rendre compte du traumatisme institutionnel que constitue ce type de transfert de pouvoir. Par essence, le pouvoir politique a vocation à prendre des décisions et pas vocation à transférer son autorité. La régulation, c’est une transformation radicale du mode de gouvernance de politique publique d’origine anglo-saxonne qui s’est imposé fin des années 80 en Europe. Et en 1997 en Belgique francophone. Cela implique une période de transition forcément complexe.
« Le régulateur est toujours dans un équilibre précaire : à la fois gardien de la loi et accompagnateur en vue du succès des acteurs du secteur. »
Réguler les médias, une mission simple ou compliquée ?
Assez compliquée. La régulation indépendante des médias poursuit trois missions principales qui se complètent mais sont parfois contradictoires : tout d’abord réguler le secteur, la concurrence entre les acteurs, ensuite protéger les consommateurs citoyens et enfin promouvoir, défendre et consolider la liberté d’expression et de création. Dans ma conception il faut toujours essayer de combiner ces trois objectifs ! Philosophiquement, c’est compatible. Promouvoir un secteur sain et dynamique, c’est contribuer à ce qu’il y ait des programmes de qualité. Les médias qui ont ce dynamisme vont faire des programmes innovants et se développer financièrement. Et de manière globale, c’est bon pour l’intérêt collectif d’avoir un secteur culturel dynamique. Le régulateur est toujours dans un équilibre précaire : à la fois gardien de la loi et accompagnateur en vue du succès des acteurs du secteur.
Cela est assez loin de l’image du gendarme censeur…
C’est le danger. C’est d’être perçu uniquement comme un gendarme de l’audiovisuel. Au regard des évolutions, la régulation doit montrer son ambition de continuer à essayer d’atteindre ses 3 objectifs et être un facteur de soutien positif au secteur. In fine, tout ce qu’on fait c’est au service du public donc il faut que ce public en soit conscient, informé. Il faut exister.
Et comment s’y prend-t-on pour faire exister un régulateur ?
Je suis arrivé au moment où devait se dessiner le premier plan de fréquence. Personne n’avait d’autorisation dans le paysage privé. Une situation difficile pour le secteur et un travail complexe pour le CSA. Neuf mois après mon arrivée, grâce à un Collège motivé et une équipe formidable, on avait un paysage radio stabilisé. Le processus fut complexe et les résultats douloureux, mais ne personne ne peut contester le sérieux du travail. Il fallait donc capitaliser là-dessus. Il y a eu dès ce moment-là une volonté d’aller rencontrer un maximum d’acteurs du secteur avec les équipes ou les membres du Collège d’autorisation et de contrôle. Cela nous a permis d’expliquer, de démystifier certaines choses. Il y a aussi eu des tentatives d’utiliser le Collège d’avis comme un lieu de discussion où on peut écouter les représentants du secteur. À la même époque, nous avons commencé à revoir nos procédures de contact, de dépôt de plaintes pour qu’elles soient le plus claires possibles. Et puis, nous avons ouvert les portes du CSA en accueillant des chercheurs et des stagiaires. En soutenant des études et recherches et les orientant au service du secteur.
Même logique de dialogue côté politique ?
Bien sûr. Il y a aussi eu un travail de discussion avec le pouvoir politique pour les sensibiliser, amener nos dirigeants à se poser les bonnes questions. Par exemple, quant au rôle de la télévision dans l’écosystème culturel et créatif global de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Comment y aurait-il moyen d’améliorer la situation au travers la tendance qui va au développement de fictions de qualité, avec le développement de la production indépendante, la promotion du format télévisuel comme produit culturel et financier. Les Anglo-saxons y travaillent depuis longtemps.
Mais attention, nous nous réclamons d’être autonome et indépendant. Donc le rôle du CSA est de faire des suggestions quant à l’évolution du cadre législatif en s’appuyant sur l’expertise interne mais pas à se substituer au pouvoir politique.
« Le régulateur tente d’éveiller les consciences mais on ne peut pas dire qu’il y ait un débat très vif sur la régulation en Belgique francophone. »
Prenons un exemple concret de cette relation avec le politique : un nouveau contrat de gestion RTBF ?
J’ai eu l’occasion de présider le CSA pendant la mise en place d’un contrat de gestion. C’était en 2011-2012. La loi nous donne un rôle assez limité. Mais cela ne nous empêche pas d’y consacrer temps et énergie en interne. Avec les équipes, nous avions publié un document synthétique sur le respect des obligations de la RTBF les années précédentes, par thème, disponible tant pour les parlementaires que les citoyens. Tout ça prend du temps mais parfois ça porte ses fruits. Avec par exemple la création du Plan TV, du Fond Séries TV de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Notre rôle limité engendre parfois des frustrations. Le régulateur tente d’éveiller les consciences mais on ne peut pas dire qu’il y ait un débat très vif sur la régulation en Belgique francophone. À l’époque, on avait tenté de faire prendre conscience de l’intérêt de notre rôle dans les médias notamment. Mais sans grand intérêt de leur part.
Un dossier emblématique durant votre présidence ?
Il y a évidemment eu plusieurs, mais on parle souvent du cas RTL, donc parlons-en. C’est une occasion manquée. Il y aurait eu une belle opportunité collective de créer une dynamique positive de créativité. On a la chance d’avoir une chaine privée qui offre une tv populaire de qualité, notamment si on compare à ce qui existe dans les chaines commerciales d’autres pays. Mais RTL a pris la décision de s’en remettre à la loi luxembourgeoise pour des raisons qui lui appartiennent. Le CSA s’est retrouvé dans l’impossibilité de déclencher des actions collectives avec le secteur. Et depuis lors, on fait face à un déséquilibre total au sein du paysage avec des acteurs qui doivent respecter des lois belges et un acteur pas. Alors, c’est bien joli, on a des discussions passionnantes pour promouvoir la diversité, le soutien à la production de séries… Mais tout cela s’adresse au final à un acteur.
Est-ce simple d’exercer ce métier dans « le petit monde » de l’audiovisuel francophone ?
Bien sûr que non. Les missions qui nous sont confiées sont tant importantes que délicates. Mon attitude a toujours été d’essayer de répondre, d’expliquer ce qu’on fait, pourquoi et comment, et de gérer sereinement et avec intégrité les pressions. Ces moments existent mais il faut y faire face avec la bonne attitude.
L’une des plus grandes forces du CSA, c’est le pluralisme de son Collège d’autorisation et de contrôle, qui reflète notre culture politique. Les membres sont désignés non pas pour représenter les partis mais pour siéger au collège. Ils représentent des valeurs.
« Le pluralisme de l’instance décisionnelle est essentiel.
Le CSA n’est pas une institution partisane. »
Le pluralisme est une des valeurs que prône le CSA, à commencer en son sein.
Le pluralisme de l’instance décisionnelle est essentiel. Le CSA n’est pas une institution partisane. Cela montre que personne ne décide tout seul et ce sont des décisions collégiales. Le CSA vérifie la conformité de certains éléments avec la loi. Elle est suffisamment bien rédigée que pour arriver à des décisions unanimes. Les meilleurs membres du collège seront toujours ceux qui croient profondément dans une régulation indépendante, les motivations philosophiques mèneront toujours à des débats passionnants.
Des relations personnelles et interpersonnelles ne doivent pas venir parasiter les décisions. C’est pour cela qu’il faudrait, selon moi, établir un système qui institue, comme dans la plupart des pays, le mandat unique pour la présidence. Le CSA en ressortirait gagnant si le législateur renforçait aussi le mode de nomination des membres du collège et du bureau et du président. Avec une procédure de sélection ouverte et transparente, qui pourrait impliquer le Parlement.
La régulation a-t-elle un futur ?
L’absence d’un régulateur veut symboliquement dire que les citoyens n’ont plus aucun contrôle sur le monde médiatique. S’ils arrivent à se dire « personne ne peut rien faire », alors c’est la démocratie qui est en péril. Le fait de savoir de manière précise ou même floue qu’il y a des lois qui garantissent la protection du consommateur de médias est vital, encore plus en 2017 qu’en 1997.