Femmes et arabes : les grandes absentes de la publicité

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Entretien Nora Noor, chargée de projet « La pub selon les femmes » pour AWSA

Imaginez une femme dans une publicité, à quel profil pensez-vous ? Est-elle âgée de plus de 40 ans ? Sans doute pas. De corpulence forte ? Peu de chance. Porteuse d’un handicap… d’origine étrangère ? Non toujours non. Celle que vous imaginez est-elle jeune, mince et « blanche » ? Dans le mille ! Dans notre dossier « pub et stéréotypes de genre », on traduit avec une série de partenaires les résultats du baromètre du CSA qui s’est penché en 2018 sur la représentation des femmes dans la publicité.

Lorsque l’on parle d’image des femmes, questionner le genre sans appréhender l’origine risquerait, une fois de plus, de nous faire tomber dans une représentation jugée « neutre » du genre féminin : une femme blanche et jeune.  Celle-là même à laquelle vous pensiez plus haut. Et c’est d’ailleurs parfaitement normal car dans la pub, la variété des modèles est faible, voire infime pour certains groupes minorisés. Les femmes avec un handicap visible sont absentes, les femmes dont l’origine étrangère est perçue sont également invisibles. On est allé discuter avec Nora Noor , chargée de projet pour AWSA[1] – BE qui promeut en Belgique l’image et les droits des femmes originaires du monde arabe. L’association vient de monter une expo qui casse les stéréotypes de genre dans la pub.

En quelques lignes, comment résumer les enjeux du féminisme arabe ?

Je pense que la première chose à rappeler, c’est qu’il existe. Ça serait déjà un grand pas parce que toutes les formes de féminisme ne sont pas encore reconnues, même si ça bouge de plus en plus, notamment sur les réseaux sociaux. Le féminisme arabe existe depuis plus de 100 ans, mais on en parle encore trop timidement. Par exemple, notre association a été fondée en 2006 en Belgique, mais existe depuis les années 80 en Egypte… Le problème, c’est que nous n’avons pas de réseaux assez forts ou de grandes personnalités pour faire entendre notre voix.

Avant de parler de publicité, il faut comprendre dans quelle case les médias placent les femmes originaires du monde arabe. Pour les médias, elles sont avant tout des victimes qui n’ont aucun libre arbitre. Les choix que nous opérons, on nous force à le faire. Ça s’arrête là.  On retrouve d’ailleurs très souvent le mot « soumis » dans le traitement médiatique. Il y a très peu d’images positives associées aux femmes originaires du monde arabe. Et forcément, ça devient difficile de trouver un argument commercial pour les mettre en valeur dans la publicité.

Cette image de la femme soumise explique-t-elle la polémique qui a éclaté autour de la campagne publicitaire de Décathlon qui s’apprêtait à vendre ses premiers Hidjab de course à pied ?

Je dirais qu’il y a deux raisons essentielles qui expliquent pourquoi cette polémique a éclaté. La première est Liée à l’invisibilité des femmes originaires du monde arabe dans la publicité. On n’est pas habitué à voir cette diversité dans la pub et donc ça choque quand on le voit. Ce qui est révélateur, c’est aussi la manière dont cette polémique a été gérée par les médias. Une fois de plus, les principales concernées n’ont pas eu la parole… ou très peu. Les femmes qui portent l’Hidjab n’ont pas eu la parole alors que franchement, je vois mal une femme soumise et démunie de libre arbitraire se rendre chez Decathlon pour acheter un Hidjab et se mettre à la course à pied…

Le patriarcat est donc le second problème. On parle (les hommes) à notre place, on nous dit quoi faire et aussi et surtout, comment s’habiller, s’apprêter, comment être belle. La pub en est un reflet très révélateur. Ici, cette réalité ne concerne pas que les femmes originaires du monde arabe, mais toutes les femmes.

Justement, parlons-en des stéréotypes de genre dans la pub. Quels sont ceux qui collent à la peau des femmes originaires du monde arabe ?

Le principal problème, c’est l’invisibilité. En Europe, il n’y a quasiment aucune femme originaire du monde arabe dans les publicités grand-public. Je le répète, l’image des femmes arabes n’est pas un bon argument commercial. L’une des seules qui s’est lancée (à ma connaissance), c’est la marque Nike, qui a montré pour la première fois des femmes qui portaient un Hidjab de course. Et tout le monde s’en souvient, c’est dire…

La seconde raison, c’est justement qu’il faille une raison pour présenter des femmes arabes dans la pub. Par exemple, si une marque veut vendre de l’Huile d’argan, on va pouvoir « caster » des femmes arabes car l’univers pourra être plus exotique. À côté de leur absence presque totale dans les campagnes publicitaires, on retrouve donc aussi une forme d’animalisation des femmes originaires du monde arabe et afro descendante, ainsi qu’une forme d’orientalisme puisque même ces femmes font l’objet d’un « lissage ». Les femmes arabes auront deux ou trois teintes plus claires en dessous de leur couleur réelle, leurs cheveux seront parfaitement bouclés…

Enfin, il y a tout un champ lexical qui est problématique selon moi. On associe souvent un univers de mots négatifs aux femmes arabes. Des cheveux frisés ou bouclés seront « difficiles » et « rebelles », là ou les cheveux lisses seront doux et soyeux… On remarque aussi une tendance à ne pas « citer » le nom des femmes arabes dans la publicité. On les dépersonnalise parce qu’on craint de citer un nom connoté…

Vous avez créé une expo qui déconstruit les stéréotypes de genre dans la pub à la maison des femmes de Schaerbeek. C’était avant tout une expérience pour les femmes qui participaient au projet ?

Tout à fait, on a commencé par proposer une série de 15 ateliers qui étaient destinés à comprendre l’image que la société nous renvoie et l’histoire de la publicité depuis les années 30 avec, comme projet final, celui de créer une expo en détournant des publicités sexistes. C’était une expérience intéressante pour tout le monde et qui a porté ses fruits. Nous sommes persuadées que nous pouvons changer la société avec des modèles, pas juste des opinions.

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Quelques images de l’exposition : « La pub selon les femmes »


[1] Arab Women’s Solidarity Association.

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